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“Adolfo Wildt (1868-1931)” Le dernier symboliste
au Musée de l'Orangerie, Paris

du 15 avril au 13 juillet 2015



www.musee-orangerie.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 13 avril 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Adolfo Wildt, Madre ; Madre Ravera (Mère, dite aussi Mère Ravera), 1929. Marbre sur base en bronze, 48 x 49 x 18 cm (prof.). Courtesy Galleria Gomiero Padova-Milano. © Photo : Marzio De Santis.
2/  Adolfo Wildt, I Peccati mortali (Les péchés mortels), 1913. Encre et or sur parchemin, 26,6 x 19,3 cm, avec cadre : 43 x 35 cm. Padoue, coll. part., Courtesy Galleria Gomiero Padova-Milano. © Photo : Marzio De Santis.
3/  Adolfo Wildt, La Madre (La mère, fragment du groupe La Famille), 1922. Marbre, 61 x 24 x 35 cm. Collezione Franco Maria Ricci, Fontanellato (Parma). © Archivo Franco Maria Ricci.

 


1605_Adolfo-Wildt audio
Interview de Ophélie Ferlier, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 avril 2015, durée 10'10". © FranceFineArt.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Le musée de l’Orangerie présente une rétrospective du travail d’Adolfo Wildt, sculpteur dont le travail, à la fois original, contemporain de son époque et pourtant en dehors du temps, est demeuré depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale globalement inconnu.


De l’expressivité tourmentée à l’esthétique épurée

Peu connu en France, Adolfo Wildt a pourtant fait partie des artistes sculpteurs les plus réputés de l’Italie de l’entre-deux-guerres. Loué pour son travail sur le marbre, son matériau de prédilection, il a, au fil des années, adopté un style en-dehors de l’art de l’époque, s’inscrivant même dans le « Novecento » italien, art de propagande pour le régime de Mussolini fondé par sa maîtresse Margherita Sarfatti, sans pour autant en épouser fidèlement les codes. L’exposition retrace ainsi l’évolution d’Adolfo Wildt, de ses débuts encore profondément influencés par le classicisme à ses dernières œuvres très épurées, mettant en lumière l’originalité de son travail, aussi bien autour de sa sculpture que de ses dessins. Les premières œuvres de l’artiste préfigurent pourtant dès le début de sa carrière de la voie qu’empruntera plus tard son art. La Veuve (ou Acte, 1893-1894), avec son visage aux traits doux et tristes, les yeux clos et les cheveux retenus par un voile que l’on discerne à peine, laisse apercevoir le futur caractère épuré de ses figures féminines. En revanche, le Portrait de Franz Rose (1913), son bienfaiteur et mécène, arborant une moustache impressionnante et foisonnante, arbore déjà les yeux creux et les traits prononcés et saillants que l’on retrouvera sur les visages masculins torturés tout au long de sa carrière.

Car l’art d’Adolfo Wildt est avant tout triste, mélancolique et tourmenté. Que le front soit plissé, rongé de rides apparentes et les yeux creusés, profondément enfoncés dans les orbites, ou, au contraire que les joues soient lisses et le nez droit, les visages de ses sculptures expriment aussi bien la douleur la plus pure que la souffrance dans l’extase. Le Pendu (1915), avec sa tête inclinée, la corde nouée autour de son cou et son expression contractée, désespérée devant la mort, entre ainsi en contraste avec l’attitude presque paisible d’une Sainte Lucie (1926), les yeux tournés vers le ciel dans un geste gracieux alors même qu’elle est énucléée. Comme pour contrebalancer cette expressivité presque terrifiante, Adolfo Wildt recours ensuite à une forme d’art beaucoup plus épurée, afin d’insuffler spiritualité et contemplation dans ses sculptures. Les traits sont simplifiés à l’extrême pour offrir une esthétique presque désincarnée, qui s’accorde néanmoins une certaine coquetterie grâce à des rehauts d’or soulignant certains éléments. Ainsi L’Âme et son habit (1916) présente-t-elle un nez fin et étroit dans un visage dénué de rides et de lignes mais sur lequel se dessine pourtant discrètement une expression contemplative.


Héritage classique, pensée moderne

Adolfo Wildt ne cesse alors de jouer avec ces deux formes de l’expression, les yeux creux et insondables devenant alors sa signature. Sa sculpture prend alors, au fil des thèmes qu’il choisit d’aborder, un caractère symboliste ou, au contraire, s’ancre dans une réalité bien reconnaissable. Cherchant ainsi refuge dans les liens familiaux, il décline la silhouette gracile de la mère, figure protectrice par excellence et guide lumineux au visage fin en pointe et au front délicatement bombé, d’après une représentation de la Vierge, source de la chrétienté. La figure féminine de Marie donne le jour aux petits enfants chrétiens (1918), avec la figuration de ces enfants sous forme de fragiles fœtus nourris et protégés par la main levée de Marie, devient comme le modèle parfait de l’amour maternel, qu’Adolfo Wildt ne cesse alors de réutiliser. La Conception (1921), avec le visage lisse de la mère et celui, beaucoup plus tourmenté, du père penchés sur un nourrisson au corps déformé rehaussé d’or, ou encore la Mère adoptive (1917), brandissant une flammèche et baisant la main de l’enfant qu’elle porte, reprennent ainsi le même motif et s’imprègnent alors d’une profonde spiritualité. Et pourtant, le sculpteur peut s’éloigner des hautes sphères pour servir l’art du « Novecento ». Loin de l’expression originale d’une religion personnelle, le Portrait de Benito Mussolini (1923), sculpture monumentale, présente un visage fier et décidé bouleversé de lignes saillantes et au regard sévère. En contraste, Fil d’or et sa tête de jeune fille en marbre doré aux boucles soigneusement sculptées respire l’innocence et la douceur, bien que ses yeux vides lui donnent un air inquiétant.

L’art d’Adolfo Wildt, complètement en dehors de celui de l’époque, réalise aussi la synthèse entre l’élégant classicisme et la dynamique et vivante modernité. L’Homme qui se tait (1899) s’appuie ainsi sur une position alanguie directement inspirée de la sculpture classique mais s’en différencie par la représentation très naturaliste d’un corps d’homme aux proportions somme tout normales, loin de la glorification héritée de l’art antique. Les bustes et les portraits, s’ils personnifient parfois des concepts comme l’âme ou la lumière (Lux et sa figure féminine aux yeux étoilés et qui parait paradoxalement aveugle, 1920), s’éloignent singulièrement du classicisme par l’effacement progressif des physionomies. Seuls les portraits des contemporains d’Adolfo Wildt s’incarnent dans des visages aux traits accusés et réalistes, comme le buste d’Arturo Ferrarrin (1929) dont la fonction de pilote est parfaitement rendue par la présence d’un casque d’aviateur qui semble fusionner avec le reste de la sculpture et devenant légèrement incongru sur ce visage autrement très classique. Tressant une filiation avec l’art ancien, Adolfo Wildt est ainsi parvenu à donner corps à une sculpture pourtant moderne, allant jusqu’à produire une Victoire (1918-1919) complètement novatrice avec son visage de femme surplombant simplement deux ailes déployées derrière elle alors qu’elle paraît prendre son envol…

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Beatrice Avanzi, conservateur peinture au musée d’Orsay
Ophélie Ferlier, conservateur sculpture au musée d’Orsay
Conseiller scientifique : Fernando Mazzocca, historien de l’art




Célèbre dans l’Italie de l’entre-deux-guerres, le sculpteur Adolfo Wildt a fasciné ses contemporains par sa virtuosité exceptionnelle dans le travail du marbre, due à l’exercice du métier de praticien durant plusieurs années pour d’autres sculpteurs. Sa singularité, en marge de la tradition comme de l’avant-garde, lui a en revanche toujours valu un succès critique mitigé. Ses liens avec Margherita Sarfatti, maîtresse de Benito Mussolini, et les commandes et honneurs officiels qu’il reçut de l’administration fasciste ont sans conteste joué un rôle central dans l’oubli dans lequel il est tombé au milieu du XXe siècle.

Première rétrospective jamais consacrée à Wildt en France, l’exposition organisée en collaboration avec la Fondation Cassa dei Risparmi di Forlì invite à une découverte inédite de l’univers fascinant et excentrique du sculpteur italien. Seules quelques oeuvres ont été récemment dévoilées au public parisien, à l’occasion de l’exposition Italies en 2001 et Masques en 2008. De plus, il a fallu attendre 2013 pour voir un musée français acquérir une oeuvre de Wildt, le Vir temporis acti en bronze (1921) qui appartient désormais aux collections du musée d’Orsay.

L’exposition se propose de dérouler dans une logique chronologique, la carrière atypique de l’artiste. Elle aborde de manière aussi exhaustive que possible les facettes de son art, à travers soixante sculptures, esquisses et médailles, trente-quatre dessins et oeuvres graphiques, mais également des photographies anciennes de ses oeuvres disparues ou inamovibles (monuments funéraires notamment) et divers documents. En lien avec l’oeuvre de Wildt dix-neuf contrepoints sont proposés au fil du parcours : moulages de sculptures antiques, peintures de la Renaissance (Cosmè Tura, Carlo Crivelli…), ou encore oeuvres contemporaines (Felice Casorati, Ivan Meštrović, Auguste Rodin…) et de ses élèves (Lucio Fontana, Fausto Melotti). Sont ainsi évoqués la variété de ses sources et références et le contexte artistique contemporain. La grande majorité des prêts proviennent de musées et collections particulières d’Italie, où la plupart des oeuvres de Wildt sont encore conservées. Deux institutions italiennes ont généreusement prêté une partie significative de leurs oeuvres de Wildt : les Musei civici de Forlì (6 sculptures) et de Venise (11 sculptures dont plusieurs plâtres provenant de l’atelier de Wildt).

La première salle présente les débuts de l’artiste, entre naturalisme et classicisme. En 1894, Wildt passe avec le riche prussien Franz Rose, évoqué par un buste, un contrat dans lequel il s’engage à lui fournir le premier exemplaire de chacune de ses sculptures en échange d’une pension annuelle : liberté de créer et une certaine aisance matérielle lui sont ainsi procurées jusqu’en 1912, date de la mort de Rose.

La deuxième salle est consacrée à la période suivant la profonde dépression traversée par Wildt entre 1906 et 1909, durant laquelle il questionne le sens de son art et la forme qu’il doit adopter : il a alors pour ambition d’entretenir une filiation avec l’art ancien et être « absolument rebelle à l’art d’aujourd’hui », tout en s’accordant avec la pensée moderne. Son extraordinaire Autoportrait intitulé Masque de douleur marque un retour à la création. L’oeuvre s’inscrit dans une tendance expressionniste explorée par Wildt autour de 1910, période à laquelle il questionne également la figure partielle (Vir temporis acti) et introduit dans ses oeuvres des éléments décoratifs raffinés et dorés qui le relient aux sécessions germaniques.

Avec des oeuvres épurées comme Un Rosaire ou L’Âme et son habit, la troisième salle met en évidence une composante désormais omniprésente de l’art de Wildt, une spiritualité issue d’une piété très personnelle illustrant sa maxime : « Une oeuvre d’art n’est pas faite pour les yeux, elle est faite pour l’âme ».

La quatrième salle circulaire met plus particulièrement l’accent, autour de la Mère adoptive, sur l’iconographie de la famille réinventée par Wildt.

La cinquième salle présente la variété des productions de Wildt, artiste reconnu au lendemain de la première guerre mondiale : ses portraits monumentaux naturellement, mais également ses hommages à des héros disparus, ses portraits d’enfants, la série de dessins des Grands jours de Dieu et l’Humanité, et enfin son ultime chef-d’oeuvre, le Parsifal. Les oeuvres de cette salle mettent en évidence les liens de Wildt – dans une déclinaison toujours très personnelle – avec les exigences classiques du « Novecento », le mouvement du « retour à l’ordre » lancé par Margherita Sarfatti.

Torturé et excentrique, d’une sensibilité exacerbée, Wildt ne laisse pas indifférent : il est selon les mots d’Ugo Ojetti l’interprète idéal de son « époque fatiguée et anxieuse, crédule et curieuse ».






A voir au Musée d’Orsay :

“Dolce Vita, Art décoratif italien 1900-1940”  du Liberty au design industriel
du 14 avril au 13 septembre 2015


www.musee-orsay.fr



Commissariat :
Guy COGEVAL, Président des musées d’Orsay et de l’Orangerie
Beatrice AVANZI, Conservateur au musée d’Orsay
Irene de GUTTRY, Historienne de l’art, Rome
Maria Paola MAINO, Historienne de l’art, Rome




Dans l’Italie du début du XXe siècle, les arts décoratifs sont les héritiers d’une grande tradition artisanale et artistique, et ils se font les interprètes du désir de progrès d’une nation venant de trouver son unité. Ebénistes, céramistes, maîtres verriers travaillent souvent en collaboration avec les plus grands artistes, créant ainsi un véritable « style italien » destiné à influencer la naissance même du design moderne. Il s’agit là d’une période d’ « optimisme paradoxal», comme le souligne le titre de cette exposition dont l’objectif est de mettre en avant ces décennies d’intense créativité sur fond d’une société en profonde mutation, nourrie tout d’abord par les espoirs apportés par le gouvernement Giolitti, mais qui finira par connaître le traumatisme de la première guerre mondiale et l’issue tragique du régime mussolinien. Afin d’explorer ce climat, l’exposition présentera un parcours chronologique composé d’une centaine d’oeuvres, basé sur un dialogue continu entre arts décoratifs et arts plastiques.

Le début du XXe siècle est caractérisé par l’affirmation de l’Art Nouveau, connu dans sa version italienne comme « style Liberty » ou « floréal ». S’affirmant à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs de Turin en 1902, le style Liberty acquiert une originalité particulière dans les oeuvres d’artistes et artisans tels que Carlo Bugatti, Galileo Chini, Eugenio Quarti, Ernesto Basile, Carlo Zen. Leur goût pour les lignes sinueuses inspirées des formes de la nature, aux accents parfois exotiques, se rattache à l’oeuvre des peintres divisionnistes, proches des tendances symbolistes répandues dans toute l’Europe et représentées dans l’exposition par d’importants tableaux de Previati, Segantini, Morbelli, Pellizza da Volpedo.

Désormais dominant au sein de la nouvelle classe bourgeoise, le Liberty voit bientôt apparaître un rival à la volonté fortement « anti-passéiste », à savoir le Futurisme. Ce mouvement d’avant-garde, créé en 1909 par Filippo Tommaso Marinetti, ne commencera toutefois à imprégner les arts décoratifs qu’après la première guerre mondiale, durant la période dénommée « second futurisme ». En 1915, Giacomo Balla et Fortunato Depero signent un manifeste intitulé « Reconstruction futuriste de l’univers », qui annonce la volonté d’étendre l’esthétique du Futurisme à tous les aspects de l’art et de la vie. Ces deux artistes, qui déclarent vouloir reconstruire l’univers « en lui infusant la joie », donneront eux-mêmes vie à une multitude d’objets d’art décoratif et d’usage quotidien, allant des meubles aux vêtements en passant par les tapisseries et les jouets.

Durant les années du « rappel à l’ordre » – qui font suite, dans toute l’Europe, à la saison des avant-gardes, le retour à la culture classique se décline en Italie sous des formes très diverses au sein des arts plastiques et décoratifs. Parmi les déclinaisons les plus suggestives, on trouve la Métaphysique de De Chirico et Savinio, et le Réalisme magique, dont Felice Casorati est le plus grand représentant. De façon analogue, une vision enchantée, suspendue entre inspiration classique et art déco, caractérise les céramiques de Giò Ponti, ou encore les premières créations en verre de Carlo Scarpa. En ce qui concerne la production architectonique et le mobilier, le style monumental de Giovanni Muzio et de Piero Portaluppi coïncide avec le retour au classicisme prôné par le « Novecento », le mouvement soutenu par Margherita Sarfatti et destiné à devenir le moyen d’expression « officiel » du régime fasciste. Néanmoins le régime sut également s’ouvrir, durant ces mêmes années, aux expérimentations modernistes d’artistes tels que Giuseppe Terragni et Mario Radice (les auteurs de la célèbre Casa del Fascio de Côme), dont se rapprochent les oeuvres abstraites de Fontana, Melotti ou encore Licini. Enfin, dans le domaine des arts appliqués, le style rationaliste – en accord avec les tendances européennes les plus avancées – et l’expérimentation de nouveaux matériaux par des créateurs tels que Albini, Baldessari, Figini et Pollini, marquent le passage vers la production industrielle et vers le design dans sa conception moderne.