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“Après Eden” La collection Walther
à la maison rouge, Paris

du 17 octobre 2015 au 17 janvier 2016 (prolongée au 24 janvier 2016)



www.lamaisonrouge.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 16 octobre 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  August Sander, Jungbauern (Young Farmers), 1914. © Die Photographische Sammlung / SK Stiftung Kultur – August Sander Archiv, Cologne / VG Bild–Kunst / ARS, NY.
2/  Santu Mofokeng, Chief More’s Funeral, GaMogopa, from “Bloemhof”, 1989. Courtesy The Walther Collection and Lunetta Bartz/MAKER, Johannesburg.
3/  Seydou Keïta, Untitled, 1959-60. Courtesy The Walther Collection and C.A.A.C – The Pigozzi Collection.

 


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Interview de Simon Njami, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 16 octobre 2015, durée 10'58". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

La collection de photographies d'Artur Walther exposée à La Maison Rouge est exceptionnelle par le nombre de clichés, tous faisant partie de séries complètes, mais également parce qu'elle s'étend sur une large temporalité, des débuts du XXé siècle à nos jours. La narration s'organise autour du thème de l'Eden, comme un musée renfermant les derniers vestiges d'un paradis perdu. En guise d'introduction, 120 photogravures de Karl Blossfeldt classent une typologie végétale: feuilles, bourgeons et pistils comme fossilisés dans des tirages aux flous poudreux semblent les reliefs d'une vie éteinte ou les échantillons froids et scientifiques ramenés de l'exploration d'une autre planète.

Originaires d'Afrique du Sud, deux photographes explorent à travers le paysage l'absurde violence de l'apartheid. Chez Santu Mofokeng, les paysages semblent ordinaires, mais leur naturel se trouve bousculé par l'irruption de l'arbitraire, telles ces collines couvertes des tombes de meurtres de masse ou des joueurs de golf dans ce qui ressemble plus à un terrain vague derrière un lotissement misérable. Un coin de forêt devient inquiétant avec l'apparition fantômatique d'un cheval blanc squelettique. Dans le travail de David Goldblatt, de vastes étendues vierges sont barrées de bouts de clôtures inutiles, un minuscule cimetière perdu au milieu d'une plaine désertique est obstinément clos par un mur et une grille.

Un immense hôtel de luxe à Beira au Mozambique, qui devait être une fierté, est devenu une coquille vide aux empilements cubiques de béton lépreux, envahi de végétation. Ces photographies de Guy Tillim présentent un Eden artificiel de terrasses et de piscine en pleine déliquescence ainsi qu'un nouvel Eden reprenant ses droits sous forme de mauvaises herbes.

Avec les trois photos de Ai Wei Wei laissant choir un vase Han, le passage du temps trace une frontière définitive et indélébile, brisant irrémédiablement ce qui appartient au passé.
Ed Ruscha, dans Every Building on the Sunset Strip, reconstitue le panorama complet d'une avenue sur plusieurs mètres de papier. L'obsession documentaliste a fini par dissoudre l'aura poétique de ce boulevard célèbre. Plusieurs séries témoignent ainsi d'un passé révolu comme le Berlin des années 50 de Arwed Messmer ou les photos des boutiques de la 6éme avenue de New York.
Les portraits n'échappent pas à cette approche classificatrice: face aux personnalités immortalisées par Richard Avedon, 60 portraits de August Sander peignent le visage d'une époque, l'entre deux guerres. Ces hommes et ces femmes anonymes ne sont identifiés que par leurs métiers, leurs personnalités disparaissant au profit de l'image plus vaste d'une société complète aujourd'hui disparue où chacun est à sa place.
On retrouve la même démarche dans les photos anthropologiques africaines qui gomment les personnalités en les niant. Pourtant, ce sont bien des visages semblables aux nôtres qui nous regardent, une humanité qui nous avertit qu'elle est juste la première à voir son monde disparaître, nous serons les prochains.
Plus loin, des fiches de police avec les photos des criminels interpellés. À la lecture des fiches, les crimes se révèlent être des petits délits, vol de 10$ ou de quelques bouteilles de sauce salade. C'est donc la photographie qui semble créer le criminel, qui influencerait notre regard à devenir juge.


Et la rédemption dans tout ça? Il reste les clichés bibliques de Rotimi Fani-Kayode. Ses Adam-Eves masculins croquent pommes et fleurs à pleines dents, s'abreuvent goulûment d'une eau ruisselant le long de grandes feuilles avec une brûlante rage d'exister. Un Eden animé du feu de l'immense force de la nature et de l'humanité, devenant finalement éternel.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire de l’exposition : Simon Njami



Depuis son ouverture, la maison rouge expose à l’automne une grande collection internationale. À partir du 17 octobre 2015, c’est l’exceptionnelle collection de photographies d’Artur Walther qui sera dévoilée. Artur Walther a rassemblé en vingt ans des ensembles conséquents d’une grande cohérence ; partant de la photographie allemande, puis américaine, il s’est ensuite tourné vers la photographie africaine et asiatique.

L’exposition Après Eden, présentera une sélection de plus de 900 œuvres d’une cinquantaine d’artistes. Photographie historique, daguerréotypes, photographie contemporaine, vidéos, revues, albums de la fin du XXe siècle ont été sélectionnés par le commissaire, Simon Njami, pour construire un parcours autour du paysage, du visage, de la performance, du portrait et d’essais anthropométriques ou ethnographiques.



Après Eden par Simon Njami

Une collection s’apparente à un monde. Un univers personnel en constante évolution dont le collectionneur, parfois, ne maîtrise pas tous les confins. Pénétrer en cette terre étrange revient à jouer le rôle d’un explorateur en charge de la réalisation d’une cartographie inédite. Chez Artur Walther, le monde se divise en des catégories récurrentes, introduites à mesure que le collectionneur se connaissait mieux et comprenait progressivement le sens du geste premier qui lui a fait acquérir une photographie : la nature, c’est-à-dire nommément le paysage, les portraits, la performance, la ville et l’altérité pointée par la science et les livres et les albums, qui constituent également l’un des domaines de prédilection de la photographie. Le titre de l’exposition, Après Eden, s’est imposé à travers les séquences et les segments qui constituent la collection.

Ce que raconte la collection Walther n’est pas l’histoire que je peux, observateur extérieur, percevoir. Dans ce que j’observe, je n’apprécie pas uniquement les images rassemblées, mais la manière dont elles l’ont été. Bien qu’elles aient une vie propre, qu’elles soient chargées de l’intention de leurs auteurs, c’est à travers le regard du collectionneur que je les perçois. Car ce dernier est intimement lié à ce qu’elles pourraient me dire, dans ce contexte très précis.

Les paysages, les visages, les performances, les portraits et les essais anthropométriques ou ethnographiques s’organisent autour d’une logique causale. Il y a une histoire. Car une exposition n’est rien d’autre qu’une narration, une interprétation qui intervient à un niveau global, total. Il apparaît, dès que l’on met les images bout à bout, selon une logique humaniste, une universalité qui transcende les dates, les lieux et les techniques. La mise en équation scientifique du monde et de ses habitants est également présente, dans cette quête qui contient une dimension alchimique.

L’Afrique, l’Europe, l’Asie, n’ont plus vraiment d’importance. Les spécificités géographiques disparaissent pour nous donner une méta-vision qui les transforme en épiphénomènes. La photographie, encore une fois, nous dit souvent autre chose que celle qu’elle prétend montrer. J’y ai surpris un conte, une parabole dont la matière première est l’humain. Après Eden est le résultat de la confrontation de deux regards : celui du commissaire et celui du collectionneur. Et de cette confrontation, de ce dialogue entre deux sensibilités différentes est né quelque chose qui n’appartient plus ni tout à fait à l’un, ni tout à fait à l’autre.



Artur Walther est né à Ulm en Allemagne. Il vit et travaille à New York. Ancien banquier d’affaires, il ouvre sa collection au public en juin 2010 avec l’inauguration d’un musée, constitué de quatre bâtiments et situé dans un quartier résidentiel de sa ville natale, Neu-Ulm / Berlafingen, dans le sud de l’Allemagne. Il soutient depuis vingt ans des programmes et bourses photographiques. Artur Walther a débuté à la fin des années 1990, collectionnant tout d’abord des œuvres de photographes allemands contemporains – notamment les Becher et August Sander – avant d’étendre sa collection de photographies et vidéos aux quatre coins de la planète. Celle-ci constitue désormais l’ensemble le plus important de photographie asiatique et africaine contemporaine au monde.




Commissaire de l’exposition : Simon Njami

Créateur du Festival Ethnicolor en 1987, il a conçu de nombreuses expositions et fut l’un des premiers à présenter sur des scènes internationales les oeuvres d’artistes africains contemporains. Directeur artistique des Rencontres de Bamako, de la Biennale Africaine de la Photographie, de 2001 à 2007, Simon Njami a conçu Africa Remix, présentée à Düsseldorf (Museum Kunst Palast), Londres (Hayward Gallery), Paris (Centre Pompidou), Tokyo (Mori Museum), Stockholm (Moderna Museet) et Johannesburg (Johannesburg Art Gallery), de 2004 à 2007.

En 2014, il est le commissaire de l’exposition The Divine Comedy dédiée aux artistes africains contemporains, présentée au Museum für Moderne Kunst à Francfort puis au National Museum of African Arts – à Washington jusqu’au 1er novembre 2015.

Il fut également le co-commissaire du premier Pavillon africain à la 52e Biennale de Venise et a participé à l’élaboration de la première foire africaine d’art contemporain, qui s’est tenue à Johannesburg en 2008. Il est le co-fondateur de La Revue Noire, magazine d’art contemporain dédié à la création africaine.