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“Fragonard amoureux” galant et libertin
au Musée du Luxembourg, Paris

du 16 septembre 2014 au 24 janvier 2016



www.museeduluxembourg.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 14 septembre 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Jean-Honoré Fragonard, Le Billet doux ou La Lettre d’amour, vers 1775, huile sur toile ; 83,2 x 67 cm. New York, The Metropolitan Museum, collection Jules S. Bache, 1949. © The Metropolitan Museum of Art, dist. Rmn-Grand Palais / image of the MMA.
2/  Jean-Honoré Fragonard, Le Colin-Maillard, vers 1754-1756, huile sur toile ; 116,8 x 91,4 cm. Toledo, Toledo Museum of Art, don Edward Drummond Libbey. © Toledo Art Museum.
3/  Jean-Honoré Fragonard, L’Enjeu perdu ou Le Baiser gagné, vers 1759-1760, huile sur toile ; 48,3 x 63,5 cm. New York, The Metropolitan Museum, don de Jessie Woolworth Donahue, 1956. © The Metropolitan Museum of Art, dist. Rmn-Grand Palais / image of the MMA.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

S'inscrivant dans un XVIIIe siècle libertin défiant l'ordre établi, l'œuvre de Jean-Honoré Fragonard exposée au Musée du Luxembourg pétille comme une éclaircie malicieuse dans un ciel gris, cette récréation voluptueuse est la bienvenue en cette saison. Les œuvres de Fragonard côtoyant celles de ses inspirateurs et de ceux qu'il a influencés comme Boucher ou Pierre-Antoine Baudouin.

Ce qui marque au premier abord est la richesse de la couleur. La palette est d'une sensualité lumineuse, opposant roses et émeraudes. Les ciels bleus clairs sont chargés d'une intensité joyeuse tandis que la lumière modèle les chairs et les drapés d'une douce chaleur jaune. Ce qui reste dans l'ombre ou disparaît dans l'obscurité s'assombrit mais en teintes toujours définies et saturées. La peinture des visages prend un aspect poudreux, paré de délicatesse comme un voile de timidité.

Des scènes issues de la mythologie antique prennent ainsi un sens nouveau. Céphale et Procris ont beau se trouver mis en scène dans l'instant tragique de la mort de Procris, la pose alanguie des corps, la symbolique à peine masquée de la flèche la transperçant expriment avant tout une sensualité érotique, une relation charnelle entre deux amants. Fragonard poétise la fougue amoureuse en allégorie plus qu'il ne réinterprète les mythes classiques. Les sujets juvéniles semblent, comme dans L'Aurore triomphant de la Nuit, encore endormis dans une langueur innocente, les corps libérés dans une touchante naïveté. En relisant cette peinture aujourd'hui on qualifierait cela de kawaii.

Le peintre oscille entre une naturalité candide et une ironie libertine, un désir irrépressible s'exprimant dans des tromperies et dans un monde de prostituées. Deux jeunes filles aux traits enfantins écartent un léger rideau et s'adressent au spectateur: l'offre de plaisirs charnels se fait explicite. S'ouvre alors un chapitre où la sexualité et les corps se libèrent. Les femmes achèvent de se dénuder et s'offrent sur des lits défaits, lors de jeux coquins voire dans des scènes d'orgie.

La nature est très importante, elle offre au discours licencieux l'écrin d'une végétation luxuriante et détaillée. Les personnages s'y perdent peu à peu, rapetissant dans un paysage majestueux, évoluant de tableau en tableau de verts profonds s'estompant dans des bleutés vers des feuillages automnaux étincelants de leurs dorures.

Fragonard finit par s'assagir, l'ivresse de la passion fait place à des sentiments plus tendres, à l'expression bienveillante de la romance. De l'exhibitionnisme aguicheur, les étreintes deviennent plus intimes, sentimentales, virginales. Dans Le Baiser, tout détail superflu est écarté pour n'exprimer que la fusion dans la seule représentation des deux têtes des amoureux qui s'embrassent. Le trait se fait plus libre, expérimentant des tracés en volutes, tandis que la palette passe d'une sursaturation chromatique audacieuse à une réduction du spectre vers des ocres et des gris bleutés. La lumière devient plus crue, aveuglante, noyant le blanc d'une peau ou les ailes d'un ange.

Le peintre achève ainsi sa révolution licencieuse par un retour aux sources de l'énergie qu'il a peint toute sa vie, l'expression de l'amour comme moyen de toucher au divin.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Guillaume Faroult, conservateur en chef au département des Peintures, musée du Louvre, en charge des peintures françaises du XVIIIe siècle et des peintures britanniques et américaines.
scénographie : Jean-Julien Simonot




Le dix-huitième siècle fut, selon les frères Goncourt, celui de la séduction et de l’intrigue amoureuse, dont Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) aurait été le principal illustrateur, voire le principal agent. L’inspiration amoureuse parcourt en effet l’oeuvre protéiforme et généreuse du « divin Frago », depuis les compositions champêtres de ses débuts jusqu’aux allégories amoureuses qui occupèrent la fin de sa carrière. Tour à tour galant, libertin, audacieusement polisson ou au contraire soucieux d’une nouvelle éthique amoureuse, son art traverse avec fougue et élégance un demi-siècle de création artistique, se renouvelant sans cesse pour mieux saisir les subtiles variations du sentiment et de l’impulsion amoureuse.

Mettant pour la première fois en lumière l’oeuvre de Fragonard à travers ce prisme amoureux, l’exposition du Musée du Luxembourg s’ouvre sur le mitan du XVIIIe siècle, époque où l’esprit des Lumières est profondément marqué par le sensualisme venu d’Angleterre. La question de l’articulation délicate de la sensualité et du sentiment est alors au coeur des préoccupations philosophiques, littéraires et artistiques. Fortement imprégné de ces questionnements au sortir de l’atelier de François Boucher, le jeune Fragonard apporte déjà aux « bergeries » et compositions mythologiques à la mode une sensibilité neuve, empreinte de sensualité certes, mais qui outrepasse la stricte stratégie libertine. Parallèlement, l’étude des maîtres flamands le fait passer d’un érotisme sophistiqué à des scènes campagnardes dont la dimension charnelle est pleinement assumée, comme dans Le Baiser gagné du Metropolitan Museum. Brillant illustrateur des Contes très « libres » de La Fontaine, Fragonard fait preuve, comme son confrère le miniaturiste libertin Pierre-Antoine Baudoin, d’une audace qui rencontre souvent celle de nombre d’écrivains et intellectuels progressistes de son temps, tel le Diderot des Bijoux indiscrets ; en témoignent, avec une vigueur certaine bien qu’allusive, les oeuvres « secrètes » pour amateurs licencieux du tournant des années 1760 qui participèrent à édifier l’image d’un Fragonard libertin, peintre des boudoirs et autres scènes d’alcôves. Cette inspiration friponne trouve une grande variété d’expression, de la polissonne Feinte résistance du Nationalmuseum de Stockholm jusqu’au sensuel mais délicat Baiser (collection particulière). Parallèlement à cette liberté d’esprit – voire cette licence – Fragonard s’emploie à renouveler, avec une grande poésie, le thème de la fête galante hérité de Watteau, comme en témoigne l’atemporelle Île d’amour prêtée par la Fondation Calouste Gulbenkian. Plus tard dans le courant des années 1770 et 1780, dans la continuité du célèbre Verrou du musée du Louvre et alors que Les Liaisons dangereuses de Laclos sonnent le glas de l’inspiration libertine en littérature, son art connait un tournant décisif en explorant le sentiment amoureux véritable, au travers d’allégories emportées par un lyrisme des plus délicats. Avec une infinie subtilité, Fragonard touche alors à la dimension mystique de l’amour profane, aux sources de ce que sera « l’amour romantique ».

L’inlassable approfondissement de la thématique amoureuse par Fragonard est présenté au Musée du Luxembourg à travers une sélection exceptionnelle de plus de 80 oeuvres célèbres ou plus confidentielles, prêtées par les plus prestigieuses collections d’Europe et des Etats-Unis. Le parcours fait la part belle à l’oeuvre peinte, mais aussi au prodigieux talent de dessinateur de Fragonard, ainsi qu’à son ambitieuse mais contrariée carrière d’illustrateur, avec les dessins qu’il réalisa pour les Contes de La Fontaine (prêt exceptionnel du musée du Petit Palais) et le Roland furieux de l’Arioste. Tout au long de ce parcours, les oeuvres de Fragonard sont mises en regard avec celles de certains de ses contemporains avec qui il noua un dialogue fécond autour de la représentation du sentiment amoureux : François Boucher bien sûr, mais aussi Pierre-Antoine Baudouin, Jean-Baptiste Greuze ou encore les illustrateurs Charles Eisen et Jean-Michel Moreau le jeune ainsi que les écrivains Diderot, Rousseau, Crébillon ou Claude-Joseph Dorat.