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“Tigres de papier, cinq siècles de peinture en Corée” Saison de Corée
au Musée Guimet, Paris

du 14 octobre 2015 au 22 février 2016



www.guimet.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 13 octobre 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Le tigre et le moineau, Dynastie Choson (1392-1910), 18e siècle. Couleurs sur papier. MNAAG, collection Lee Ufan, 2001, LUF 093. © Musée Guimet, Paris, Dist. RMNGrand Palais / Thierry Ollivier.
2/  Yi Han-ch’ol (1808-?), Paravent Fleurs et oiseaux (Hwajodo, détail), Corée, 19e siècle. Couleurs sur papier. Don V. Collin de Plancy, 1891. MG 15581. © Musée Guimet, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / Jean-Yves et Nicolas Dubois.
3/  Portrait de fonctionnaire, Dynastie Choson (1392-1910), 18e-19e siècle. Couleurs sur papier. MNAAG, collection Lee Ufan, 2001, LUF 106. © Musée Guimet, Paris, Dist. RMNGrand Palais / Thierry Ollivier.

 


1730_Tigres-papier audio
Interview de Pierre Cambon, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 octobre 2015, durée 25'03", © FranceFineArt.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt.

 

À l’occasion de la « Saison de Corée », le Musée national des arts asiatiques – Guimet présente l’exposition « Tigres de papier ». En quelques 130 œuvres, parfois étonnamment colorées, comportant aussi bien paravents que meubles et porcelaine délicate, elle retrace les 5 siècles de la dynastie Chôson et de son art si profondément unique.


Vie quotidienne et bestiaire mythique

Explorer la peinture coréenne, c’est explorer un élégant univers de couleurs peuplé de créatures étonnantes et d’oiseaux enchanteurs. En retraçant les 5 siècles de la dynastie Chôson (1392 – 1910), l’exposition « Tigres de papier » offre un aperçu d’une identité artistique qui se construit au fil des croyances et des modes de pensée, du bouddhisme au confucianisme, et qui laisse aussi bien la place à la mythologie et à l’imaginaire qu’à l’étude et au savoir. La peinture, ici, c’est l’encre qui s’infiltre dans la toile d’un paravent pour dessiner une scène de la vie quotidienne, une créature fantastique aux yeux brillants ou encore un portrait d’un réalisme confondant. Le sacré prend ici la forme de « Sansin, dieu de la montagne » (fin XVIIIe – début XIXe siècles), drapé dans ses tons rouge et vert chatoyants, personnage bienveillant malgré le tigre qui veille sur lui. Puis vient un Bouddha en bois laqué d’or, accompagné de son parchemin bleu nuit et son fleuve de caractères dorés, statuette à laquelle succède bientôt la figure écarlate de Confucius (« Maître Kong et ses deux serviteurs », XIXe siècle) dont la Corée embrasse aussitôt la pensée. Mais la peinture coréenne effleure aussi la cartographie quand elle représente « La Visite du gouverneur à Pyongyang » (XIXe siècle), dessinant aussi bien les reliefs du paysage que les mouvements de la ville et des hommes.

Car la nature, ses merveilles, ses animaux sauvages et mythiques sont aussi au cœur des représentations. Il est difficile de déterminer lequel, du paravent «  Aigrettes et oies sauvages », (XIXe siècle) avec ses oiseaux à peine esquissés à force de délicats très noirs, ou du festif « Les 10 symboles de la longévité » (XIXe siècle) et de sa débauche de couleurs éclatantes, où le vert des arbres se détachent sur le rouge du ciel, fascine le plus. Quand l’encre noire fait jaillir des formes du parchemin, se servant de la toile comme d’une teinte à part entière, donnant naissances à des créatures comme surgies d’un rêve (le duo « Tigre et Dragon », XVIe – XVIIe siècles), les couleurs éclatent, elles, comme des fulgurances. Par petites touches qui éclairent le dessin sur « Carpe sur fond de paysage aquatique » (XVIIIe siècle) et son poisson qui lève les yeux sur un soleil rougeoyant, elles peuvent aussi envahir la toile du paravent, dissimulant la tête d’un dragon dans les roulis de nuages multicolores («  Nuages et dragon », XIXè siècle). Représentée avec élégance et raffinement, la nature s’invite aussi dans la représentation de l’alphabet hangeul, instauré dès le XIVe siècle, qui réaffirme l’identité coréenne (« Les 8 vertus du confucianisme », XVIIIe – XIXe siècles et ses 8 panneaux illustrés avec des animaux). Fantaisiste, parfois intensément colorée, mais toujours d’une incroyable fraîcheur, la peinture coréenne se distingue par son amour de la nature et de ses teintes chatoyantes.


S’approprier pour mieux se définir

Pourtant, au cœur de l’affirmation d’une identité propre, l’art de la dynastie Chosôn se nourrit de nombreuses influences. Celle de la Chine, avec ses créatures mythologiques telles que le dragon et le phœnix, est évidente. Mais plus étonnante est celle de l’Occident et plus particulièrement de l’Europe. Aux côtés des animaux chatoyants et oniriques, se tient en effet un incroyable paravent, une « Mappemonde » (1860) dans les tons sépia, dont la confection repose sur les techniques de la cartographie venues tout droit de l’Occident. Représentant la Chine, la Corée et le Japon, cette peinture témoigne surtout de l’intérêt que témoigne la dynastie Chosôn pour les procédés originaires de l’étranger. Plus loin, c’est à l’exercice de la perspective et de la peinture en trompe-l’œil que s’essaient les artistes coréens, rendant ainsi un hommage à la pensée confucéenne qui vante l’importance du savoir et de l’excellence. « Paravent aux livres » (XVIIIe – XIXe siècles) figure alors comme une bibliothèque, chacun de ses compartiments recelant les outils du savant, à commencer par sa collection de parchemin. Très structuré, se distinguant par un aspect presque géométrique avec la figuration des cadres, le dessin se caractérise par une étonnante profondeur, qui permet de jouer avec les perspectives.

Mais ces techniques étrangères, la peinture coréenne se les approprie pour mieux les faire siennes et l’appliquer à ses propres sujets. « Scènes de genre au fil des saisons » (Kim Hong-do, 1768) repose sur un certain type occidental de la représentation du paysage, de celle des arbres à celles des montagnes, particulièrement détaillés. Mais c’est pourtant bien la vie aristocratique coréenne que Kim Hong-do représente ici sur ces 8 panneaux, de son notable tranquillement installé dans sa chaise à porteurs à ce groupe qui pique-nique au pied d’une muraille. Au soin apporté aux différents paysages, contraste alors la sobriété et l’élégance de ces petits personnages qui vaquent à leurs activités. Cette appropriation de techniques venues de l’étranger se retrouve de nouveau sur le magnifique « Peinture de fleurs et oiseaux » (XIXe siècle), où des oiseaux d’argent viennent se poser sur des branches extrêmement stylisées et se détachent sur un fond d’un bleu roi intense. S’il reprend le découpage en panneaux et la représentation toute en horizontalité de ce sujet classique, le paravent se distingue néanmoins par une technique du dessin plus précise, plus acérée, qui établit un fort contraste avec son voisin direct, le « Paravent aux Grues » (XIXe siècle) et ses oiseaux délicatement esquissés. Tout au long de l’époque qui a vu régner la dynastie Chosôn, la peinture coréenne s’est peu à peu détachée de l’influence de ses voisins et de son protecteur, la Chine toute puissante, pour mieux exprimer, dans la joie des couleurs chatoyantes et des formes clairement définies ou au contraire dans l’élégance de l’encre noire, la variété de ses traditions et de ses modes de pensées.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat général : Sophie Makariou, présidente du MNAAG
Commissariat : Pierre Cambon, conservateur des collections coréennes MNAAG




Cet automne, le MNAAG met la Corée à l’honneur dans le cadre des années croisées célébrant, en 2015, le 130e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Corée. À travers trois expositions et une programmation spéciale à l’auditorium, le musée propose de découvrir l’art de ce pays encore trop méconnu en France. Saison de Corée en explore les facettes variées jusqu’au plus contemporain.

Tigres de papier, cinq siècles de peinture en Corée, du 14 octobre 2015 au 22 février 2016. À partir de sa riche collection de peintures coréennes, l’une des plus importantes hors de Corée, le MNAAG retrace les thématiques et l’évolution de cinq siècles de peinture en Corée. Rouleaux, albums, paravents, offrent un panorama tantôt coloré, tantôt délicatement peint à l’encre, de la Corée, du 14e au début du 20e siècle. Explorant tour à tour la peinture religieuse, la peinture de lettrés, les créations décoratives à la veine parfois presque populaire, cet ensemble frappe par son éclectisme et son inventivité moderne. Les scènes de genre et les cérémonies populaires évoquent la vie et les croyances d’une société confucéenne qui fit sienne les codes du palais. Cherchant sa propre voie vers la modernité, la société coréenne tendit à se démarquer de la Chine, illustre modèle. Son répertoire singulier est empreint de finesse, d’humour et de poésie, l’improbable dialogue fréquent dans la peinture coréenne, du tigre et du moineau, incarnant cette verve pleine de merveilleux.

Remarquable par son unité, la collection de peintures et paravents du MNAAG, évoquant l’univers décoratif de la Corée du 14e au 20e siècle, est considérée comme l’une des plus importantes collections jamais rassemblées en Occident. Peintures, paravents, céramiques, jarres et mobiliers, dont quelques oeuvres du musée qui renvoient à la première galerie coréenne en 1893, sont présentés dans cette exposition qui permet le plein déploiement des collections de peintures coréennes du musée. Il ne s’agit plus seulement d’esthétique décorative puisque bouddhisme et chamanisme ont leur place. Outre cet inédit florilège dont les quelque 130 oeuvres surprennent par leurs couleurs chatoyantes, cette exposition invite à reconsidérer les rapports et les liens qui existent entre le Japon, la Chine et la Corée sur fond de relations avec l’Occident pour mieux en comprendre les correspondances mais aussi les différences.

Cette peinture s’inscrit dans un voyage dans le temps sur cinq siècles marqués par la dernière dynastie, la dynastie Choson (1392-1910) à l’exceptionnelle longévité. Elle marque le reflet d’une société qui vit à l’ombre de la Chine et sous sa protection mais fait preuve d’une vraie personnalité par son goût de l’épure et de la simplicité ainsi que de son attachement aux choses de la nature. Imagination sans cesse renouvelée, inventivité réelle, la peinture Choson exprime, à travers son évolution, la variété des traditions qui coexistent en toute liberté et se démarque de la Chine ou du Japon. Trois périodes se détachent : un âge d’or (15e-16e siècles) ; un « siècle des Lumières » (17e-18e siècles) ; une voie coréenne (19e-20e siècles).

15e-16e siècleS : un âge d’or
C’est au 14e siècle qu’est instauré l’alphabet coréen sous l’égide du roi Sejong (règne : 1418-1450), l’alphabet hangul qui prend en compte la spécificité de la langue coréenne de famille linguistique différente de celle du chinois, afin de marquer son identité propre. La Corée Choson entendait ériger un royaume idéal, un royaume lettré, en témoignent les peintures de grande qualité dont les thèmes varient entre paysage et genre animalier. Le paysage se réfère au style des Song du Sud avec la présence de montagnes aux formes vertigineuses, paysages fantomatiques qui émergent des brumes et expriment une vive sensibilité plus visuelle que la peinture chinoise. Le style animalier privilégie fleurs ou insectes au réalisme très minutieux mais aussi poétique, un monde comme un jardin. Toutes ces peintures témoignent d’un univers très aristocratique et pourtant d’une grande simplicité avec un goût prononcé pour la nature, les mille et un détails de la vie la plus humble, dans une élégance de ligne et de trait.

17e-18e siècles : un siècle des lumières
En cette période de reconstruction, après la guerre Imjin (invasions japonaises de la Corée entre 1592 et 1598), la peinture en Corée exprime à travers le bambou ou la branche de prunier un monde silencieux et mystérieux, traumatisé par le choc meurtrier de l’expédition japonaise. La tradition confucéenne est un refuge pour les peintres qui utilisent les quatre plantes nobles, ou encore les oiseaux. Témoignant toutefois de sa vitalité, la carte de la Bibliothèque nationale de France réalisée par des peintres de cour, au format imposant (180 x 190 cm), représente la Chine, la Corée, le Japon, durant la première moitié du 17e siècle. Elle renoue avec la tradition cartographique propre à la péninsule, initiée avec l’époque Choson. Plus tard, le thème des monts de diamants inspire le peintre Chong Son (1676-1759), thème cher à la tradition coréenne avec une symbolique teintée de chamanisme, premier exemple de paysages coréens représentés d’après nature.

19e-20e siècles : une voie coréenne
Dernière phase de la peinture Choson, cette période est celle d’une transformation faite de bouillonnement et d’innovation. Confrontée à la modernité, la Corée entend rester elle-même selon ses propres règles offrant une peinture qui exprime la juxtaposition de traditions et le maintien d’un royaume idéal confucéen, à l’écart des turbulences qui s’emparent de l’Asie du Nord-Est. Les paravents puisent dans un répertoire ancestral sur fond de thèmes favoris comme les dix symboles de longévité, le banquet chez Xiwangmu, la Déesse de l’Ouest, le soleil et la lune qui dominent les cinq pics.

Peinture de paysage
En Corée le paysage renvoie aux peintures murales du royaume de Koguryo aux temps des trois royaumes (1er-7e siècle), où des archers à cheval se livrent à la chasse en poursuivant un tigre ou un cerf, se jouant des chaînes de montagnes à la forme de vagues. Selon la terminologie chinoise, le paysage se dit « Montagne et eau », en coréen Sansudo et fait partie de l’idéal lettré et de la première catégorie de l’Académie de peinture, juste après le bambou. Mais la version coréenne du paysage chinois se démarque par sa sobriété et son goût de l’épure, également par une recherche de la profondeur et d’un point de vue unique. Au 18e siècle, le paysage s’éloigne de la Chine et se « coréanise » avec la peinture d’après nature et les scènes de genre. Les sites les plus célèbres de la péninsule, et notamment les monts de diamant (Kumgangsan), région hautement symbolique en Corée dans l’imaginaire chamaniste ou bouddhique, font leur apparition. Le paysage adopte parfois une démarche surréaliste et redéfinit la notion de perspective.

Bestiaire et imaginaire coréen : tigre, dragon, phénix
Le tigre en Corée a une longue histoire qui renvoie à ses propres racines mais aussi à la Chine qui lui sert de référence. Du chamanisme au bouddhisme, le tigre se retrouve au côté de Sansin, dieu de la montagne, auquel la plupart des monastères de l’époque Choson vouent un pavillon. Le tigre renvoie aux mythes fondateurs du peuple coréen et se retrouve associé avec la légende de Tangun. On le retrouve parfois en compagnie d’immortels issus du taoïsme, leur servant de monture mais il est avant tout symbolique du culte des montagnes. Au 18e siècle il est représenté assis au pied du pin centenaire dans lequel est juchée une pie, le premier évoquant l’esprit de la montagne, la seconde la messagère des dieux. Le thème du tigre est volontiers décliné de la peinture profane aux murs des monastères, la céramique ou le mobilier, symbole de bon augure. L’engouement qu’il connait en Corée dès le 18e siècle dans toute la société, fait écho à la résurgence de traditions coréennes, dont l’apparition d’une littérature rédigée en alphabet coréen, le hangul.

Associé au pouvoir et à la monarchie, le dragon – ou maître des pluies – est une créature mythique qui renvoie à la Chine. Dans la version coréenne, il est représenté tout en souplesse au milieu des nuages, il ne suscite jamais ni peur ni effroi et symbolise l’énergie du monde de la nature, témoin d’un univers surnaturel et de la force des éléments. Symbole royal à l’origine, le dragon se démocratise vite à l’époque Choson, pour se retrouver l’un des motifs préférés des céramistes au 17e siècle.

Autre créature mythique, le phénix apparaît au 18e siècle comme l’un des motifs récurrents sur les porcelaines bleu et blanc. Si son origine est également chinoise, sa transcription est définitivement coréenne par sa fraîcheur et sa simplicité, son attitude élégante et son harmonie des couleurs : tonalités franches disposées en à-plat et qui se jouent des contrastes violents du rouge voisinant avec le vert, le bleu ou le jaune. Traditionnellement, le phénix est la monture qui sert de messager entre les sphères célestes et le niveau terrestre mais il peut apparaître de façon familière lorsqu’il nourrit sa progéniture, le bec grand ouvert, sous le soleil couchant, motif qui se retrouve peint sur soie dans la collection Lee U-fan ou encore celle sur papier du fonds Varat.