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“Valérie Jouve” Corps en résistance
au Jeu de Paume, Paris

du 2 juin au 27 septembre 2015



www.jeudepaume.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 1er juin 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Valérie Jouve, Sans titre, avec Tania Carl, 2014-2015. C-print, 100 x 130 cm. Production : Jeu de Paume. © Valérie Jouve / ADAGP, 2015. Courtesy de la galerie Xippas, Paris.
2/  Valérie Jouve, Sans titre (Les Personnages avec le petit François), 1994-1995. C-print, 100 x 130 cm. © Valérie Jouve / ADAGP, Paris 2015. Courtesy de la galerie Xippas, Paris.
3/  Valérie Jouve, Sans titre (Les Personnages avec Josette), 1991-1995. C-print, 100 x 130 cm. © Valérie Jouve / ADAGP, Paris 2015. Courtesy de la galerie Xippas, Paris.

 


1638_Valerie-Jouve audio
Interview de Valérie Jouve,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 1er juin 2015, durée 15'34". © FranceFineArt.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Montage
Pour Valérie Jouve cette exposition n’est ni un accrochage, ni une présentation de son travail. Il s’agit plutôt d’un montage, d’une construction qui donne un autre sens aux images. Ce montage permet, dans le même espace, des rencontres, improbables dans la réalité, comme celle, par exemple, d’un sous-bois et d’un immeuble imposant. Ces rencontres improbables, elle les met en scène, au sein des images même, comme dans Sans titre (les situations), montage de cinq ou six photos qui nous montre dans la même rue des passants de dos qui viennent de Park avenue et des passants de face qui viennent de Broadway. Le travail de montage est très fin, ce qui plonge le spectateur dans un certain trouble. Il faut que les images gardent un certain niveau de réalité dit-elle. Ce qui l’intéresse lorsqu’elle coupe ses tirages à la main, c’est aussi ce qu’elle recherche avec l’utilisation de la chambre. Elle cherche à créer une image qui remet en cause l’espace perpectiviste, qui permet de sortir la photographie de sa centralité. La chambre lui permet par exemple d’aplanir l’image, en mettant un mur à distance. Le cadrage lui permet de capturer ses personnages le plus souvent sans ancrage au sol. Ce qu’elle recherche, c’est ce qui permet un basculement, un décentrement, un dépassement des règles de l’optique. Elle veut donner à voir ce qu’on ne peut pas voir de nos propres yeux, pour que le spectateur se pose de nouvelles questions.

Une image active
Car Valérie Jouve offre des images qui n’affirment rien mais qui soulèvent des questions. Elles sont proches dans ce sens la, des images pensives qu’évoque Jacques Rancière dans le spectateur émancipé. Elle veut que ses images soient actives, ouvertes, permettant à chacun de se projeter, de créer sa propre narration. Pour cela l’image se doit de rester irrésolue, d’ou l’absence au premier abord de titres ou d’indications sur les lieux. Si le spectateur identifiait rapidement ce dont il s’agit, il ne chercherait plus à comprendre, passerait rapidement à autre chose, l’image aurait perdu de sa puissance. Il s’agit donc de déplacer les regards, de faire penser les choses autrement. Il en est de même pour ses personnages, ceux-ci existent, s’affirment, ils sont acteurs de l’image. Il s’agit d’une collaboration à travers laquelle Valérie Jouve rend hommage à des anonymes, des personnages hors normes, qui si ils n’ont pas de pouvoir dans la société, sont animés d’une incommensurable puissance. Un peu comme ces corps dans un espace donné, les images de Valérie Jouve résistent. D’une présence indéniable, elles restent mystérieuses et deviennent le socle de multiples interprétations.

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition : Valérie Jouve, Marta Gili et Pia Viewing



Le travail photographique et filmique de Valérie Jouve est fondé sur l’alchimie entre les corps et l’espace, l’humain et le paysage urbain. Intitulée « Corps en résistance », l’exposition du Jeu de Paume permet de découvrir un ensemble conséquent d’oeuvres réalisées par l’artiste entre la fin des années 1980 et aujourd’hui.

Après des études d’anthropologie, Valérie Jouve (née à Saint-Étienne en 1964 ; vit à Paris) suit l’enseignement de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles avant de devenir photographe et cinéaste. Elle appartient à la génération de ces artistes qui, en France, se sont éloignés de la grande tradition humaniste des reportages photographiques, sans pour autant en rejeter complètement les éléments essentiels.

Les photographies et les films de Valérie Jouve relèvent tout autant de l’art contemporain et du documentaire de création que de l’anthropologie et de la sociologie. Donnant à voir des personnages en mouvement et des architectures, ils interrogent la présence du corps dans la ville et les manières d’habiter l’espace. Les deux sujets classiques du paysage et du portrait sont associés de telle sorte que, dans la densité de situations urbaines, prennent place des scènes hautement chorégraphiées.

Les compositions photographiques de Jouve esquissent un espace trouble, volontairement indéterminé, que souligne le Sans titre de ses corpus d’images. Formant un ensemble ouvert, complété par l’artiste au fil du temps, chaque corpus est identifié par un sous-titre générique précisé entre parenthèses : Les Personnages, Les Façades, Les Passants, La Rue, Les Situations, Les Arbres

La sélection présentée au Jeu de Paume couvre plus de vingt ans du travail de l’artiste. Le parcours crée une tension entre ces images fixes et une série de films interrogeant la ville et ses marges, depuis Grand Littoral et Traversée jusqu’à la nouvelle pièce de Valérie Jouve, Blues*. Réalisée spécialement pour cette exposition, Blues évoque le problème du pouvoir abusif de certains sur d'autres (pays, hommes). Valérie Jouve est partie au Guatemala filmer et photographier ce qu'il advient du paysage après l'arrivée et l'exploitation du sol par les gringos, comme les appellent les indiens natifs. Composée d'un ensemble de cinq séquences filmiques projetées, de photographies et d'enregistrements sonores, cette oeuvre se construit autour d’une figure principale, Tania Carl, chanteuse de blues, partie de France pour le Guatemala.

À la façon d’une composition musicale, Valérie Jouve envisage l’accrochage de « Corps en résistance » de manière à produire un mouvement dans lequel le spectateur est aussi acteur.

Je cherche à évoquer une certaine intensité du monde vivant. […] Je travaille l’habitation d’un espace et souhaite que les spectateurs vivent une expérience de cet espace-là, au travers des images. Valérie Jouve

Les corps sont habités par l’espace qu’ils parcourent, ils deviennent parfois machinaux tant la répétition des gestes du quotidien les façonnent. Les Situations, Les Parcours et Les Sorties de bureau illustrent la mécanique des corps opérant un déplacement entre l’espace intérieur et l’espace public.

Le regard de l’artiste sollicite la forte résistance aux normes impersonnelles du territoire, de ces sujets sans nom qui sont silencieusement nommés par la voix qui habite ces images. Marie-José Mondzain

Dans l’oeuvre de Valérie Jouve, les espaces urbains ou périurbains sont marqués par les ensembles bâtis, excluant la terre. Certaines images représentent des espaces génériques à la géométrie implacable, alors que d'autres images mettent en scène l’être humain, à échelle réelle, comme une puissance active dans la ville et un appel à l’action.

Parce qu’elle ressent les êtres vivants […] comme déconnectés d’un réel absorbant, pour ne pas dire étouffant. […] La plupart des figures d’hommes et de femmes […] font effraction, avec soudaineté […]. La recherche de la photographe se place du côté de la résistance, de la force et de la présence, donc de ce qu’elle appelle « être là ». […] Elle incite alors à ce « décalé » par rapport à nos habitudes, nos perceptions et à notre résignation. Arlette Farge


Les citations d’Arlette Farge, de Marie-José Mondzain et de Valérie Jouve sont extraites du catalogue de l’exposition, Valérie Jouve. Corps en résistance, coédition Jeu de Paume / Filigranes Éditions, 2015.

Un catalogue est publié à l’occasion de l’exposition. Textes d’Arlette Farge et de Marie-José Mondzain ; entretien de Marta Gili et Pia Viewing avec Valérie Jouve. Coédition Jeu de Paume / Filigranes Éditions. 160 pages, 33 €