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“Bruce Nauman” article 1570
à la Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris

du 14 mars au 21 juin 2015



www.fondation.cartier.com

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 12 mars 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Bruce Nauman, Carousel (Stainless steel version), 1988. Acier inoxydable, aluminium moulé, mousse polyuréthanne, moteur électrique. © Bruce Nauman / ADAGP, Paris 2015. Photo courtesy Glenstone.
2/  Portrait de Bruce Nauman, 2009. Photo © Jason Schmidt.
3/  Bruce Nauman, Pencil Lift/Mr.Rogers, 2013. Installation audiovisuelle : 1 écran LED. Composant de gauche : Pencil Lift, 3 min 57, en boucle. © Bruce Nauman / ADAGP, Paris 2015. Photo courtesy Sperone Westwater, New York.

 


1570_Bruce-Nauman audio
Interview de Thomas Delamarre, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 12 mars 2015, durée 10'55". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Un écran monumental se dresse sur toute la longueur de l'espace d'exposition totalement vide. Ses dimensions de mur imposant en font un élément architectural infranchissable qui ferme la façade de la Fondation Cartier donnant sur le jardin. Le premier contact avec le travail de Bruce Nauman se fait par l'expérience du vide, en suivant l'invitation à arpenter les vastes volumes lumineux du bâtiment dénudé, réduit à sa structure de verre et d'acier. Puis l'œuvre, comme une forme gazeuse, emplit l'espace, s'étend jusqu'aux murs, au plafond, devenant de plus en plus dense.

L'image ouvre un dialogue silencieux avec l'espace nu, elle évoque un tour de magie: les mains de l'artiste font léviter des crayons sur un bureau. Les dimensions de la scène sont celles d'un coin de table mais l'échelle de la projection en fait un paysage où flottent des crayons gigantesques. Les pattes du chat qui traverse le champ en arrière-plan en deviennent effrayantes.

Le volume de la deuxième salle se remplit d'une voix qui répète inlassablement 'for the children', 'pour les enfants'. L'expérience se poursuit dans le jardin par une installation sonore où un musicien joue sur un piano une partition reproduisant les possibilités de jeu de mains d'enfants. De l'immatériel se construit une présence forte, dont la puissance écrasante trouble et inquiète. Ce sont de petites choses simples, anodines et familières: des crayons, une phrase, quelques notes jouées sur un piano, pourtant la démultiplication de leurs dimensions nous rapetissent dangereusement. L'impossibilité de situer la provenance des sons qui nous entourent de tous les côtés à la fois expose notre vulnérabilité.

Au sous-sol, la scénographie propose en opposition à la luminosité de l'étage une pénombre menaçante. Trois projections multiplient un visage qui s'étend jusqu'au plafond, scandant des injonctions: 'hit me', 'feed me', 'help me'... Les voix se mélangent, se recouvrent dans une concurrence d'ordres contradictoires, d'appels à l'aide ou à la violence. Les bouches grimaçantes prêtes à nous avaler sont en constante agitation, n'offrant aucun moment de répit, de silence.

Chien, daim, coyote, trainés par le cou autour d'un carousel, tracent des cercles sales par leur frottement sur le sol. Ces animaux figés ont la tête tendue par la laisse qui les enchaîne à un mouvement perpétuel de manège de parc devenu incontrôlable. La référence enfantine est noyée dans le jusqu'au-boutisme macabre.

Deux danseuses au sol tournent sur un cadran, formant une horloge vivante projetée sur le mur et le sol. Ici, l'image au sol s'impose comme espace physique que l'on doit contourner, faisant de cette chorégraphie du temps qui s'écoule une réalité spatiale, concrète. Si le silence retrouvé et la douce grâce de la danse apaisent un moment, l'illusion d'un soupir est de courte durée. L'enchaînement d'une même routine semble n'avoir de finalité que dans l'épuisement, le mouvement est une obligation qui se passe de notre assentiment.

Dans cette pièce isolée, calme, se formule le questionnement du sens aussi bien collectif qu'individuel du temps. Nos actes et de nos choix, puisque leurs conséquences semblent si vaines, peuvent donc se penser autrement, et notre futur s'ouvrir à l'inconnu. Pour le meilleur ou pour le pire.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l'exposition, Hervé Chandès
Commissaires associés, Grazia Quaroni, Thomas Delamarre assités par Margaux Bonopera




Du 14 mars au 21 juin 2015, la Fondation Cartier pour l’art contemporain a le privilège de présenter la première exposition majeure de l’artiste américain Bruce Nauman à Paris depuis plus de 15 ans. Pour cette occasion, l’artiste a sélectionné une série d’oeuvres récentes, présentées pour la première fois en France à côté d’installations plus anciennes. L’ensemble représente un large éventail des mediums explorés tout au long de sa carrière et reflète l’attention très particulière que Bruce Nauman porte à l’environnement immédiat entourant ses oeuvres et à l’implication physique et sensible des spectateurs. Oeuvres immersives, les pièces exposées résonnent avec le bâtiment de la Fondation Cartier et accentuent le contraste entre les espaces d’exposition transparents du rez-de-chaussée et ceux, plus fermés, de l’étage inférieur.

Bruce Nauman est l’auteur d’une oeuvre qui apparaît comme une pierre angulaire du vocabulaire plastique contemporain, à travers son exploration du corps, du langage et de la performance, et qui fait de lui l’un des artistes contemporains les plus influents de notre époque. Souvent décrite comme conceptuelle ou minimaliste, cette oeuvre protéiforme résiste à la classification.

Né en 1941 à Fort Wayne (Indiana), Bruce Nauman étudie les mathématiques et la physique à l’université du Wisconsin puis obtient un Master of Fine Arts à l’université de Californie en 1966. Très vite, il abandonne la peinture pour se consacrer à la sculpture, à la performance, à l’installation et à la vidéo. Il établit d’abord son studio en Californie, puis s’installe à la fin des années 1970 au Nouveau Mexique où il vit et travaille encore aujourd’hui. Il expose pour la première fois en galerie en 1966 à Los Angeles, puis deux ans plus tard à la Leo Castelli Gallery à New York. Le Los Angeles County Museum of Art et le Whitney Museum of American Art à New York organisent conjointement sa première exposition majeure en 1972-1973.

Depuis, son oeuvre a fait l’objet de nombreuses expositions et rétrospectives dans des institutions de premier plan, notamment au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, à la Whitechapel Gallery à Londres et à la Kunsthalle Basel (1986-1987). En 1993, le Hirshhorn Museum à Washington organise une rétrospective avec le Walker Art Center (Minneapolis) et le Museum of Modern Art à New York, qui est ensuite présentée à Madrid, Los Angeles et Zurich (1993-1995). Quelques années plus tard, le Centre Pompidou à Paris, le Wolfsburg Kunstmusem, la Hayward Gallery à Londres et le Museum of Contemporary Art Kiasma à Helsinki organisent ensemble une exposition de ses films, néons et installations (1997-1998). Invité en 2004 à concevoir un projet pour le Turbine Hall de la Tate Modern à Londres, Bruce Nauman crée la vaste sculpture sonore Raw Materials. Plus récemment, il représente les États-Unis lors de la Biennale de Venise en 2009 et reçoit le Lion d’or de la meilleure participation nationale. Bruce Nauman expose pour la première fois à la galerie Sperone Westwater à New York en 1976 et continue d’y présenter régulièrement ses oeuvres.


L’exposition

Présentée pour la première fois en France à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, cette sélection d’installations multimédia, d’oeuvres sonores et de sculptures rend compte de la nature protéiforme de la pratique artistique de Bruce Nauman.

Au rez-de-chaussée, l’artiste joue avec la transparence et l’immatérialité du bâtiment : vides en apparence, les espaces extérieurs et intérieurs contiennent trois oeuvres récentes particulièrement saisissantes. Dans le jardin, la pièce sonore For Beginners (instructed piano) (2010) invite les visiteurs à découvrir un enregistrement de l’artiste et musicien Terry Allen jouant du piano, sa partition se composant d’une liste d’instructions de Bruce Nauman relatives au placement des mains du pianiste sur le clavier.

La grande salle d’exposition accueille Pencil Lift/Mr. Rogers, l’oeuvre la plus récente de Bruce Nauman (2013). Diffusée sur un écran LED aux proportions spectaculaires, l’image semble ainsi flotter dans l’espace transparent du rez-de-chaussée. Avec Pencil Lift/Mr. Rogers, l’artiste poursuit son exploration des actions physiques et de la gestuelle des mains en particulier : de simples actions effectuées du bout des doigts avec des crayons dans son studio se transforment en signes ambivalents et illusions d’optique, jouant sur des sensations de tension et d’équilibre.

Dans la salle adjacente, la voix de Bruce Nauman répète inlassablement « For children » (« pour les enfants ») : malgré l’apparente simplicité de ses moyens, l’oeuvre sonore For Children/Pour les enfants (2015) atteint une complexité insoupçonnée, à mesure qu’apparaissent et se mêlent des références aux notions de jeu, d’éducation et de dépassement des barrières physiques et mentales. Adaptée par l’artiste pour l’exposition, la pièce sera présentée pour la première fois en anglais et en français.

À l’étage inférieur, trois sculptures multimédia à la présence physique percutante insufflent à l’exposition de nouvelles perspectives visuelles. Avec l’installation vidéo Anthro/Socio (Rinde Facing Camera) (1991), la figure humaine apparaît pour la première fois dans le parcours de l’exposition : répétée sur six moniteurs et trois écrans de projection, elle accueille frontalement le visiteur dans la première salle. Rinde Eckert, chanteur et artiste performer, répète haut et fort plusieurs séries de mots comme par exemple « Feed Me/Eat Me/Anthropology » (« nourris-moi/mange-moi/anthropologie ») et confronte les spectateurs au désir ontologique de l’Homme d’entrer en relation.

Face au visage de Rinde Eckert, la sculpture Carousel (Stainless steel version) (1988) emporte dans sa ronde, démembrés et suspendus par le cou, des moulages d’animaux. Certains d’entre eux raclent le sol, emplissant l’espace d’un son obsédant. En guise de conclusion, la dernière salle de l’exposition accueille l’installation vidéo Untitled (1970-2009), créée à l’origine pour la Biennale de Tokyo en 1970 puis revisitée pour la participation de Bruce Nauman à la Biennale de Venise en 2009. Suivant les instructions données à l’avance par l’artiste, deux danseurs tournent au sol dans le sens des aiguilles d’une montre jusqu’à épuisement. Profonde méditation sur l’écoulement du temps, l’oeuvre rappelle par ailleurs les premières oeuvres de l’artiste dans lesquelles il cartographiait son studio par les déplacements de son corps.

Cette exposition, spécialement créée pour la Fondation Cartier, offre une occasion unique de découvrir certaines des oeuvres les plus marquantes de Bruce Nauman de ces deux dernières décennies. Elle révèle également le lien rarement exploré entre ses pièces les plus abstraites – vidéos et oeuvres sonores centrées sur une exploration de la voix et du corps humains – et ses installations monumentales, chargées de références spirituelles et environnementales.