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“Eugène Leroy” Peintures - Fusains
à la Galerie Nathalie Obadia - Cloître Saint-Merri, Paris

du 5 septembre au 31 octobre 2015



www.galerie-obadia.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition, le 7 septembre 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Eugène Leroy, Sans titre, 1999, fusain sur papier, 64,7x49,9 cm. © Courtesy Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
2/  Eugène Leroy, Noël 88, 1988, huile sur toile,194x144 cm. © Courtesy Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
3/  Eugène Leroy, Sans titre, 1999, fusain sur papier, 65,9x49,9 cm. © Courtesy Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

La galerie Nathalie Obadia expose les dernières œuvres de Eugène Leroy, une vingtaine de dessins et de toiles témoignant de l'aboutissement de sa démarche artistique. L'accumulation outrageuse de peinture sur les grandes toiles, intimidante au premier abord, se laisse apprivoiser grâce aux pauses qu'offre l'alternance avec les dessins au fusain.

Ces grandes toiles alourdies d'épaisses couches de matière déplacent le travail du peintre vers le champ de la sculpture. La surabondance de couleurs en amas successifs ressemble à un lichen ou à une mousse toujours vivante, dont la croissance se poursuit sous nos yeux. Les mille teintes mélangées se décomposent en fils de couleurs, mycéliums roses et blancs, orangés, verts et jaunes qui explosent dans un océan ocre et gris. L'impression de vie, de respiration de cette chair végétale voire animale génère également un sentiment écœurant de putréfaction, une autre forme de vivant se nourrissant de la mort.

Dans cette quasi immobilité, des mouvements se dessinent, venant perturber la sédimentation des couleurs en vagues, effleurages, égratignures. La matière pâteuse, élastique, vient recouvrir les couches voisines, s'y mélange paresseusement ou bien se laisse écarter pour dévoiler celles qui l'ont précédées. Le chaos organique s'exprime dans une échelle de temps très longue: ces œuvres sont peintes sur plusieurs années et nous forcent à ralentir nous-mêmes afin de pouvoir les appréhender, déchiffrer les images qu'elles renferment. Car derrière des titres évoquant moments et paysages ce sont bien des corps d'hommes et de femmes que peint Eugène Leroy. En se déplaçant le long des différents niveaux de lecture, on voit leurs formes apparaitre, tendues dans les contractions d'un ultime élan pour s'extraire de la chrysalide qui les enserre.

Les dessins au fusain viennent confirmer cette vision fugace. Les corps y sont lisibles, comme des images aux rayons X des toiles qu'ils côtoient. La spontanéité rapide du trait ébauche des postures et des caractères saisis sur le vif comme dans une esquisse. Pourtant les tracés se révèlent élégants, stylisés, démontrent une maitrise née d'un large temps de réflexion. Le minimalisme du dessin s'enrichit d'ombres rageuses, estompes rapides, la poudre étalée sur le papier d'un geste de la main avec parfois des éclaboussures liquides. Le fusain modèle des personnages légers, aériens, puis la pression se fait plus forte, colérique et insoutenable d'une obscurité dense et noire. La matière sombre met ces silhouettes en mouvement, les éveille soudain. Surgissent alors des images d'un passé et d'un futur mélangés comme issues de multiples bains dans un révélateur photographique. Ces corps nus se retrouvent perdus dans une temporalité adirectionelle, abandonnés à la douleur inéluctable d'être.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

La Galerie Nathalie Obadia consacre une exposition à Eugène Leroy dont l’œuvre singulière n’avait pas été montrée à Paris depuis sa rétrospective du Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2008. Il s’agit de la deuxième exposition que la galerie consacre à ce grand peintre du Nord, né à Tourcoing en 1910 et mort en 2000, après celle présentée à la Galerie de Bruxelles en 2013.

Fusionnant les héritages les plus divers, de Rembrandt à Malevitch en passant par Jean Fautrier, Eugène Leroy explore les possibilités multiples de la matière, déployant une science des empâtements qui confère un relief incomparable à ses peintures. Cette opacité paradoxale, faite de lumières et de couleurs, donne au regardeur l’impression de « pénétrer dans une caverne » comme le dira l’un de ses plus grands admirateurs, le peintre allemand Georg Baselitz : « Je trouvais là des images brunes comme champs, comme pierre, comme bois, comme mousse, comme senteur » raconte-t-il, témoignant de sa première rencontre avec l’œuvre d’Eugène Leroy, « comme si tous les pantalons du peintre étaient suspendus à un crochet et racontaient l’ histoire d’un chef d’œuvre inconnu ».

L’exposition Peintures-Fusains présentée à la Galerie Nathalie Obadia permet de découvrir une vingtaine d’œuvres, des fusains sur papier et une dizaine de peintures à l’huile, de moyens et de grands formats, fruits de la production de la dernière décennie de sa vie, de 1989 à 1999 – capitale puisque l’artiste voit son œuvre accéder à une reconnaissance internationale. Celle-ci s’illustre notamment par les participations consécutives d’Eugène Leroy à la Biennale de Sao Paulo (1990) et à la Documenta de Kassel (1991) tandis que l’artiste poursuit sa trajectoire personnelle, résolument en marge des tendances dominantes de l’époque. S’en suivront deux rétrospectives majeures au Musée d’art moderne de Nice e n 1993 et au Kunstverein de Düsseldorf en juillet 2000, trois mois après le décès de l’artiste dans sa maison-atelier de Wasquehal. L’exposition est également l’occasion de mettre en lumière cinq huiles sur toile d’importance majeure datées entre 1988 et 1991.

« Pour un corps de femme », « Seuls », « Homme en croix », « Lumières sur Marina », « La marée », « Noël 88 », « Lumières d’hiver »... Evocateurs, les titres des œuvres d’Eugène Leroy présentées à la Galerie Nathalie Obadia traduisent son attention constante portée à la lumière et la représentation humaine ; sa façon de se heurter à ses sujets qu’il semble apprivoiser par la peinture pour en nier ensuite les contours ; sa tentative pour en capter l’essence tout en en préservant le mystère, enfouit sous l’accumulation des couches, ajoutées années après années, façonnant un visage, un corps, un paysage. Les dessins ob éissent à la même préoccupation, comme le remarque justement le critique d’art Denys Zacharopoulos : « mais c’est de l’ombre, faite de multiple traits de fusain entrecroisés ou estompés, qu’émergent les corps et les visages comme des apparitions1 ».

A travers cette exposition proposant au regardeur une sorte d’épiphanie visuelle et une véritable « fête des sens2», la Galerie Nathalie Obadia est fière de rendre hommage à l’un des plus grands peintres français de la seconde moitié du XXème siècle.


1-Eugène Leroy, Domaine de Kerguéhennec, Centre d’Art Contemporain / La Criée, Centre d’art Contemporain / Musée des Beaux-Arts de Rennes, sous la direction de Denys Zacharopoulos, réalisation et édition Luc Derycke, p.9
2-Eugène Leroy, par Bernard Marcadé, Editions Flammarion, Paris, 1994