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“Le lynx ne connaît pas de frontières” article 1581
à la Fondation d'entreprise Ricard, Paris

du 24 mars au 9 mai 2015



www.fondation-entreprise-ricard.com

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation de l'exposition par Joana Neves, curatrice, le 23 mars 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Joana Escoval, The past and the present are unified on locations where important events happened, 2014.
2/  André Figueiredo, Qualquer condição #1, any condition, 2012.
3/  Joana Escoval, Wisdom piece, 2014.

 


1581_Le-lynx audio
Interview de Joana Neves, commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 23 mars 2015, durée 9'23". © FranceFineArt.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Entre-deux
Joana Neves invite le public parisien dont elle fait partie à porter un regard sur la scène portugaise qui est en fin de compte la sienne. C'est cet entre-deux qui guide ses pas pour rassembler des artistes singuliers, de générations différentes, dans un dialogue qui semble tout naturel. Hybridation avec l'oeuvre de Diogo Pimentao, qui joue des différents médiums ou de Fernando Calhau qui à l'intérieur même du tableau crée différents espaces. Dès l'entrée c'est aussi l'impression de suspension qui frappe le spectateur. Le bâton de pèlerin d'Otelo Fabiao posé délicatement sur un mur, la chapelle de tissu suspendue du duo artistique Musa paradisiaca, tout tient sans qu'on ne sache vraiment comment. Magie, hasard, tout ne semble que tenir à un fil dans un équilibre mystérieux. On passe ensuite aux affiches du collectif Oficina Arara. Ces essais pour leur revue, accrochés dans les airs par des pinces répondent aux problèmes politiques et sociaux par la créativité. L'oeuvre d'Angela Ferreira n'est pas dénuée, elle non plus, d'ambiguité, tout comme ses supports qui oscillent entre solidité et fragilité. Suspendues encore sont les oeuvres de Carla Filipe qui dans leurs supports de verre jouent sur la transparence et l'opacité. Tout est là, mais en suspension, aérien, à nous de nous en saisir, de choisir quelle responsabilité on souhaite endosser, ce que l'on souhaite assimiler. Sensations de légèreté pour des thématiques marquées par la pesanteur.

Histoire personnelle, histoire collective
Ce qui parait important ici c'est le rapport à l'histoire qu'explorent les artistes. Le Portugal comme de nombreux pays a un rapport ambigu avec son histoire, entre mémoire et oubli, trous noirs et vides complets. Certains artistes s'attachent à reconstruire leur histoire et l'histoire du Portugal, parfois en étant ailleurs, comme Carla Filipe qui en résidence à Air Antwerpen, trouve des cahiers d'écoliers en néerlandais et les assemble avec dessins et des coupures de presse, soulignant les moments marquants de l'histoire du Portugal et du peuple Juif, notamment durant la dictature de Salazar. Angela Farreira, elle, s'attache à décortiquer les mécanisme de la colonisation à travers un film retraçant une expédition scientifique au Mont Mabu. L'artiste Otello Fabiao récupère des matériaux délaissés, rejetés, pour leur donner une nouvelle vie comme cette toile qui repose sur le mur grâce à deux long bâtons, béquilles improvisées, prothèses de fortune. Dans la vidéo d'Igor Jesus c'est la possibilité même d'interroger l'histoire qui est mise en question. Comment oses-tu même demander, semble dire une voyante au fils venu invoquer l'esprit de son père. Ici encore histoire personnelle et histoire collective se mélangent. Le lynx, lui, ne connaît pas de frontières.

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

Curator : Joana Neves



Les artistes : Fernando Calhau, Joana Escoval, Otelo Fabião, Ângela Ferreira, André Figueiredo, Carla Filipe, Igor Jesus, Musa paradisiaca, Oficina Arara et Diogo Pimentão


Avec cette exposition, la Fondation d’entreprise Ricard propose un regard contemporain sur la scène artistique portugaise.

Rosi Braidotti entame son livre “The Posthuman” avec cette remarque : “aucun de nous ne peut affirmer, avec un certain degré de certitude, que nous avons toujours été humains, ou que nous ne sommes que cela”[1]. Braidotti réévalue un humanisme eurocentriste et masculin, à présent désuet, et propose de parler de territoires et de déterritorialisations, du désir en tant que construction plutôt que manque. Porter un regard sur une scène, qui est, somme toute, la mienne, est avant tout l’occasion de tourner le regard de cette scène vers un autre territoire. C’est elle qui regarde et non pas moi qui l’évalue ou choisis ses meilleurs représentants - elle est trop vaste et variée pour cela. J’ai préféré construire un dialogue à partir de plusieurs singularités pour le public parisien, auquel j’appartiens également.

Le Portugal a une temporalité très particulière, telle que l’a décrite le philosophe portugais José Gil (2005). Il s’y est effectué, selon lui, un “saut sans médiation du prémoderne au post-moderne” en raison, entre autres, de la dictature de Salazar (1932 - 1974), qui a opéré un hiatus dans le développement du pays. Ainsi, ce pays européen a assimilé à distance certains grands mouvements culturels du XXe siècle ; n’oublions cependant pas qu’il a, en retour, construit sa propre vision dans son contexte, avec son langage.

Fernando Calhau, Joana Escoval, Otelo Fabião, Ângela Ferreira, André Figueiredo, Carla Filipe, Igor Jesus, Musa paradisiaca, Oficina Arara, Diogo Pimentão sont les artistes de différentes générations avec lesquels un dialogue s’instaure autour de ce désir d’universalisme pour lequel l’abstraction et le modernisme apportent une solution idéale ; de filiation (la famille que nous avons et celle que nous constituons) et de l’idiosyncrasie en tant que désir constructif.

Le titre de l’exposition vient lui-même d’une conversation avec un duo d’artistes portugais, Francisco Queimadela et Mariana Caló, à propos de l’installation vidéo Efeito Orla (2013), dont la prémisse était de partir à la recherche de témoignages des dernières apparitions du lynx dans la chaîne de montagnes de la Malcata au Portugal. Cet animal mythique est non seulement absent dans le film mais aussi dans la région : il est en voie de disparition. Je ne sais pas si Braidotti pensait aux animaux lorsqu’elle a écrit la première phrase de son dernier livre, mais il y a certainement une dialectique qui s’établit entre ces deux espèces, l’homme et le lynx, qui ont à un moment donné subi les conséquences d’appartenir, chacun à leur façon, et ensemble, au territoire circonscrit par les frontières portugaises.

Joana Neves, novembre 2014.

[1] “Not all of us can say, with any degree of certainty, that we have always been human, or that we are only that”; Rosi Braidotti, The Posthuman, Cambridge, 2013.