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“Anish Kapoor” Versailles
au Château de Versailles

du 9 juin au 1er novembre 2015



www.chateauversailles.fr

www.chateauversailles-spectacles.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, conférence et vernissage presse, le 5 juin 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Anish Kapoor, Sky mirror, 2006. Stainless steel. Diamètre 10m. Kensington Gerdens, 2010-11. Photo : Dave Morgan.
2/  Photographie Jillian Edelstein. Anish Kapoor.
3/  Anish Kapoor, Symphony for a Beloved Sun, 2013. Stainless steel, wax, conveyor belts. Dimensions variable. Photo : Dave Morgan.

 


1642_Anish-Kapoor audio
Interview de Alfred Pacquement, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 5 juin 2015, durée 4'09". © FranceFineArt.
(de gauche à droite Anish Kapoor, Catherine Pégard et Alfred Pacquement)

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Un immense miroir reflète la perspective des jardins en inversant la terre et le ciel. La surface se recourbe jusqu'au point où la réflexion finit par se refléter elle-même. Tel un cliché photographique plongé dans son bain révélateur, l'image qui se développe ainsi expose de manière ludique mais pourtant inexorablement crue à quel point nous nous illusionnons nous-mêmes. L'image de ce monde renversé est un bombardement du jardin de Le Nôtre, construction normée, civilisatrice, soumettant la nature et le paysage au pouvoir d'une élite, d'une idéologie et par là de nos représentations.

Dans la salle du Jeu de Paume, Anish Kapoor a pointé un canon vers un coin de murs blancs. Des obus de cire rouge peignent un tableau de leur impact et finissent par s'amonceler au sol. Leur aspect est frais, organique, comme si au moment où nous arrivons, le canon était encore fumant de son dernier projectile tiré. A la violence du dispositif se superpose la violence de cette matière rouge sang, rappelant la matière dont nos corps sont constitués, ces fluides pourtant vitaux que nous dissimulons si bien sous nos vêtements et nos coutumes.

Le jardin du château de Versailles devient alors un corps dont les tabous qui l'entravent finissent par céder, débordés par l'énergie vitale de ses organes. Après une reconnection à l'univers par la simplicité du ciel reflété dans un miroir parabolique, apparait au centre de la grande perspective un impressionnant objet d'acier brut. Gisant au milieu d'énormes rochers et blocs de marbres, une bouche géante a émergé des entrailles de la terre, l'orifice se prolongeant par une longue caverne sombre de plaques boulonnées comme une coque de sous-marin. L'objet mélange les attributs féminins et masculins, sorte de phallus/vagin, agressif comme un missile. L'irruption d'une sexualisation n'est pas une provocation, elle est l'élémentaire nature du vivant, la caractéristique organique du monde, celle qui véhicule la vie et le cycle de sa régénération.

Des vagues d'écume tourbillonnent dans un puissant vortex, océan circulaire animé dans une spirale perpétuelle. Les vagues de cette mer originelle plongent jusqu'au centre de la terre, nous dit l'artiste.
Sous nos pieds, le sol vibre et gronde dans un rugissement continu, la force maternelle de la nature créatrice face à laquelle nulle objection ne peut s'opposer.

La dernière objection de notre civilisation finira balayée elle aussi. Un cube noir démesuré se dresse au centre du Bosquet de l'Etoile tel le monolithe du film 2001 l'odyssée de l'espace qui signifiait la mutation des singes d'animaux à hommes. Sauf qu'ici l'objet au design parfait d'icône technologique marketée est traversée de passages et d'orifices. La nature biologique à laquelle nous appartenons triomphe sans effort de toute l'inventivité, de tout l'acharnement industrieux de l'humanité. L'ironie triste de cette démonstration réside dans la nécessité d'un travail si démesuré, de tant de matière et de main d'œuvre pour nous révéler à notre naturelle simplicité.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition : Alfred Pacquement



Artiste britannique d'origine indienne né en 1954, Anish Kapoor installe ses oeuvres, dont plusieurs inédites, dans les jardins du Château de Versailles, en dialogue avec les perspectives de Le Nôtre, les fontaines et les pièces d'eau. Il est également le premier artiste à investir la salle du Jeu de Paume avec une installation spectaculaire.

Anish Kapoor propose un dialogue avec l’histoire qui a marqué ces lieux prestigieux, jusque dans leur apogée révolutionnaire et démocratique. Une exposition phare qui prend le Domaine National à bras le corps.




Anish Kapoor par Catherine Pégard, Présidente de L’Etablissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles.

L’exposition d’Art contemporain à Versailles commence toujours par une marche. La première rencontre avec l’artiste. Ou plutôt la première rencontre de l’artiste avec le château de Versailles. Qu’il soit ou non familier des lieux, son regard, ce jour-là, change comme s’il était dessillé par la perspective de s’y installer. Et il est plus important que ses mots : il jauge l’immensité et le poids de cette architecture unique et il se jauge aussi à l’aune de cet environnement exceptionnel. Dès le premier jour, en quelques sorte, il n’y a plus rien que cette relation singulière où l’un se mesure à l’autre. Nous marchions avec Anish Kapoor. D’un bon pas, d’un pas d’arpenteur. Et dans un silence coupé de quelques mots où il était question de Le Nôtre né – clin d’œil de l’histoire – un 12 mars comme Anish Kapoor, la promenade s’éternisait. A la fin, Anish Kapoor demanda de réfléchir. Quelle anxiété pour nous ! Mais quelle humilité de la part d’un artiste habitué à tous les théâtres.

Un an plus tard, Anish Kapoor proposait « son » parcours dans les jardins de Versailles. Comme Giuseppe Penone, comme Lee Ufan, il avait identifié secrètement, oeuvres et emplacements. Comme eux, les yeux en compas, il pensait d’abord grandeur, proportions. Lui qui pourtant avait magistralement occupé l’espace du Grand Palais en 2011 avec son Leviathan n’en était pas quitte pour autant des 800 hectares du domaine de Versailles.

Mais au-delà de la topographie de ce territoire conquis, discipliné par Louis XIV avec Le Nôtre, peut-être se trouvait-on au coeur-même de la pensée d’Anish Kapoor, à la fois ingénieur et philosophe, architecte et poète, dans cette appréhension de l’espace. Anish Kapoor a fait la démonstration ici ou là, qu’il était fou d’espace, l’espace qu’il traite, a-t-il confié, comme une « idée poétique » non pas dans ses limites mais pour tout ce qu’il implique. Ce que nous voyons et ce que nous ne voyons pas, les sens accumulés par l’histoire…

Pour Anish Kapoor, l’oeuvre n’existe pas seule mais par celui qui la voit. Le visiteur de Versailles se perdra dans les dualités qui marquent le travail de l’artiste : terre et ciel, visible et invisible, dedans et dehors, ombre et lumière… Cet univers n’est lisible que par l’imaginaire. L’originalité de cette exposition, ce qui la rendra unique, même aux yeux de ceux qui suivent depuis longtemps Kapoor de par le monde, c’est que cet imaginaire rencontre à Versailles celui que l’histoire a sédimenté. Ce paysage si maîtrisé est happé par l’instabilité. Les terrains sont incertains et mouvants. L’eau y tourbillonne. Les ruines, hier romantiques, s’emparent du tapis vert. Le pas bute sur de faux labyrinthes. Les miroirs, si liés à Versailles, le déforment. C’est un monde au bord du basculement peut-être. Ce n’est pas un hasard si Anish Kapoor, le premier, a voulu pousser la porte de la salle du Jeu de Paume qu’il regarde comme une oeuvre, pour y poser une installation.

Anish Kapoor nous entraîne à Versailles, dans une histoire cachée.




Anish Kapoor par Alfred Pacquement, Commissaire de l’exposition.

Anish Kapoor est l’artiste qu’a choisi Catherine Pégard pour l’été 2015 à Versailles. Sculpteur aux créations très diverses, toujours intrigantes, souvent déstabilisantes, il va déployer un choix de ses oeuvres, dont plusieurs inédites, principalement dans les jardins, mais aussi pour la première fois, depuis que les artistes contemporains sont invités à exposer à Versailles, dans l’historique salle du Jeu de Paume avec une installation spectaculaire.

Le public français a pu découvrir au Grand Palais en 2011 le gigantesque Leviathan d’Anish Kapoor, une immense structure gonflable pénétrable à l’intérieur de sa sombre membrane comme visible de l’extérieur, provoquant une expérience physique autant qu’un choc esthétique pour tous ceux qui y ont été confrontés.

A Versailles, Kapoor intervient avec un projet entièrement pensé pour ces espaces chargés d’histoire et dont l’ensemble de son exposition veut s’imprégner. Tout autant que le génie de Le Nôtre, ce sont donc les épisodes historiques ayant traversé ces lieux prestigieux qui ont suscité ses interventions dans la perspective du grand canal, mais aussi dans un des bosquets et au Jeu de Paume.

Né à Bombay (aujourd’hui Mumbai), Anish Kapoor est l’un des artistes britanniques majeurs de sa génération. Ses origines indiennes ont fortement marqué les débuts de son oeuvre de sculpteur. Les premières oeuvres, au début des années 80, se caractérisaient par l’application de poudres de pigment aux couleurs vives débordant au sol, rouges, jaunes ou bleus intenses. Les formes énigmatiques qu’elles recouvraient pouvaient évoquer de petites architectures imaginaires, ou encore des sortes de végétaux. Ces premières sculptures ont pu identifier Kapoor dès le début comme un artiste associant un certain héritage minimaliste aux formes naturelles et organiques qu’il n’a ensuite cessé de développer.

Le pigment est resté un matériau souvent utilisé par l’artiste qui accorde à la couleur une importance rare chez les sculpteurs. Il a pu le déposer à l’intérieur de cavités creusées dans la pierre, contribuant ainsi à créer un vide mystérieux que le spectateur ne sait comment appréhender. De même, lorsqu’il utilise des miroirs courbes et polis sur de grandes dimensions, comme par exemple le Sky mirror, l’architecture ou le paysage qui s’y reflètent traduisent un monde instable et changeant, déconstruisant l’espace environnant. Homi K. Bhabha a pu parler à leur sujet d’ «oeuvres insaisissables».

La fascination que l’on peut éprouver face à ces sculptures, va de pair avec un sentiment d’inquiétante étrangeté. «Je ne veux pas réaliser une sculpture qui ne soit qu’une forme, cela ne m’intéresse pas vraiment. Ce que je veux faire, c’est une sculpture qui traite de la croyance, de la passion ou de l’expérience» a déclaré Kapoor.

Exposer le vide, insister sur les contrastes, expérimenter de nouveaux matériaux en prenant parfois le risque d’une certaine violence dans le résultat caractérisent la sculpture de Kapoor. Attiré par tout ce qui se rattache au corps, il s’intéresse à la face cachée des objets, au négatif de la forme. Le spectateur est parfois invité à pénétrer dans les sculptures qui se présentent alors comme des architectures, à en vivre l’intériorité et à voir révélés leurs surprenants espaces dissimulés depuis l’extérieur.

L’expérience à laquelle il aspire, l’artiste peut aussi la proposer avec des matériaux chargés comme la cire grasse de couleur rouge sang qui renvoie à la chair et aux entrailles. Tel est le cas de Shooting into the corner, une sculpture-installation-performance qui sera montrée en France pour la première fois. Evocatrice sans jamais figurer la réalité, la sculpture de Kapoor est « paysage du corps ». Les oppositions entre le brut et le poli, le plein et le vide, la masse et l’absence de masse caractérisent sa démarche.

Artiste de la monumentalité, dont les réalisations dans des espaces publics sont déjà nombreuses et particulièrement frappantes, de Chicago à Jérusalem, Kapoor aborde Versailles avec ambition et lucidité, reprenant à travers les sculptures rassemblées quelques uns des thèmes qui ont alimenté l’imaginaire des siècles qui se sont écoulés dans ces lieux : la magie des ruines, l’énergie des eaux mouvantes, la force symbolique du soleil, le secret des bosquets, le reflet des miroirs, la conquête de la liberté.