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“Estefanía Peñafiel Loaiza” fragments liminaires
au Centre Photographique d’Île-de-France, Pontault-Combault

du 18 avril au 28 juin 2015



www.cpif.net

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 17 avril 2015.

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1/ 2/ 3/  Estefanía Peñafiel Loaiza, de la série un air d’accueil, 2013-2015. Photographies couleur. Courtesy Galerie Alain Gutharc.

 


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Interview de Marc Lenot, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Pontault-Combault, le 17 avril 2015, durée 16'47". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Marc Lenot, lauréat du Prix AICA 2014
(Association Internationale des Critiques d’Art)




Tout le travail d’Estefanía Peñafiel Loaiza, dans ses divers modes d’expression (symbolique, narratif, indiciel ou simplement évocateur) et ses divers médiums (photographie, vidéo, installation, texte, performance), fait montre d’une grande cohérence, comme si chacune de ses pièces était un fragment d’une oeuvre globale, dont nous ne voyons encore que les débuts, le liminaire. Il y est question de visibilité et d’absence, d’histoire et de mémoire, de déplacement et de territoire, et toujours avec une grande simplicité et une économie de moyens.

L’artiste franco-équatorienne Estefanía Peñafiel Loaiza a été accueillie en résidence de postproduction au CPIF entre octobre 2014 et janvier 2015, pour finaliser sa série d’images un air d’accueil. Comme le critique et blogueur Marc Lenot a obtenu le Prix AICA (décerné par un jury international de l’Association Internationale des Critiques d’Art en février 2014) pour sa présentation du travail d’Estefanía Peñafiel Loaiza, et que, outre la publication d’un livre avec le soutien de l’AICA, ce Prix donne lieu à la tenue d’une exposition, fragments liminaires, sans être une rétrospective du travail de cette jeune artiste, regroupe ici un certain nombre de ses travaux plus anciens au sein desquels sa série récente un air d’accueil est mise en perspective.

Marc Lenot




Cette exposition organisée à l’occasion du Prix AICA 2014, inaugure Les Précipités, un nouveau programme dédié à la cristallisation, à la visibilité, de projets de recherches en cours liés aux résidences de création artistique du CPIF. Il se veut propice à la surprise, l’innovation et l’impromptu.


fragments liminaires

Dès l’entrée dans l’exposition, nous sommes frappés par une absence, un manque, une invisibilité au sein d’une photographie, en fait, l’occultation d’un migrant, d’un clandestin, échappant ainsi à la surveillance (un air d’accueil). Ce retrait, cette protection par l’invisibilité, nous allons les retrouver avec les figures d’anonymes, de sans-grade, de sans-nom, gommées des photographies des journaux et préservées dans de petits bocaux (sans titre (figurants)). Plus loin, des textes disparaissent, occultés par une noirceur de suie qui n’en laisse plus voir que des bribes à peine lisibles (sous rature) ; un autre texte, un chapitre du livre relatant le voyage initiatique d’Henri Michaux en Équateur en 1929, disparaît lettre à lettre sous nos yeux pour mieux rester dans notre mémoire (préface à une cartographie d’un pays imaginé). Et face à ce grand mur tout blanc, apparemment vierge de tout signe, nous sommes pris dans un piège de la visibilité, où ce qui est montré est caché, où une ligne abstraite est rendue à peine visible, comme un imaginaire échappant à la perception (mirage(s) 2. ligne imaginaire (équateur)). Cette réflexion sur l’image et la visibilité sous-tend tout le travail d’Estefanía Peñafiel Loaiza depuis ses premiers objets secrets enfermés dans de la cire il y a douze ans (collection de secrets) jusqu’à ses plus récents travaux.

Il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas là une recherche purement formelle sur le visible et l’invisible, le latent et le manifeste, que mènerait Estefanía Peñafiel Loaiza, mais, pour elle, une telle recherche ne peut s’inscrire que dans l’histoire, et, partant, dans le politique. C’est bien d’oubli et de mémoire qu’il s’agit ici, de notre refus de voir, et de la volonté de l’artiste de révéler des fragments d’histoire et leurs protagonistes : clandestins, anonymes, détenus dans des centres de rétention (les villes invisibles 3. l’étincelle (Vincennes 2008)). Quelles images restent-ils de l’histoire ? Une main écrit et efface inlassablement : l’histoire, les histoires, l’Histoire, les Histoires se répètent (angelus novus) ; ailleurs, l’artiste rendait invisibles des photos avec la lumière même, trop forte ou inactinique, photographies du Sonderkommando de Birkenau (fiât lux) ou images des émeutes dans les ghettos de banlieue en 2005 (cherchant une lumière, garde une fumée), traces d’histoire dont la vision devenait alors impossible.

Or ce n’est pas de destruction qu’il s’agit là, mais plutôt de déconstruction, de transfert dans un nouveau territoire où le vestige de l’image puisse subsister autrement : reliquaires des figurants préservant les résidus du gommage de leur image, gravure d’un sonagramme dans des livres recouverts de cire (sismographes 3. entrenerfs), inscriptions fugitives sur des vitres ou des feuilles d’arbre témoignant de l’histoire du lieu, empreintes du palimpseste de la ‘peau’ du sol ou des établis d’une ancienne usine comme un vestige de son activité passée et une trace de sa vie présente (l’espace épisodique), ou moulage du socle d’une ancienne guillotine dans une rue de Paris (présent, imparfait). Ces déplacements, ces nouveaux lieux, leur histoire et leur culture forment une trame essentielle du travail d’Estefanía Peñafiel Loaiza. Il y est souvent question de lieux, de cartes, et du passage de l’un à l’autre, que ce soit l’équateur, la ligne d’horizon ou la vue depuis une chambre à Beyrouth (a room with a view (mode d’emploi)).

Tout cela est magnifié par sa capacité à jongler, à ébahir, à chambouler les points de vue de manière surprenante. Sans grandiloquence et avec des moyens délibérément modestes, elle parvient à tisser des liens forts et à transmettre un regard étonnant. Telle exposition d’elle a tenu dans une valise, telle autre s’est accompagnée de la dissémination de prières d’insérer dans les livres d’une bibliothèque, et ses performances sont souvent la mise en scène d’idées simples mais dramatiquement complexes (ainsi la lecture à l’envers des 18 Constitutions de son pays (compte à rebours)). La sobriété des moyens renforce la dimension percutante de son propos sur l’image et la mémoire.

Marc Lenot




Estefanía Peñafiel Loaiza (Quito , Équateur, 1978), après des études à l’Université d’arts plastiques de Quito, poursuit en 2002 ses études en France aux Beaux-arts de Paris, puis termine par deux post-diplômes aux Beaux-arts de Paris et Lyon. Elle vit et travaille à Paris, et est représentée par la galerie Alain Gutharc.