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“Anna & Bernhard Blume” La photographie transcendantale
au Centre Pompidou, galerie de photographies, Paris

du 1er juillet au 21 septembre 2015



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse avec Anna Blume, le 30 juin 2015.

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Anna et Bernhard Blume, Im Wahnzimmer, 1984. Ensemble de 18 épreuves montées sur Forex.
© Centre Pompidou, MNAM-CCI/G. Meguerditchian et Ph. Migeat / Dist. RMN-GP. © ADAGP, 2015.

 


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Interview de Clément Chéroux et Andreas Fischer, commissaires de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 30 juin 2015, durée 9'47". © FranceFineArt.
(photo : à gauche, Andreas Fischer / à droite, Clément Chéroux)

 


1661_Anna-Bernhard-Blume audio
Interview de Anna Blume,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 30 juin 2015, durée 12'47". © FranceFineArt.
(avec l'aimable traduction de Béaté Renner)

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Clément Chéroux, conservateur, chef du cabinet de la photographie au musée national d’art moderne
Andreas Fischer, Commissaire d’expositions et conservateur du fonds photographique de l’IGPP, Institut für Grenzgebiete der Psychologie und Psychohygiene
assistés de Emmanuelle Etchecopar-Etchart, attachée de conservation au cabinet de la photographie




Dans une exposition inédite retraçant le parcours artistique du couple de photographes allemands Anna et Bernhard Blume, le Centre Pompidou présente, pour la toute première fois, la spectaculaire et monumentale oeuvre acquise en 2012, Im Wahnzimmer.

Accompagnée d’une sélection d’une trentaine de photographies originales des phénomènes paranormaux qui ont toujours amusé et fasciné les deux artistes (collection de l’IGPP - Institut für Grenzgebiete der Psychologie und Psychohygiene), cette exposition met en scène leurs travaux pleins d’humour et de dérision.

Actifs depuis la fin des années 1960, Anna et Bernhard Blume s’attachent au caractère subversif des apparitions, lévitations, déplacements d’objet à distance et autres phénomènes spirites. À rebours de la plupart de leurs contemporains, ils ont adopté une démarche ouvertement irrationnelle, subjective et jubilatoire. En reconstituant à leur manière ces phénomènes et en les fixant, les Blume ont cherché à rompre avec la banalité d’un quotidien « petit-bourgeois ». À travers ces images, Anna et Bernhard Blume proposent une critique insidieuse et doucement subversive de la classe moyenne allemande, de ses codes, de ses stéréotypes, de son rapport à la consommation, de son matérialisme.

La série Im Wahnzimmer s’inscrit pleinement dans ce registre d’une « folie domestique ». Son titre est un jeu de mot sur la « salle à manger » qui se dit « Wohnzimmer » en allemand, et le mot « Wahn » qui veut dire « folie ». Réalisée en 1984, elle s’inspire de photographies de phénomènes paranormaux et notamment de ce que l’on appelle alors des « poltergeist » [esprits frappeurs] qui ont régulièrement défrayé la chronique, dans la presse allemande de l’époque, et sur lesquels les artistes se sont abondamment documentés. L’exposition de la Galerie de photographies du Centre Pompidou présente pour la première fois la série, de 25 mètres de long, un polyptique de dix-huit tirages de grand format (200 x 126 cm). Les deux artistes s’y mettent en scène dans un univers où les objets de la vie quotidienne semblent dotés de pouvoirs surnaturels.

L’exposition est accompagnée d’un catalogue Anna et Bernhard Blume, la photographie transcendantale, auteurs Clément Chéroux et Andreas Fischer en coédition : Editions du Centre Pompidou et Editions Xavier Barral.




Extrait du texte HOCUS FOCUS de Clément Chéroux


Vous avez dit « transcendance » ?
« Il y a des gens qui dansent sans entrer en transe et il y en a d’autres qui entrent en transe sans danser. Ce phénomène s’appelle la Transcendance et dans nos régions, il est fort apprécié1 », écrit malicieusement Jacques Prévert. Le mot se prête, en effet, assez bien aux jeux de l’homophonie. Mais, bien avant d’offrir l’opportunité d’un tel calembour, il a, pendant des siècles, et au plus au niveau de sériosité, occupé des armés de théologiens et de philosophes. Étymologiquement, le terme est formé du préfixe « trans » qui indique un « au-delà » et du verbe « scandere » qui veut dire « monter ». Il décrit donc une forme de dépassement par le haut. Dans la foi chrétienne, la transcendance se situe en dehors de l’ordre ordinaire des choses. Elle est l’attribut du divin. À partir de la fin du XVIIIe siècle, la notion est réinvestie par la philosophie moderne à travers, notamment, les travaux d’Emmanuel Kant. « Nous appellerons immanents les principes dont l’application se tient dans les bornes de l’expérience possible respectivement ; mais nous appellerons principes transcendants ceux qui dépassent ces bornes respectivement2 » explique le philosophe dans sa Critique de la raison pure. Dans le domaine de la photographie, le mot commence à être employé dès la fin du XIXe siècle. En 1890, Alexandre Aksakof, le directeur de la revue Psychische Studien [Recherches psychiques], l’emploie dès les premières pages de son ouvrage Animisme et spiritisme. Il existe, écrit-il, des phénomènes de matérialisation « qui ne produisent aucune action sur notre rétine, mais agissent sur la plaque sensible d’un appareil photographique ; pour les résultats ainsi obtenus je propose l’expression : photographie transcendantale3 ». L’ouvrage connaît alors un grand retentissement. Il est beaucoup lu et commenté, puis réédité et traduit en plusieurs langues. La notion de photographie transcendantale, qui est alors à peu près synonyme de photographie de l’invisible, se propage largement. Dans les décennies suivantes, ce ne sont pas moins de trois ouvrages consacrés au sujet et portant ce titre qui sont publiés en France : La Photographie transcendantale, les esprits graves et les esprits trompeurs en 1898, La photographie transcendantale, les êtres et les radiations de l’espace en 1911, et La photographie transcendantale, contribution à l’étude des phénomènes psychiques en 19364 . En 1907, est même créé un Comité pour l’étude de la photographie transcendantale dont l’une des principales activités aura été de réunir par souscription une importante somme d’argent destinée à récompenser le chercheur qui parviendrait à démontrer par l’enregistrement photographique la réalité des phénomènes d’apparition, de lévitation, ou de matérialisation. « Nous demandons à la photographie la preuve de l’immortalité de l’âme5 » – rien de moins – est-il écrit dans l’une des brochures de la Société. Si l’on en juge par ces différentes publications, dans les premières décennies du XXe siècle, la notion de photographie transcendantale semble être définitivement passée dans le langage courant. D’une acception plus large qu’à l’époque où Aksakof commençait à l’employer, elle n’est plus simplement cantonnée au registre de l’invisible, mais recouvre désormais l’enregistrement d’à peu près tous les phénomènes occultes.

[…]

Au nom des fleurs
Bragaglia est le premier d’une longue lignée d’artistes qui, au cours du XXe siècle, ont largement exploité les modes de visibilité caractéristiques de la photographie transcendantale tels que la transparence des spectres, les lévitations d’objets, ou les halos lumineux. Dans la période de l’entre-deux-guerres, des auteurs comme Alvin Langdon Coburn ou Man Ray ont ainsi régulièrement recours à ces effets visuels pour convoquer un univers de référence qui n’est jamais très éloigné de l’occultisme15. Dans la seconde moitié du XXe siècle, et en particulier à partir des années 1960-1970, dans un contexte marqué par le psychadélisme, le recours aux substances psychotropes et la recherche d’états modifiés de la conscience, nombre d’artistes s’emparent également de cette iconographie : David Askevold, Johannes Brus, Miklós Erdély, Mike Kelley, Duane Michals, Sigmar Polke, ou Francesca Woodman, pour en citer quelques-uns seulement16. Mais comme Andreas Fischer le démontre très bien dans l’essai qui accompagne le présent ouvrage, ce sont certainement Anna et Bernhard Blume qui ont poussé le plus loin l’appropriation réflexive de l’occultisme photographique. Dans les années 1960, alors qu’il est étudiant à la Kunstakademie de Düsseldorf et proche de Joseph Beuys, Bernhard Blume découvre la notion de photographie transcendantale en lisant notamment l’ouvrage d’Aksakof. Plusieurs oeuvres ou éditions de multiples, réalisées seul ou en collaboration avec Anna Blume, y feront par la suite explicitement référence. En 1997, à l’occasion d’une exposition sur le sujet au Museum Abteiberg de Mönchengladbach, l’artiste entame une conférence-performance par ces mots : « J’aimerais vous montrer ici une série d’images qui font apparaître à quel point la photographie soi-disant spiritiste a exercé une influence sur les débuts de ce qu’on appelle la “Photographie transcendantale” d’Anna et Bernhard Blume17 ». Un peu plus loin, il explique avoir été sensible à « l’aura particulière18 » de ces images. Comme la plupart des autres artistes du XXe siècle qui, depuis les futuristes et les surréalistes, se sont passionnés pour cette iconographie, il ne s’agit évidemment pas pour lui de croire à ces images, ou à la réalité des phénomènes qu’elles représentent, mais bien plutôt d’exploiter leur charge subversive. Les photographies transcendantales l’intéressent « prodigieusement19 » (c’est l’adverbe qu’il emploie) parce qu’elles portent la trace d’une perturbation de la rationalité. Dans l’Allemagne des décennies d’après-guerre où règnait l’esprit positiviste de la reconstruction, du consumérisme et du capitalisme triomphant, rien ne pouvait en effet paraître plus anormal qu’une table tournant sur elle-même au milieu du salon, un vaisselier soudainement agité de secousses, ou une pile d’assiettes en lévitation. Comme si le matérialisme s’était alors révolté contre ses plus fervents partisans. En mettant en scène ces images, dans des accoutrements et des décors qui rappellent la génération de leurs parents, les Blume proposent une critique insidieuse de la petite-bourgeoisie rhénane et de son rapport à la réalité matérielle. À une époque où la plupart des autres photographes de la scène allemande défendent une conception de la photographie plutôt documentaire, et objective, c’est-à-dire pleinement immanente, en se regroupant autour d’un autre couple d’artistes – Bernd et Hilla Becher – pour former la dite « école de Düsseldorf », les Blume se positionnent résolument à contrepied. En choisissant la photographie transcendantale, en adoptant son vocabulaire, ses formes et ses codes, ils affirment une démarche ouvertement irrationnelle, subjective et jubilatoire. C’est là précisément que réside leur principale force critique.

Je tiens à exprimer ma plus vive gratitude à Andreas Fischer et à Marta Braun qui m’ont aidés à accéder à certains documents nécessaires à la préparation de ce texte.



1 Jacques Prévert, « La transcendance », Spectacle, Paris, Gallimard, 1992, p. 217. Je souligne.
2 Emmanuel Kant, Critique de la raison pure (traduction de J. Tissot), Paris, Librairie Philosophique de Ladrange, 1864, t. 2, p. 3.
3 Alexandre Aksakof, Animisme et spiritisme. Essai d’un examen critique des phénomènes médiumniques spécialement en rapport avec les hypothèses de la « force nerveuse », de l’« hallucination » et de l’« inconscient » comme réponse à l’ouvrage du Dr Ed. von Hartmann, intitulé « Le Spiritisme » [1890], Paris, Librairie des sciences psychiques, 1906, p. 26.
4 Jean Finot, La Photographie transcendantale, les esprits graves et les esprits trompeurs, Paris, Charles Mendel, 1898 ; Anonyme [Ch. Proth], La Photographie transcendantale, les êtres et les radiations de l’espace, Paris, Librairie nationale, 1911 ; Raoul Montandon, La Photographie transcendantale, contribution à l’étude des phénomènes psychique, Genèvre, Librairie J. H. Jeheber, 1936.
5 Ducasse-Harispe et alii, La Photographie du monde invisible, Mandélieu, Librairie de la revue Analyse et synthèse, 1909, p. 14.
15 Cf. Anne McCauley, « Witch-Work. Art-Work, and the Spiritual Roots of Abstraction: Ezra Pound, Alvin Langdon Coburn, and the Vortographs », in Mark Antliff, Scott W. Klein (eds.), Vorticism, New Perspectives, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 156-174 ; Michel Poivert, « Le rayogramme au service de la révolution », Études photographiques, n°16, mai 2005, disponible en ligne : http://etudesphotographiques.revues.org / 719. Consulté le 19 avril 2015.
16 Cf. Andreas Fischer, Veit Loers (dir.), Im Reich der Phantome. Fotografie des Unsichtbaren, Ostfildern-Ruit, Cantz, 1997.
17 Bernhard Blume, Transzendentale Fotografie. (Eine) Cellularphathologie der Seele, Wiens Verlag, Berlin, 1999, repris dans le présent ouvrage en traduction française.
18 Ibidem.
19 Ibidem.