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“La fabrique des saintes images” Rome-Paris, 1580-1660
au Musée du Louvre, Paris

du 2 avril au 29 juin 2015



www.louvre.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 31 mars 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Simon Vouet, L’Extase de la Madeleine. H. 32,3 cm ; l. 23,5 cm. Paris, musée du Louvre. Inv. 33310 © Musée du Louvre, dist. RMN Grand Palais / Suzanne Nagy.
2/  Eustache Le Sueur, Raymond Diocrès. H. 23 cm ; l. 41 cm. Paris, musée du Louvre. Inv. 30713 © RMN Grand Palais (musée du Louvre) / Christophe Chavan.
3/  Le Caravage, La Mort de la Vierge. H. 369 cm ; l. 245 cm. Paris, musée du Louvre. RF 3165 © Vienne, Erich Lessing.

 


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Interview de Louis Frank et Philippe Malgouyres, commissaires de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 31 mars 2015, durée 13'01". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition :
Louis Frank, conservateur en chef au département des Arts graphiques, musée du Louvre
et Philippe Malgouyres, conservateur en chef au département des Objets d’art, graphiques, musée du Louvre.




Le grand mouvement de réforme qui secoua l’Église tout au long du XVIe siècle apporta avec lui, après une violente remise en cause, une profonde réflexion sur ce que devaient être les images sacrées. Rassemblant 85 oeuvres (dessins et gravures, peintures, objets d’art, sculptures), La fabrique des saintes images se propose d’évoquer la complexité des enjeux qui furent, pour l’art religieux, au coeur du processus créateur des plus grands peintres, sculpteurs et architectes du XVIIe siècle : Le Caravage, Annibale Carracci, Guido Reni, Gianlorenzo Bernini et Pietro da Cortona à Rome ; Simon Vouet, Eustache Le Sueur, Philippe de Champaigne ou les frères Le Nain à Paris.

Suite aux bouleversements de la crise religieuse et à la stabilisation des positions respectives des Catholiques et des Réformés, l'Église de Rome avait en effet entrepris sa propre réforme, dont le concile de Trente (1545-1563) fut l'entreprise la plus spectaculaire. Il réaffirma, entre autres, la possibilité, la légitimité et l'utilité des saintes images, profondément et brutalement attaquées par les Protestants. C'est dans ce contexte que commanditaires et artistes réfléchirent pour fabriquer de nouvelles images qui soient recevables : comment créer ces images et quel rôle revient à l’artiste dans ce processus ? S’il est admis que le Christ ou la Vierge Marie sont représentables puis qu’incarnés, comment leur donner des traits alors qu’on ne connait pas leur visage ? Les artistes peuvent-ils inventer de toutes pièces ces images et en faire des images valides pour le croyant ?

La crise religieuse du XVIe siècle vit la réédition de l’antique combat contre les images. Cette iconophobie se traduisit, dès les années 1520, par la réapparition d’un iconoclasme véhément, qui allait donner toute sa mesure en France et aux Pays-Bas dans le cours des années 1560. Le catholicisme, en particulier lors de la vingt cinquième et ultime session du concile de Trente en décembre 1563, s’attacha donc très tôt à la défense des images.

Dans les années 1580, après une brève période de réaction, l’art religieux se reconstruisit en Italie sur la base d’une recherche dévote de pureté et de vérité. Mais ce fut également l’aube d’une renaissance inattendue, prélude à une floraison incomparable, dont la présente exposition montrera, en consonance avec le parcours de « Poussin et Dieu », deux pôles opposés et profondément liés : Rome, épicentre de ce mouvement d’iconophilie triomphale, et Paris, où la cohabitation des Catholiques et Protestants après la pacification apportée par l’Édit de Nantes, donna naissance à une expression artistique plus retenue, sans théâtralité, mais tout aussi riche.

L’exposition questionne, une fois encore, le sens de l’amour chrétien des images. Dieu, dans le christianisme, ayant pris corps et visage d’homme, s’est prêté à l’image : telle est la raison par laquelle l’Église a toujours justifié la présence et la vénération des saintes images. De manière plus profonde encore, le Dieu du christianisme possède en lui-même la nature d’image. Le parcours se déploie en quatre sections thématiques, qui permettent d’aborder les principaux enjeux soulevés par la fabrication des saintes images au XVIIe siècle. Commençant par la présentation de l’un des arguments majeurs de l’Église catholique pour justifier l’existence et la légitimité des images (si Jésus a laissé aux hommes des empreintes de son visage et de son corps, c’est bien que Dieu approuve les images), le propos aborde ensuite successivement deux réalités différentes et complémentaires : la Rome pontificale triomphante à l’heure des grands jubilés de 1600, 1625 et 1650 et Paris, miroir d’une France profondément marquée par la déchirure des guerres de religion et dont l’Église cherche une voie autonome de celle de la papauté. L’exposition se conclut par une section consacrée à l’Eucharistie et au Saint Sacrement, dont le culte prend une dimension nouvelle au XVIIe siècle et qui est interrogé ici dans sa dimension de signe et d’image ultime.


Les images non faites de main d’homme
La tradition des achéiropoiètes, de ces images « non faites de main d’homme » et dites avoir été imprimées par le corps ou le visage même du Christ, fut l’une des grandes justifications pratiques de l’iconophilie chrétienne. Il y avait la série des Saintes Faces, dont la plus célèbre était le Mandylion, ce linge sur lequel le Christ avait, dit la légende, imprimé son visage en réponse à l’envoyé du roi Abgar d’Édesse, qui le priait de le guérir et de lui faire parvenir son portrait. Transféré d’Édesse à Constantinople, il disparut des suites de la Quatrième Croisade. Il y avait la série des Linceuls, dont le plus illustre était (et est toujours) le Suaire de Lirey, transporté à Chambéry, puis à Turin en 1578. Ces images connaissent une nouvelle ferveur au tournant des XVIe et XVIIe siècles, attirant les pèlerinages et faisant l’objet de nombreuses copies.


La gloire des images. Rome, 1580 – 1660
De 1580 jusqu’au XVIIIe siècle, Rome fut un perpétuel chantier. Le premier moment de cette extraordinaire transformation – jusqu’en 1610, autour du grand Jubilé de 1600 – est traditionnellement compris sous le signe de la Contre-Réforme. De même que l’architecture, la représentation religieuse se veut conforme à l’esprit du concile de Trente. La convenance consiste alors dans la recherche de la vérité plutôt que dans celle de la beauté. Cette phase transitoire, marquée par le rejet des séductions du contour et de la couleur, propose un art de la narration didactique, de la clarté spatiale, s’attachant à des formes abrégées ou délibérément archaïques, puis bientôt plus proches du naturel. La dureté de ce rapport à la vérité dans l’élément de l’histoire religieuse et dans celui de la nature se retrouve ainsi, au moment où s’annonce le nouveau siècle, à l’origine des deux grandes expériences artistiques, parentes et divergentes à la fois, d’Annibale Carracci et du Caravage : la nature repensée dans sa nécessité, son universalité idéale, et cette même nature contemplée dans l’éternelle contingence des corps singuliers. Rien, dans le décret du concile sur les images, ne laissait prévoir que du travail de cette première génération, bientôt fécondé par le retour de la force, des couleurs et de la sensibilité, naîtrait, autour de 1630, un art plus triomphal que jamais, renouant avec les puissances et les sortilèges de l’image, et voué à la glorification perpétuelle d’un Dieu manifeste. Cet art, pourtant, maintient les termes de la contradiction immanente à l’image, qui révèle et voile au regard, d’un seul et même mouvement, la vérité de l’Inaccessible. La chapelle Cornaro, à Santa Maria della Vittoria, où le Bernin sculpta la Transverbération de Thérèse d’Avila, en est l’emblème : tout s’y offre à la vue, tout s’y résorbe dans l’abstraction de l’or et des marbres, tout s’y évanouit dans le face-à-face secret de la lumière incréée et d’yeux qui ne voient plus.


L’école française. Paris, 1627-1660
La société française entretient à l’égard de l’Italie, dans les domaines religieux, politique, intellectuel, artistique et littéraire, un rapport à la fois d’affinité profonde, d’autonomie proclamée et de rivalité essentielle. En matière ecclésiale et spirituelle, notamment, la France est gallicane, c’est-à-dire opposée à l’influence ultramontaine (qui défend la primauté, spirituelle et juridictionnelle, du pape sur le pouvoir politique). Mais la France est également sortie profondément divisée d’un demi-siècle de guerres civiles, et le catholicisme français se devait de composer avec l’esprit de la minorité réformée. Ces circonstances, ainsi que la force de sa tradition propre, expliquent le fait que la prodigieuse floraison mystique et littéraire qui suit la pacification du royaume par l’Édit de Nantes se soit accompagnée, dans l’ordre des images, d’une iconophilie assez discrète. Les positions les plus nettement favorables à la culture de l’image, celles des jésuites (pour lesquels Simon Vouet réalisa le grand retable de la Présentation au Temple au maître-autel de l’église Saint-Louis, à Paris), ou celles du Carmel réformé, ne représentent que l’une des composantes de l’iconophilie de l’École française. L’image demeure, certes, l’une des marques par excellence de l’appartenance à la foi catholique – le jansénisme lui-même ne le remettra pas en cause – mais elle obéit, chez des artistes tels que La Hyre, Le Sueur ou Philippe de Champaigne, à un principe de distance, de discrétion, d’immobilité, de mesure et de silence, au regard de la grandeur infinie de Dieu.


Le Saint Sacrement
L’Église catholique voit dans l’Eucharistie non seulement le sacrement ultime d’action de grâce et le mémorial de la Passion, mais aussi l’actualisation permanente du sacrifice de Jésus et la présence réelle du Christ sous la forme des saintes espèces. L’exaltation du Saint Sacrement est l’un des traits de la Réforme catholique et de son iconographie. C’est alors qu’à l’antique représentation de la Cène, centrée sur le moment où Jésus annonce la trahison de Judas, se substitue la Cène eucharistique, où le Christprêtre consacre le pain et le vin et donne la communion aux disciples. L’Église récuse expressément l’idée, jadis défendue par l’Iconoclasme à Byzance et reprise par les penseurs de la Réforme, que l’hostie consacrée soit la seule et vraie image du Christ, au motif qu’étant le corps du Christ, elle ne saurait être dite image. L’Eucharistie, pourtant, touche à la question de l’image, puisque, bien qu’étant le corps du Christ, elle donne à voir autre chose que l’aspect de ce corps sacrifié, fragmenté et livré à la manducation, spectacle dont Thomas d’Aquin lui-même avait remarqué qu’il eût été proprement insoutenable. L’hostie est donc non seulement le corps du Christ, mais elle est ce corps visible sous l’apparence d’une image dissemblante et paradoxale. Les liturgies et les dévotions tridentines, d’ailleurs, qui adorent en lui la présence divine, exposent et glorifient le Saint-Sacrement, exalté par l’ostensoir solaire, comme une image. Le Repas de paysans, attribué à Louis Le Nain, est l’un des témoignages les plus mystérieux de l’importance de la dévotion au Saint-Sacrement dans la société du XVIIe siècle. On met désormais ce tableau en relation avec l’activité de Gaston de Renty, membre éminent de la Compagnie du Saint-Sacrement, qui organisait chez lui des repas eucharistiques en faveur des pauvres, en lesquels l’Église voit également l’image cachée de Jésus-Christ.