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“L’usage des formes” Artisans d’art et artistes
au Palais de Tokyo, Paris

du 20 mars au 17 mai 2015



www.palaisdetokyo.com

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 19 mars 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Robert Stadler, Understand what you love. Résine polyester, acier, 29,5 x 10,5 x 2 cm. Edition de 15. Edition galerie de multiples.
Photo : Patrick Gries. © ADAGP, Paris 2015.
2/  Benoît Maire, Main, 2014. Marbre rouge du Languedoc. Crédit photo : Benoît Maire. Courtesy Cortex Athletico. © ADAGP, Paris 2015.
3/  Daniel Pommereulle (Estate), Sans titre, Circa, 1976. Lames d’acier et plomb, 30 x 20 x 5 cm ; pièce unique. Photo Rurik Dmitrienko.
Courtesy Galerie Christophe Gaillard. © ADAGP, Paris 2015.

 


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Interview de Gallien Déjean, commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 19 mars 2015, durée 10'44". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Gallien Déjean



L’exposition L’Usage des formes explore l’ingéniosité humaine et la relation passionnée que les créateurs entretiennent avec leurs outils, en abordant l’instrument comme un élément fondamental du rapport de l’homme au monde. Faisant dialoguer artisans d’art et artistes, l’exposition rassemble les métiers d’art, le design, les arts plastiques et l’architecture dans une scénographie conçue par le designer Robert Stadler et réalisée en collaboration avec des artisans d’art.

D’un racloir paléolithique en cristal de roche provenant de l’abri des Merveilles (Dordogne) aux prothèses bioniques conçues par le FabLab de Rennes sur des imprimantes 3D, en passant par L’Infini, réalisé en feuille de métal martelée par le dinandier Nathanaël Le Berre, l’exposition traverse les époques. Elle révèle l’actualité de la notion de chef-d’oeuvre, ce « travail de réception », à la fois objet utilitaire et oeuvre d’art, qui incarne l’acquisition et la transmission d’une technicité virtuose.

Le début du parcours invite à plonger dans l’univers de l’atelier. Au sein de cette fabrique, l’outil se donne à voir comme une incarnation de l’Histoire, en ce qu’il correspond fondamentalement à la transmission ou réécriture de la pratique qui lui est associée.

L’exposition aborde ensuite la notion de prise en main de l’outil. L’objet technique est l’instrument de cette préhension qui permet de mettre l’homme en contact avec le monde. Telle une prothèse, l’outil est précisément cette extension du corps qui permet à l’homme d’interagir avec son environnement et de passer ainsi de l’état de nature à l’état de culture. Apprendre à manipuler un outil révèle les propriétés cachées de la matière. L’outil, par conséquent, est un objet qui permet d’extraire de l’information, de mesurer et de quantifier le réel et d’opérer des croisements fructueux entre la science, la technologie et l’artisanat.

L’exposition se clôt sur la double dimension symbolique - voire magique - et utilitaire de l’outil : à l’instar du compas des Compagnons du Devoir, devenu symbole philosophique de la Franc-maçonnerie, ou encore du dodécaèdre gallo-romain, mystérieux objet de divination, présentés dans cette section. Par leur préciosité ou par le sens dont ils ont été investis, ces objets, à l’origine simples instruments, deviennent de puissants symboles de l’humanité et des vecteurs de contemplation.




Artisans d’art et artistes

Les échanges entre disciplines et particulièrement entre arts plastiques et métiers d’art furent décisifs pour l’invention de la modernité et la redéfinition du champ de l’art à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. La vitalité qu’eurent alors, les mouvements comme Art and Craft en Angleterre, Art Nouveau en France, Mingei au Japon, le Bauhaus en Allemagne, le constructivisme en Russie par exemple, manifestent la fécondité potentielle de ces relations.

Si les maîtres d’art du XXIème siecle continuent de transmettre des savoir-faire précieux et séculaires, ils revitalisent conceptuellement, techniquement et formellement leurs créations en utilisant les matériaux et les technologies les plus contemporaines. Simultanément, les artistes plasticiens, surmontant une réticence née après la Seconde Guerre mondiale à l’égard de la tradition, renouent désormais volontiers avec des techniques qu’ils avaient délaissées comme celle du verre, de la céramique ou du textile. Cette transformation des sensibilités, cette curiosité nouvelle est en train de régénérer ces deux champs essentiels de la création contemporaine.

Attentif à ces mutations, le Palais de Tokyo consacre désormais une partie de son activité à expérimenter de nouvelles formes d’exposition destinées à encourager ce dialogue renouvelé et à y sensibiliser les amateurs d’art contemporain.


 

L’exposition L’Usage des formes, par son commissaire, Gallien Déjean

En 1930, l’ethnologue Marcel Griaule publie dans la revue Documents un article intitulé « Poterie » dans lequel il dénonce les archéologues et les esthètes qui admirent, dit-il, « la forme d’une hanse » mais se gardent bien « d’étudier la position de l’homme qui boit ». La forme de chaque objet, dans son contexte d’émergence, est liée à un usage – qu’il s’agisse d’un ustensile, d’un objet d’art appliqué ou même d’une oeuvre d’art.

Dans ce texte, Griaule déplore le processus de décontextualisation que l’on fait subir aux objets lorsqu’ils intègrent le musée pour acquérir une valeur esthétique. Dévitalisés de leur fonction d’usage dans cette enceinte sacrée, ils deviennent des objets de contemplation qui n’ont pour seule justification que la classification qui les subsume.

L’Usage des formes est une exposition qui regroupe des objets et des oeuvres issues d’époques et de domaines variés : métiers d’art, arts plastiques, design et architecture. Chacun de ces artefacts témoigne d’une valeur d’usage. La plupart appartiennent à la catégorie des instruments techniques dont le champ d’action est infini : certains servent à transformer la matière, d’autres à révéler l’invisible, extraire des données, produire de l’information, ou permettent de communiquer. Ils prolongent nos organes dans leur fonction d’appréhension du monde. À travers cette accumulation de prothèses, se dessine en creux le corps humain dans son rapport au réel. Selon le philosophe Gilbert Simondon, les instruments techniques sont des êtres « allagmatiques », c’est-à-dire des éléments d’échange entre l’homme et son environnement ; de cet échange naît la culture.

Deux entités complémentaires incarnent le rapport à l’outil. L’Homo faber construit des instruments pour façonner la matière. L’Homo ludens joue à détourner les outils de production et les instruments de la connaissance créés par l’Homo faber afin de faire surgir de nouvelles possibilités. Parfois, ces deux attitudes coexistent au sein de la pratique d’un même créateur. En exposant les outils et les échantillons prélevés dans les ateliers d’artisans d’art, mis en regard avec ceux des plasticiens et des designers, l’exposition L’Usage des formes rend hommage à ces deux conceptions entrelacées de l’invention, du savoir-faire et du rapport du geste créateur au monde qui l’environne.

Dans Les Gestes, le philosophe Vilém Flusser décrit le moment où, à l’issue d’une production, « les mains se retirent de l’objet, ouvrent leurs paumes en un angle large et laissent glisser l’objet dans le contexte de la culture [...], non quand elles sont satisfaites de l’oeuvre, mais quand elles savent que toute continuation du geste de faire serait insignifiante pour l’oeuvre ». Ce geste est aussi celui du don, affirme-t-il. C’est « le geste d’exposer » que L’Usage des formes met en scène au sein d’un espace scénographique où flotte encore la survivance de l’usage des formes présentées.