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“Henry Darger” 1892-1973
au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

du 29 mai au 11 octobre 2015



www.mam.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 28 mai 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Nathan Lerner, Grande Roue, vers 1935. © 2015 Kiyoko Lerner / ADAGP, Paris.
2/  Henry Darger, à Mc Calls Run Coller Junction une Vivian Girl sauve des enfants étranglés par un phénomène de forme effroyable. Reports au papier carbone, crayon graphite, aquarelle, gouache et collages sur papier vélin, 48 × 61 cm. © Eric Emo / Musée d'Art Moderne / Roger-Viollet. © 2015 Kiyoko Lerner / ADAGP, Paris.
3/  David Berglund, Portrait d’Henry Darger. © David Berglund Estate.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

La vie d'Henry Darger est celle d'un inconnu, d'un homme invisible dissimulé entre des petits boulots et une existence solitaire. L'œuvre qu'il laisse derrière lui, réalisée dans le secret de sa chambre, est un travail monumental : The Story of the Vivian Girls in the Realms of the Unreal est un roman de 15 000 pages, une saga guerrière dans un vaste monde imaginaire, ainsi qu'une imposante production graphique en illustrant l'univers et les péripéties.

L'exposition nous présente d'abord les pièces relatives à la création d'un monde. De grandes cartes délimitent plaines, montagnes et fleuves tandis que les diverses armées belligérantes se font face. Puis les drapeaux des nations et une galerie de portraits des généraux finissent de mettre en place les éléments du récit. La technique mixte mélange collage de photos de journaux, dessins décalqués au papier carbone et peinture à la gouache dans une spontanéité enfantine, une nudité naïve et crue que seul un autodidacte sait offrir.

L'épopée des Vivian Girls se déroule sur de longs panoramas de plusieurs mètres de long, nous rappelant les scènes épiques de batailles des estampes japonaises. Les héros en sont de petites filles en révolte contre l'oppression cruelle et guerrière des adultes. Parfois nues, elles se révèlent avoir des sexes de garçons. Cet aspect hermaphrodite n'est pas sexualisé mais souligne au contraire l'universalité de leur combat. Les Vivian Girls sont dessinées d'après décalque de livres pour enfants, de comics strips de journaux et de personnages d'albums à colorier. Cette imagerie enfantine se trouve projetée dans un monde d'adultes, violent et guerrier, que l'innocence du dessin à la gouache d'écolier rend finalement plus intense encore. Elles assistent ainsi à des épisodes barbares et terrifiants où les enfants sont pendus, crucifiés, étranglés, déchiquetés par des explosions dans un combat inégal contre des hordes de soldats sanguinaires. Pourchassées sans relâche, nos héroïnes font preuve de mille ressources, se cachant derrière des arbres ou roulées dans des tapis, s'évadant d'une prison à l'aide d'une corde. Parallèlement à la guerre des hommes, le danger menace sous forme de nuages sombres et de tempêtes. Cette obsession météorologique de Darger donne un côté mystique, religieux à son œuvre, montrant une force supérieure en mouvement, une violence bien supérieure dans son pouvoir destructeur que celle des hommes.

Le périple des Vivian Girls les amène à traverser des contrées peuplées d'animaux fantastiques, assemblages hétéroclites d'ailes de papillons, de têtes de chiens ou de fauves, de corps reptiliens. D'autres créatures importantes dans le récit sont les Blengins, des petites filles ailées à cornes et queues de dragons. Elles sont les alliées des enfants, les accueillant dans des tableaux paradisiaques à la végétation fleurie et luxuriante. Cette image est celle d'un jardin d'Eden où les enfants, enfin libérés de la folie des adultes, peuvent enfin trouver bonheur et harmonie. Henry Darger, profondément marquée par le christianisme, renverse ainsi le récit biblique pour le parcourir à rebours et revenir à un paradis d'enfance et d'innocence.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition : Choghakate Kazarian



Suite à un don exceptionnel de 45 oeuvres de la succession Darger en 2012-2013, le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris consacre une exposition à l’une des figures mythiques du XXe siècle : Henry Darger (1892-1973). Complétée par des prêts d’institutions internationales, l’exposition « Henry Darger,1892-1973 » recrée le monde imaginaire de l’artiste reconnu aujourd’hui comme l’un des représentants majeurs de l’art brut. Autodidacte et longtemps resté en marge du monde de l’art, Henry Darger a créé un monde singulier et étrange, mêlant imaginaire, récit historique et culture populaire américaine dans une oeuvre unique.

L’exposition rend compte des différents ensembles de cette oeuvre, découverte quelques mois avant sa mort : grands panneaux narratifs recto verso, drapeaux, portraits de personnages, ainsi que le chef-d’oeuvre Battle of Calverhine montré pour la première fois en France. Cette oeuvre de trois mètres de long représente la bataille inaugurale de la saga dargerienne ayant pour objet la révolte des enfants esclaves.

Né en avril 1892 à Chicago, Henry Darger, très tôt orphelin de mère, est placé dans un foyer pour handicapés mentaux. Il s’enfuit pour rejoindre à pied Chicago qu’il ne quittera plus, vivant de différents emplois modestes dans les hôpitaux. C’est pendant son temps libre, souvent la nuit, qu’il se livre à son grand oeuvre, dans une vie solitaire jusqu’à sa mort en 1973. Henry Darger produit en secret une oeuvre littéraire et picturale d’une ampleur exceptionnelle : un roman de plus de 15 000 pages dont le récit épique connu sous le titre The Realms of the Unreal (Les Royaumes de l’Irréel), est illustré par de grandes compositions (dessin, aquarelle et collage). Cette épopée relate l’histoire d’une guerre sans fin ayant pour origine la rébellion des enfants opprimés par le peuple des Glandéliniens. Une révolte soutenue par les Angéliniens, dont les aventures des héroïnes les Vivian Girls, sept petites filles, sont au coeur du roman.

La vie et l’oeuvre de Darger ont inspiré des générations d’artistes comme les frères Chapman, Paul Chan ou Peter Coffin ainsi que des auteurs contemporains comme Jesse Kellerman «Les Visages» ou Xavier Mauméjean «American Gothic». Cet engouement témoigne de la fascination qu’il génère depuis plusieurs années.

Cet événement sera accompagné d’une publication de référence sur le sujet comportant différents essais sur la vie et l’oeuvre de l’artiste, de témoignages et d’un dictionnaire permettant de comprendre l’univers complexe de la mythologie de l’artiste. «Henry Darger, 1892-1973» est réalisée grâce aux prêts du MOMA de New-York, de la Collection d’Art Brut de Lausanne et de collections privées.




À voir également : Nathan Lerner - Une donation -
du 29 mai au 13 septembre 2015 dans les collections permanentes



Commissaire de l’exposition : Emmanuelle de l’Ecotais



Parallèlement au don de 45 oeuvres de Henry Darger au musée, Kiyoko Lerner a offert en 2014 un important ensemble de photographies de son mari Nathan Lerner (Chicago, 1913-1997). Le Musée d’Art moderne lui rend hommage en présentant une large sélection de cet ensemble dans une salle de ses collections permanentes.

Issu d’une famille de juifs russes émigrés aux États-Unis, Lerner étudie très jeune à l’Art Institute de Chicago. A partir de 1932, il commence à photographier le quartier populaire de Maxwell Street près duquel il a grandi et témoigne de la Grande Dépression américaine. Intimement lié à sa ville natale, il en dévoile les moindres recoins proposant ainsi une définition de cette grande ville du nord-est américain. Ce projet de photographie documentaire n’est alors qu’une facette de son travail puisqu’à l’occasion de nouvelles rencontres, le photographe développe une pratique innovante : l’invention de la « light box » lui permet d’explorer les limites de l’abstraction grâce à des jeux de lumière sur des objets divers et variés. Chicago attire de nombreux réfugiés allemands, tels que des personnalités clés du Bauhaus fermé en 1933 : László Moholy-Nagy et György Kepes diffusent alors l’héritage de la photographie européenne et fondent, avec Walter Gropius, le New Bauhaus de Chicago, dont Lerner est l’un des premiers élèves. En 1939, Lerner assiste Kepes dans l’atelier Lumière pour en prendre la direction dès 1941. En charge de l’enseignement du design à partir de 1945, il crée quatre ans plus tard son propre cabinet spécialisé en design industriel, laissant de côté sa passion pour le médium photographique. Cette nouvelle discipline l’éloigne de la photographie jusqu’en 1971, pratique avec laquelle il renoue lors d’un voyage au Japon avec son épouse, Kiyoko Lerner.

L’oeuvre de Nathan Lerner a fait l’objet de nombreuses expositions aux Etas-Unis, au Japon et en Europe, dont une importante rétrospective en 2008 au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris.

Le fonds exposé ici en partie est un don exceptionnel à plus d’un titre : par son ampleur (230 oeuvres qui couvrent l’ensemble de sa carrière), par sa qualité, mais aussi par son aspect inédit : beaucoup d’oeuvres n’ont encore jamais été publiées ni même dévoilées au grand public, notamment une série de photographies prises au Mexique.