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“Simone et Lucien Kroll” Tout est paysage, une architecture habitée
à la Cité de l’architecture & du patrimoine, Paris

du 3 juin au 14 septembre 2015



www.citechaillot.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Marie-Hélène Contal, le 26 juin 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Usine K3, brasserie Kronenbourg, Sélestat, France, 1977. ©Atelier Lucien Kroll. ©ADAGP, Paris, 2015.
2/  100 logements, quartier des Brichères, Auxerre, France, 2003-2005 (avec Serge Renaudie, urbaniste). Photo ©Bernard Fasol.
3/  Réhabilitation de la ZUP Perseigne, Alençon, France, 1978. ©Atelier Lucien Kroll. ©ADAGP, Paris, 2015.

 


1660_Lucien-Kroll audio
Interview de Marie-Hélène Contal,
directrice adjointe de l'Institut français d'architecture et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 26 juin 2015, durée 19'28". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Lucien Kroll, Patrice Goulet et Marie-Hélène Contal



L’architecture n’est pas un « spectacle » mais une des composantes de notre monde comme le sont les phénomènes naturels. L’architecture n’est pas une marchandise, un narcissisme personnel ou collectif. Elle est un lien empathique entre les humains. Entre tout et n’importe quoi, tout est imbriqué : c’est la complexité. Cette attitude qui mêle étroitement scientifique et humanitaire. « Faire participer » n’est pas un argument de vente ni une simple politesse envers les habitants. C’est les considérer comme éléments indispensables à atteindre cette complexité. Aux trois qualités décrites par l’architecte vitruve dans son de architectura : firmitas, utilitas, et venustas (pérenne, utile et belle), il faut ajouter : humanitas. Les projets exposés ici sont à regarder comme des parcelles de cet univers complexe et non comme un geste esthétique et isolé d’un architecte. Lucien kroll


Si le titre de cette exposition reprend celui de leur dernier livre Tout est paysage*, c’est qu’il met ainsi le doigt sur l’essentiel : « notre approche est surtout paysagère, donc globale, relationnelle et de longue durée. Nous disons “paysage” dans le sens de milieu naturel complexe construit par des décisions entrecroisées, multiples, tissées, jamais par des règles rigides, droites et simplificatrices. Elle est de longue durée puisqu’elle considère le passé, l’existant, le non-dit, comme la trame sur laquelle se pose le nouveau projet qui n’est qu’un moment dans l’histoire et qui continue à évoluer sans nous. »

Lucien Kroll fut souvent regardé comme un utopiste ou un architecte en marge durant les années de productivisme industriel urbain. Alors que nous redécouvrons, encore une fois, à quel point cet urbanisme simpliste et violent a privé les villes des replis et des libertés sans lesquelles nous ne pouvons vivre-ensemble, nous nous souvenons que Lucien Kroll, avec une poignée d’architectes, n’avait pas transigé, imaginant des habitats conçus pour la civilité plutôt que pour le chemin de grue.

Mais alors que la transition écologique demande qu’on réalimente la pensée avec des sciences humaines et des sciences terriennes, le « tout est paysage » de Lucien Kroll préfigure la pensée des milieux habités qui s’esquisse aujourd’hui. Ville, nature, banlieues, champs, ces cloisonnements ne font plus sens car tout est milieu, tout doit faire milieu, pour l’homme.

Qu’il s’agisse de réparer l’habitat maltraité ou d’innerver patiemment le tout-paysage-naturel-urbain, les travaux de Simone et Lucien Kroll sont relus par la nouvelle génération d’architectes, qui cherche des ressources contre l’erreur et les trouve dans leurs travaux et leur façon de penser.

Cela fait plus de cinquante ans que Simone et Lucien Kroll poursuivent leur lutte et enchaînent, projets, conférences, articles, livres pour défendre, développer, approfondir une autre approche possible de l’architecture, écrivant des textes manifestes et dessinant des projets alternatifs, se battant sur les deux fronts, des idées et des faits, de la théorie et de la pratique, du fond et de la forme, opposant la retenue au gaspillage, l’humanitude à l’égocentrisme.

Chacun des textes de Lucien Kroll met à nu les mécanismes qui s’emploient à détruire ce qu’il appelle la “vicinitude”, cette proximité douce qui suscite les solidarités et rend les rapports humains bienveillants.

Mais il ne se contente pas de décrire et d’analyser ce qui détruit et fait le vide. Il fouille, explore et explique des alternatives positives et inclusives qui s’appuient sur l’écologie, la complexité et l’incrémentalisme (« la science de la débrouillardise : on apprend à marcher en marchant »).

Chaque projet révèle leur engagement. Ils ne travaillent pas dans l’utopie mais dans le réel, s’affrontant aux pires dérives de la modernité. Ce ne sont pas les monuments qui les intéressent, ni la célébrité qu’apportent des chefs-d’oeuvre, toujours narcissiques, mais le tissu des villes, ce terrain où les hommes vivent, se côtoient, se parlent, pleurent, rient, discutent, s’entraident, s’aiment.

Ils ne sont pas dans l’utopie, ils travaillent au plus près, le plus souvent là où cela va le plus mal, sur ces grands ensembles abandonnés qu’ils refusent de démolir mais dont ils pensent qu’il faut en inverser la logique en écoutant ceux qui y habitent plutôt que les technocrates.

Et c’est là précisément que se révèlent leur savoir faire, leur imagination et leur liberté. Les croquis sont d’une précision, d’une justesse, d’une exactitude confondantes, que ce soient des vues générales ou des détails constructifs. Ils sont simples, clairs, modestes, efficaces et toujours très beaux. Une telle habileté dans le dessin est devenue rare aujourd’hui. De même pour les plans qui révèlent la délicatesse et la minutie avec lesquelles sont organisées les masses, la subtilité des espaces, les enchaînements délicats des matériaux. C’est au vu de ces plans, souvent, que nous comprenons à quel point ce que nous avions cru simple et presque vulgaire au premier regard était au contraire d’une intelligence et d’une subtilité insoupçonnées.




Une exposition “paysanne”

Pas de parallèles, pas d’alignement militaire, pas de socle prétentieux, pas d’éclairage théâtral, pas de grandes photographies tape-à-l’oeil. Lucien Kroll a prévenu : « nous voulons une exposition paysanne ! ». C’est-à-dire simple, efficace, pragmatique mais aussi engagée, déterminée, joyeuse et non sans malice.

La galerie d’exposition renoue avec la clarté, le soleil peut y pénétrer, le ciel est visible, l’espace est fluide, complexe et varié comme un paysage. Sous les fenêtres, une immense page blanche couverte de dessins et de citations. C’est Kroll au fil de la plume, attentif, observateur, imaginatif, précis, habile, léger, délicat.

Dispersées au hasard, des bannières suspendues à des filets forment un paysage surprenant. Elles racontent, avec ses mots, ses photographies et ses dessins, près de 80 projets et réalisations : chacun est une aventure qui a commencé avec le lieu et les habitants et ne peut se concevoir qu’évolutif et habité ; il s’agit toujours de tissus et jamais de monuments se rêvant immortels.

Dans les alcôves, on peut admirer la qualité de dessins et de plans originaux provenant de l’atelier et de la collection du Centre Georges Pompidou – Musée national d’art moderne ; ou encore écouter Lucien et Simone Kroll expliquer leur démarche et raconter en détail les dessous de quelques projets significatifs. De quoi juger de la somme de travail produit et découvrir la diversité et la richesse d’espaces, de formes et de matières de chaque projet.



Prélude : un dépaysement

Juste avant de pénétrer dans l’exposition, de grandes toiles d’Yves Bélorgey nous invitent à voir d’un oeil neuf cette architecture qu’on ne sait pas regarder. Depuis 20 ans, il dresse un portrait de l’architecture des XXe et XXIe siècles qui incite à s’interroger sur sa signification, sa pertinence et son éventuelle beauté. S’il a surtout peint des grands ensembles “ordinaires”, il s’est aussi intéressé depuis quelques années aux oeuvres alternatives de Ralph Erskine, l’Atelier 5, Jean Renaudie, Renée Gailhoustet, Lacaton & Vassal et Lucien Kroll.

En 2012, une nouvelle édition augmentée de son livre Tout est paysage, publié en 2000, est parue chez Sens & Tonka. En 2013, du 25 septembre au 1er décembre, le Lieu Unique à Nantes a présenté, à l’initiative de Patrick Bouchain, une première rétrospective sous le titre de Simone et Lucien Kroll : une architecture habitée. Le catalogue a été édité par Actes Sud.