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“Lartigue” La vie en couleurs
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 24 juin au 23 août 2015



www.mep-fr.org

www.lartigue.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 23 juin 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Jacques Henri Lartigue, Sylvana Empain, Juan-les-Pins, août 1961. Photographie J. H. Lartigue © Ministère de la Culture - France / AAJHL.
2/  Jacques Henri Lartigue, Florette, Vence, mai 1954. Photographie J. H. Lartigue © Ministère de la Culture - France / AAJHL.
3/  Jacques Henri Lartigue, Bibi à l’île de Saint-Honorat, Cannes, 1927. Photographie J. H. Lartigue © Ministère de la Culture - France / AAJHL.

 


1657_Lartigue audio
Interview de Martine d’Astier et Martine Ravache, commissaires de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 23 juin 2015, durée 15'31". © FranceFineArt.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Surtout célébré pour ses photographies en noir et blanc, Jacques-Henri Lartigue s’est pourtant beaucoup intéressé à la couleur. La Maison Européenne de la Photographie, en lui consacrant une exposition sur toute cette partie de son travail peu connue, dévoile un photographe amoureux de la vie et toujours prêt à s’émerveiller de ce qu’elle a à lui offrir.


La poésie des couleurs

« La vie en couleurs », voilà qui résume bien en effet l’impression qui se dégage des photographies en couleurs de Jacques-Henri Lartigue présentées à la Maison Européenne de la Photographie. C’est tout un pan surprenant de cet artiste dont on connait surtout le travail en noir et blanc qui se dévoile ici, dans ces instants de grâce volés au temps où se manifestent, des premiers autochromes réalisés entre 1912 et 1927 jusque dans ses dernières œuvres à la fin des années 1970, sa joie et son émerveillement perpétuels face à la vie. De ses paysages de Provence et d’Italie baignés de soleil, comme ce champ de coquelicots sauvages (Florette dans le Morgan, mai 1954) ou ces arbres parés de fleurs d’un blanc éclatant (Piozzo, 1960), il émane une chaleur presque perceptible de leurs couleurs chatoyantes. Plus loin, une fleur d’un rose profond semble dériver sur la surface d’une eau turquoise (La Havane, 1957), image même d’une sérénité presque contemplative. Mais ses œuvres savent aussi se faire oniriques, tels ces paysages plongés dans la brume où surgissent par intermittence les cimes des arbres effleurées par les délicats rayons orangés d’un soleil qui se lève (Vu de ma fenêtre, Opio, 1976).

Quand il ne photographie pas les paysages, Jacques-Henri Lartigue capture famille, amis mais aussi inconnus, qu’il saisit sur l’instant. Il offre ainsi un portrait décalé de Cecil Beaton, chapeau vissé sur la tête assis devant un massif de fleurs (Cecil Beaton, Reddish House, 1979), qui impose délicatement sa présence sur une partie du cliché, comme pour laisser place à la nature. Témoin d’un mariage dans les rues de Saint-Dalmas de Tende, il photographie les jeunes mariés, penchés sur un balcon et salués par un joyeux groupe d’enfants qui tendent les mains vers le ciel comme pour saisir le bouquet lancé par la jeune mariée (Saint-Dalmas de Tende, 1958). Mais si Jacques-Henri Lartigue a un sujet privilégié, il s’agit bien de Florette, sa troisième épouse, qui remplace Madeleine, « Bibi », sa première muse, dès le début des années 1960. Assise en tailleur, elle se glisse au sein des tableaux de Picasso sur Florette chez Picasso (1955) ou pose, le dos appuyé contre une vasque de fleurs, silhouette jaune délicate qui se détache sur les murs lumineux et chauds de la ville de Piozzo (Florette, Piozzo, 1960). Figure centrale, elle semble alors structurer toutes les photographies sur lesquelles elle se détache.


La vie spontanée

Attentif aux couleurs, loin du noir et blanc qui fige et idéalise un sujet, Jacques-Henri Lartigue retranscrit ce qui l’émerveille. Sa sensibilité, les contrastes entre les différentes teintes qui envahissent les clichés, confèrent alors une incroyable poésie et un charme délicat aux objets de son regard. S’il donne presque à sentir les chaleurs de l’été quand il photographie l’Italie, la Provence ou La Havane, il rappelle aussi la beauté et les enchantements de l’automne comme de l’hiver, que ce soit à travers la vision des phares d’une voiture solitaire plongée dans la brume matinale qui envahit la campagne (Route Paris, 1965), ou en capturant le bois de Boulogne recouvert de neige au petit matin, les arbres effleurés de soleil ployant sous leur charge blanche (Bois de Boulogne, 1956). Les jeux d’ombre et de lumière, la transparence de l’eau qui se transforme en miroir, Jacques-Henri parvient à les restituer pour offrir des photographies d’une douce sensualité.

À les voir, on pourrait alors penser que la construction de ces œuvres, qui s’apparentent à de petits tableaux colorés, parfois presque impressionnistes dans la façon dont ils représentent la nature telle qu’elle s’offre dans ses contrastes, a été savamment pensée. Pourtant, il ne s’agit que de fixer un moment qui passe, un spectacle éphémère dont le photographe est témoin. Florette et Stéphanie au Jardin exotique de Monaco (1964), qui représente les deux jeunes femmes encadrées par des fleurs exotiques alors qu’elles parcourent les allées du lieu, est ainsi pleine de spontanéité. Tout comme Florette et Pierre Sicard, Palm Spings (1962) qui a pour cadre une station à essence typiquement américaine et sur laquelle Florette est saisie comme par hasard sur la banquette de la petite camionnette blanche qui leur sert de transport. La plupart de ces photographies nous plongeraient alors presque dans l’intimité de Jacques-Henri Lartigue, nous faisant ainsi découvrir les aspects et les accidents de la vie qui l’ont charmé. Des paysages urbains aux spectacles de la nature, des portraits de Bibi puis de Florette à la capture d’inconnus, comme ces deux amoureux allongés sur une plage de galets de Dieppe (Dieppe, 1962), Jacques-Henri Lartigue nous fait alors voyager dans un merveilleux tourbillon de couleurs et de vie.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition :
Martine d’Astier, directrice de la donation Jacques Henri Lartigue
Martine Ravache, historienne de l’art et spécialiste de la photographie
Assistante : Céleste Haller

Exposition organisée par la Maison Européenne de la Photographie et l’association des amis de Jacques Henri Lartigue (dite donation Jacques Henri Lartigue), sous tutelle de la direction générale des patrimoines, ministère de la culture et de la communication




« Depuis que je suis petit, j’ai une espèce de maladie : toutes les choses qui m’émerveillent s’en vont sans que ma mémoire les garde suffisamment », écrit Lartigue dans son journal de l’année 1965. Il n’en faut pas plus à Lartigue pour glaner et collectionner dès l’âge de 8 ans et pendant 80 ans ces milliers d’instants fugitifs.

Ce n’est qu’en 1963 que Jacques Henri Lartigue – qui a déjà 69 ans – expose pour la première fois au Museum of Modern Art de New York quarante-trois des quelque 100 000 clichés réalisés au cours de sa vie. La même année, le magazine Life lui consacre un portfolio qui fait le tour du monde. Il devient alors immédiatement célèbre pour ses clichés noir et blanc de la Belle Epoque et des années folles (femmes élégantes au Bois de Boulogne, courses automobiles, début de l’aviation…). À son grand étonnement, Lartigue le dilettante devient du jour au lendemain l’un des grands noms de la photographie du XXe siècle, lui qui se croyait peintre.

L’exposition “Lartigue, la vie en couleurs“, présentée à la Maison Européenne de la Photographie du 24 juin au 23 août 2015, dévoile un pan inédit de son oeuvre. Bien que la couleur représente plus d’un tiers de la totalité de ses clichés, celle-ci n’a jamais été montrée ou exposée en tant que telle. Il s’agit d’une réelle découverte pour le public, non seulement parce que les photos présentées le sont pour la première fois ou presque mais aussi parce qu’elles révèlent un Lartigue inconnu et surprenant.




Lartigue a pratiqué la couleur à deux périodes de sa vie.

De 1912 à 1927 : Les autochromes
Ils sont rares et précieux. Une trentaine sur les 87 conservés à la Donation Lartigue sont montrés dans l’exposition. Avec l’enthousiasme de la jeunesse (il a 18 ans) et une fascination pour les “nouvelles technologies”, Lartigue expérimente le procédé autochrome, technique récemment commercialisée par les frères Lumière. Les plaques de verre de format 6x13, stéréoscopiques qu’il utilise permettent de voir en relief et supposent des perspectives choisies. La couleur, le mouvement et le relief sont autant de manières d’attraper l’insaisissable et la vie. Cependant la lourdeur de l’équipement et la lenteur du temps de pose l’amènent à délaisser cette technique et donc la couleur.

À partir de 1949 : le film couleur
Après vingt ans de photographie en noir et blanc, Lartigue s’intéresse de nouveau à la couleur. Avec son Rolleiflex, il privilégie le format carré jusque dans les années soixante-dix tout en pratiquant avec son Leica le format 24x36. Toujours fidèle à lui-même, il continue à documenter sa vie, à enregistrer les moments qui lui sont chers : « Je suis empailleur des choses que la vie m’offre en passant » (journal manuscrit, Paris, 1968). Par exemple, heureux avec sa jeune épouse Florette, il photographie Florette. Ses photographies sont si bien composées qu’on pourrait les croire mises en scène ou retouchées, en un mot fabriquées alors qu’elles sont toujours le fruit de la spontanéité et le miroir des plaisirs qu’il prend dans la vie. Pour ce photographe instinctif, la couleur célèbre la joie, la sensualité et se prête, mieux que tout, à la célébration du printemps, des saisons, du ciel et de la beauté sous toutes ses formes sensibles.

Qu’il ait été jeune ou âgé, Lartigue a toujours eu l’esprit juvénile. Rares sont ceux qui conservent leur vie durant une fraîcheur enfantine, une curiosité et un émerveillement comparables. « Lartigue n’a pas vieilli d’une heure depuis sa première photo » écrit René Barjavel en avril 1972. Est-ce cela qui explique la modernité évidente de ses photographies ? Une modernité – faut-il le préciser – que la couleur exacerbe au point de lui donner une sensibilité quasi contemporaine. Preuve supplémentaire, si elles datent bien des années 1950 ou 1960, ses images ne sont jamais nostalgiques pour autant. Leur énergie n’est pas celle du passé et Lartigue est définitivement une créature du futur.

Conscientes de la responsabilité qu’il y a à exposer plus d’une centaine de photographies inédites et dans le souci de rester fidèles à Lartigue, nous avons opéré une sélection à partir des choix de Lartigue lui-même. Les albums qu’il a réalisés au fil des ans, permettent d’en garder la trace. Quelques pages seront d’ailleurs exposées. Nous avons décidé de privilégier le format 6x6 qui traduit à la perfection la vision achevée de Lartigue. Preuve en est qu’il ne les recadrait jamais.

Comme il n’existe pas de tirages couleurs de l’époque, excepté ceux que Lartigue a collés dans ses albums, les épreuves de l’exposition sont des tirages pigmentaires faits à partir des positifs originaux.


Les autochromes
Les premiers autochromes de Lartigue, à partir de 1912, montrent de Lartigue sa vie de jeune homme oisif et créatif, au sein de sa famille. Les jeux au château de Rouzat, les sports d’hiver, les promenades dans la nature sont autant d’occasions de se mettre en scène (au déclencheur) avec toute la palette des couleurs de la vie. Dans les années 1920, c’est son épouse Bibi qui apparaît comme son modèle préféré. Sous le soleil de la Riviera, Lartigue en fait des images posées qui ressemblent à des tableaux, tant par le choix intimiste des sujets que par les jeux de lumière et de transparence.

Les saisons
« Je suis amoureux de la lumière, je suis amoureux du soleil, je suis amoureux de l’ombre, je suis amoureux de la pluie, je suis amoureux de tout. » Pour cet amoureux transi, la couleur du ciel est vitale. Toute l’année, tous les ans, Lartigue est attentif aux transformations de la nature qu’il exalte derrière son objectif et dont la couleur rend toutes les subtilités. Chaque saison l’inspire. En été, Lartigue se « gonfle de lumière ». C’est avec des images solaires qu’il suggère les grandes chaleurs, les ombres fraîches et les transparences. En automne, il conjugue l’eau, son élément privilégié, sous toutes ses formes : brume, brouillard, buée, pluie, inondations… Il aime aussi la neige, qui permet de prendre des images graphiques comme des estampes, ponctuées çà et là de touches de couleur vive. Enfin, l’arrivée du printemps met en transe cet homme qui, toute sa vie, s’est levé avec le soleil. Dans ses photographies comme dans sa peinture, c’est alors une véritable explosion de couleurs.

Les obsessions
Toute sa vie, Lartigue a été collectionneur : collectionneur d’images, d’autographes, de conquêtes, de records… Collectionneur de souvenirs, aussi, puisque c’est grâce à ses photographies qu’il peut conserver les instants de sa vie qui le rendent heureux. Aussi certains sujets semblent-ils tourner à l’obsession. C’est ainsi que dans ses albums, on trouve des images de fleurs par centaines. Les coquelicots, en particulier, semblent éveiller en lui un bonheur singulier, qu’ils poussent librement dans un champ ou qu’ils s’épanouissent gracieusement dans un vase. Il ne s’est jamais lassé non plus des brumes du matin sur la vallée qu’il aperçoit depuis sa fenêtre à Opio, donnant lieu, là encore, à toute une formidable collection d’images dont l’apparente répétition est le signe d’un bonheur sans cesse renouvelé. Mais la première de toutes les obsessions s’appelle Florette. Une trentaine d’années de différences d’âge et quarante ans de vie commune : Jacques et Florette sont un modèle de couple amoureux pour ceux qui les fréquentent. Et à en juger par les albums des années 1950 et 1960, Florette est bien la muse de Lartigue, le leitmotiv de son oeuvre couleur.

La vie des autres
C’est le monde des années cinquante et soixante « trop beau pour être vrai ». C’est la couleur du formica, des tabliers d’écoliers, des parasols, le temps du pèlerinage à Lourdes… En couleur, Lartigue photographie volontiers des anonymes, des gens modestes qu’il croise sans les connaître. Et proche de ses amis riches – lui qui ne l’est plus –, il en fait des portraits plus intimes et toujours élégants.

Les voyages
A partir des années cinquante, pour la première fois de sa vie, Lartigue sort du circuit rituel de toutes les années passées, séjours dans les stations balnéaires de Normandie, du Pays Basque ou de la Côte d’Azur. Il se lance d’abord à la découverte de l’Italie et des racines familiales de Florette, un monde populaire et solaire dont la frugalité répond à la sienne. Puis dans les années soixante, c’est l’Amérique. Lartigue s’y émerveille comme un enfant, ivre de grands espaces. Fasciné, il envisage même de s’y installer. L’Amérique le lui rendra bien. Grâce à elle, il deviendra célèbre du jour au lendemain.

Martine d’Astier et Martine Ravache, commissaires de l’exposition


Un livre sous la direction de Martine d’Astier et Martine Ravache, Lartigue, la vie en couleurs, publié aux éditions Le Seuil, 2015, accompagne l’exposition.