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“Elisabeth Louise Vigée Le Brun” 1755-1842
au Grand Palais, Paris

du 23 septembre 2015 au 11 janvier 2016



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 21 septembre 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Elisabeth Louise Vigée Le Brun, Hubert Robert, 1788, huile sur panneau de chêne ; 105 x 84 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures, don de Mme Tripier le franc, suivant le voeu de sa tante Mme Vigée Le Brun,1843. © Photo : RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi.
2/  Elisabeth Louise Vigée Le Brun, Gabrielle Yolande Claude Martine de Polastron, duchesse de Polignac, 1782, huile sur toile ; 92,2 x 73,3 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Photo : Rmn-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot.
3/  Elisabeth Louise Vigée Le Brun, Portrait de l’artiste avec sa fille, dit « La Tendresse maternelle », 1786, huile sur panneau de chêne ; 105 x 84 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures, don de Mme Tripier le Franc, suivant le voeu de sa tante Mme Vigée le Brun, 1843. © Photo : RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Cette première rétrospective de l'œuvre d'Elisabeth Louise Vigée Le Brun offre bien davantage qu'une remarquable galerie de portraits, elle retrace le destin d'une femme qui s'est faite une place dans le monde misogyne de la peinture du XVIIIe siècle ainsi que son parcours à travers les bouleversements historiques de la révolution française.

Ses autoportraits au pastel montrent une maîtrise parfaite du médium, lui ouvrant un territoire de jeu et d'expressivité. Le dessin est tantôt léger, en teintes sobres désaturées, tout en transparences diaphanes, ou bien devient intense, la poudre en abondance écrasant le papier en épaisseurs opaques, soulignant les traits du visage dans une pose volontaire.

Son talent de portraitiste se montre dans un réalisme franc qui ne se veut pas flatteur, mais qui se voit enrichi d'un perfectionnisme dans la recherche de l'expressivité des humeurs et des personnalités. Si les sujets sont représentés dans un écrin précieux soulignant leur position sociale, les caractères sont apaisés, libérés dans une simplicité naturelle. La peintre use d'artifices avec parcimonie pour en renforcer l'effet. Le bleu d'un ruban, le rouge d'une robe créent un impact puissant en étant les seuls éléments de vivacité à répondre aux carnations d'un visage. La franchise et la puissance de ces couleurs donnent aux tableaux une majesté irréelle de technicolor. Les fastes de l'aristocratie et de la cour ne résident pas dans des décors ou des objets, ils sont peints dans les plis soyeux d'étoffes argentées et dorées, leurs reflets de métal précieux suffisant comme discours.

Elisabeth Louise Vigée Le Brun innove également dans les portraits d'enfants. Ceux-ci ne sont pas vêtus comme il se doit, en petits adultes, mais portent des vêtements ordinaires. Suivant la tradition rousseauiste, ils sont laissés à leur enfance, vaquant à leurs rêveries, expérimentant leur curiosité ou exprimant une saine espièglerie. Ce rapport à l'enfance et à son innocence se révèle un autre fil conducteur dans l'œuvre de l'artiste. Des portraits empruntent leur palette à celle de la renaissance, les mères posant avec leur enfant en madones ou bien détournent le regard vers les cieux dans des poses inspirées de la mythologie antique.

Les regards de ses modèles impressionnent par leur douceur, par la confiance qui semble s'être construite avec leur portraitiste. Cet aspect de son travail se lit de façon diffuse au fil des toiles pour devenir une évidence. Au delà de la maîtrise technique, ce qui rend ce travail si extraordinaire est cette possibilité laissée aux visages d'exprimer l'âme. Dans sa relation à son sujet se vit l'engagement entier et intègre de l'artiste dans sa peinture.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaires :
Joseph Baillio, historien de l’art
Xavier Salmon, conservateur général du patrimoine, directeur du département des Arts graphiques du musée du Louvre
scénographie : Loretta Gaïtis




Cette première rétrospective consacrée à l’ensemble de l’oeuvre d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun montre une artiste dont la vie s’étend du règne de Louis XV à celui de Louis-Philippe (l’une des périodes les plus mouvementées et orageuses de l’histoire européenne et surtout française des temps modernes).

Les autoportraits de Vigée Le Brun abondent : peintures, pastels et dessins associent élégamment grâce et fierté féminines. Alors que l’Ancien Régime et son institution des beaux-arts touchent à leur fin, elle supplante la plupart de ses concurrents portraitistes.

Vigée Le Brun utilise l’autoportrait pour affirmer son statut, diffuser son image et rappeler la mère qu’elle est parvenue à devenir malgré les servitudes d’une carrière. Son plus grand coup de force à cet égard est de présenter au Salon de 1787 deux peintures qu’on ne peut dissocier. D’un côté, le portrait de Marie-Antoinette entourée de ses enfants, en reine soucieuse de redresser son image de libertine dispendieuse ; de l’autre, le portrait d’une femme artiste serrant contre sa poitrine, avec une effusion raphaélesque, sa fille Julie. Ce dernier tableau, l’un des plus beaux et des plus populaires parmi les nombreuses oeuvres du peintre que possède le Louvre, est resté l’emblème de la « tendresse maternelle » depuis sa première apparition publique. La culture des Lumières, rousseauisme oblige, impose à l’artiste d’endosser ce rôle ; ce qu’elle fait de gaieté de coeur et avec un succès retentissant. En contrepoint elle peint le portrait d’Hubert Robert. Ces tableaux, véritables icônes du bonheur de vivre et du génie créateur, se parlent, se répondent et se complètent.

Plus notable encore est sa volonté de triompher des obstacles qui entravent ses ambitions professionnelles. Née à Paris en 1755 dans un milieu relativement modeste, sa mère est coiffeuse et son père portraitiste de talent. Il meurt alors qu’elle est à peine adolescente. S’inspirant de son exemple, à dix-neuf ans la jeune virtuose est reçue maître peintre au sein de l’Académie de Saint-Luc. Son mariage en 1776 avec le marchand d’art le plus important de sa génération, Jean-Baptiste Pierre Le Brun (1748-1813), l’empêche d’être admise à l’Académie royale de peinture et de sculpture, dont le règlement interdit formellement tout contact avec les professions mercantiles. Toutefois cette union a des effets bénéfiques sur sa carrière. Alors que le prix des tableaux flamands flambe, elle apprend à maîtriser la magie des couleurs et la belle facture d’un Rubens et d’un Van Dyck. Dès 1777 la clientèle essentiellement bourgeoise s’élargit à la grande aristocratie, aux princes de sang et enfin à la reine Marie-Antoinette. Il faut cependant l’intervention de Louis XVI en 1783 pour que la portraitiste de sa royale épouse puisse rejoindre l’Académie royale de peinture à l’issue d’une polémique. Depuis la fondation de l’Académie royale en 1648, sous la Régence d’Anne d’Autriche, les femmes artistes ne sont reçues qu’en nombre très restreint. Non autorisées à dessiner d’après des modèles nus masculins, elles sont écartées du grand genre, la peinture d’histoire, qui nécessite une parfaite compréhension de l’anatomie et l’assimilation des codes gestuels. Vigée Le Brun se limite donc aux portraits, malgré quelques très belles incursions dans la peinture d’histoire et les scènes de genre. Sa volonté d’outrepasser les contraintes imposées aux femmes artistes lui permet de développer une technique et des critères esthétiques très personnels. Elle maîtrise la science des couleurs et invente toute une gamme de poses et de costumes qui lui permettent d’apporter une grande variété à ses portraits et à ses improvisations.

Cette exposition révèle l’ambition de l’artiste, loin de la condescendance de ses premiers biographes et de certains historiens qui ont pu nuire à la compréhension des différents enjeux de ce prodigieux destin et de cette carrière longue et nomade. Pendant la Révolution, l’Émigration, le Consulat et l’Empire, elle vit et travaille en Italie, en Autriche, en Russie, en Angleterre et en Suisse. Elle y ouvre un dialogue très particulier avec les maîtres anciens et entre en compétition avec ses contemporains, souvent à son avantage. Genre mineur aux yeux de l’Académie, le portrait sera le genre majeur d’une nouvelle France en ébullition où le « moi social » prend souvent le dessus sur le « moi profond ».

On ne peut réduire l’art de Vigée Le Brun à ses séductions les plus apparentes ni aux vertus du « beau sexe » : ses portraits d’hommes ont une très grande force de caractère, tel le portrait d’Hubert Robert. À rebours de l’histoire de l’art d’obédience féministe, qui préfère diagnostiquer en Vigée Le Brun une double victime de sa condition de femme et d’épouse, cette exposition met en relief les raisons d’un succès durable à travers une sucession de salles thématiques : le coup de force académique ; la formation artisanale mais solide ; le défi versaillais ; la stratégie du Salon au cours des années 1780 en les mettant en contexte ; les étapes de son long exil ; ses cercles de sociabilité ; et son retour en France. Approche nécessairement chronologique et thématique, le parcours se permet quelques entorses et ose des séquences transversales : la famille et les amitiés ; les portraits d’artistes et de la scène théâtrale ; la symbolisation du pouvoir politique; la déclinaison des schèmes empruntés à Raphaël, Titien, Dominiquin, Rubens, Van Dyck et même à son contemporain Greuze ; sa pratique de l’allégorie mythologique ou encore du portrait travesti.

Femme exceptionnelle, sans doute, cheminement opiniâtre, plus encore, Vigée Le Brun a su faire de ses pinceaux une arme autant qu’un charme.

Ce premier hommage de la France à Vigée Le Brun réunit plus de 150 oeuvres, techniques et supports confondus, dont certaines sont exposées pour la première fois. Elles proviennent de prestigieux établissements–dont la Galerie des Offices à Florence, le musée du Louvre, le château de Versailles, le Musée de l’Ermitage à Saint-Petersbourg, le Metropolitan Museum of Art de New York ou encore le Kunsthistorisches Museum de Vienne– et de nombreuses collections particulières.