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“Temporary boundary” article 1759
à la Galerie Paris-Beijing, Paris

du 7 novembre au 19 décembre 2015



www.galerieparisbeijing.com

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage le 7 novembre 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Gao Brothers, The interview 2007. © Gao Brothers / courtesy Galerie Paris-Beijing.
2/  Mo Yi, Prisoner, 1997. © Mo Yi / courtesy Galerie Paris-Beijing.
3/  Lui Wei, A day to remember, vidéo still, 2005. © Liu Wei / courtesy Galerie Paris-Beijing.

 


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Interview de Romain Degoul, fondateur de la Galerie Paris-Beijing,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 7 novembre 2015, durée 17'34". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Qu'est-ce que la censure ? Quelle compréhension en avons-nous finalement, nous qui jouissons d'une liberté d'expression presque illimitée ? La galerie Paris Beijing propose une réflexion sur la nature de la censure et de ses mécanismes à travers le travail d'artistes chinois. Des figures tutélaires, Ai Wei Wei ou les Gao Brothers à la nouvelle génération représentée par Ren Hang, les œuvres présentées deviennent les supports des récits de leur censure/autocensure. Elles écrivent des histoires individuelles qui s'élargissent pour peindre le portrait collectif d'une société dont artistes, galeristes, public et même censeurs sont les protagonistes, faisant bouger parfois à leur corps défendant les lignes des possibles.

Liu Wei, dans A day to remember aborde des passants le jour anniversaire du massacre de la place Tiananmen, leur demandant ce que ce jour évoque chez eux. Respectant le tabou officiel, ni les évènements ni l'année où ils ont eu lieu ne sont mentionnés. A la seule question 'quel jour sommes-nous aujourd'hui ?' les réactions se font gênées, silencieuses, ou bien les personnes montrent une ignorance totale. Le tabou se matérialise ainsi sous nos yeux par ce silence, nous abandonnant à deviner nous-mêmes en lisant les expressions des visages ce que les citoyens peuvent bien penser. Spectateurs, nous devenons policiers, cherchant l'indice nous permettant de déterminer si la personne 'sait' ou pas.

La présence d'une censure forte produit des mécanismes d'autocensure. Les négatifs des photos prises par Xu Yong lors de l'occupation de la place Tiananmen par le mouvement étudiant de 1989 sont restés cachés pendant 25 ans dans son atelier. En les publiant tels quels, sans en faire de tirage, il en fige non seulement l'aspect inachevé, mais utilise l'inversion des valeurs du négatif photographique pour donner une puissance nouvelle aux clichés. La lumière devient obscurité, la foule est rassemblée sous un ciel noir, menace d'une nuit qui va recouvrir ces hommes et ces femmes, jusqu'à leur souvenir.

Parfois la censure vient non pas de ce que l'on montre mais de ce que l'on cache. Ainsi la photographie de Chi Peng mettant en scène un guerrier positionné devant le portrait de Mao à l'entrée de la cité interdite et en en bloquant la vision s'est vue censurée lors d'une exposition à Shanghaï. L'artiste finit par répondre en exposant un cadre vide, et il lui est demandé de le décrocher à nouveau. Ironie de l'histoire, un ami du censeur ayant vu l'œuvre dans son bureau décide de l'acheter. L'absurdité de cette mécanique prend vie dans les films d'animation de Wu Junyong. Cet opéra grotesque évoque l'univers de Ubu roi, un royaume obscène où règne cruauté et arbitraire.

Les motivations de la censure ne sont pas toujours politiques, tout ce qui touche à la nudité, la sexualité et particulièrement l'homosexualité sont encore taboues. Le travail du photographe Ren  Hang est quasiment invisible en Chine. En franchissant les limites de la moralité et de ce qui est acceptable socialement, il propose une évolution de ces valeurs. La réaction violente à ses photographies met en lumière tabous et blocages, identifiant les contours idéologiques et culturels d'une inertie au changement.

La vidéo de la performance Demolition de Huang Xiang documente cette dynamique. La police intervient devant la galerie, entourée de badauds et de spectateurs. Tout le monde finit par prendre part à un étrange ballet, argumentant, s'invectivant, affichant accords, désaccords et incertitudes face à la juste démarche à suivre. Difficile de savoir précisément quelles règles s'appliquent, quels lois ont le dessus sur quels droits. La société montre un visage flou, pas si assuré que ça de la pérennité de ses limites. Face à la violence de l'acte censeur, de multiples petites vagues continuent leur mouvement et éclaboussent l'ordres établi.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commisariat :
CIFA-China Independent Film Archive pour la section vidéo
Romain Degoul, fondateur de la Galerie pour la section photographie




Temporary boundary est un regard sur les mécanismes de la censure en Chine à travers une sélection d’oeuvres photographiques et vidéos.

Avec les artistes : Chi Peng, Gao Brothers, Liu Bolin, Mo Yi, Ren Hang, Zhang Dali, Liu Wei, Wu Junyong, Ma Yong Feng, Huang Xiang, Jin Shan, Chen Shaoxiong, Jiang Zhi, Xu Jong.


Temporary Boundary est une proposition curatoriale en deux volets, révélant une sélection de photographies et de vidéos d’artistes contemporains chinois censurées dans leur pays. La Galerie Paris-Beijing est très fière d’accueillir le commissariat de CIFA-China Independent Film Archive pour la partie vidéo de l’exposition.

Dans la partie photographique dont la sélection a été pensée par Romain Degoul, fondateur de la Galerie, on retrouve notamment des travaux des Gao Brothers : depuis les années 80, les deux frères pratiquent la satire politique à travers leurs oeuvres - ce qui leur vaut une étroite surveillance. Régulièrement, deux gardes sont postés à l’entrée de leur atelier. La photographie Now-ing, de Chi Peng a été censurée au beau milieu de la foire SH Contemporary à Shanghai, où le galeriste a dû commencer par recouvrir l’oeuvre d’un drap avant de la retirer… pour finalement la vendre à l’ami du censeur amusé par toute cette polémique… ! Ce sont autant de petites histoires que nous racontons au travers de l’exposition.

Avec Memories of 1989, Mo Yi - témoin direct des événements de la place Tiananmen - documente à sa façon un événement tabou en Chine. Toutes ces années, ses photographies sont restées cachées en lieu sûr. Avec son autre série d’autoportraits Prisoner (1997), Mo Yi se photographie sous toutes ses faces, de la manière dont on réalise les portraits de prisonniers. Des coupures de presse relatent Tiananmen. Ces images iconiques sont des exemples typiques d’autocensure.

Ici, les décors choisis par Liu Bolin pour réaliser ses photo-performances sont fortement empreints d’un symbolisme politique, tels que des slogans de propagande ou le drapeau national, dont l’utilisation est absolument interdite en Chine.

Le Quatre Juin 1989, le photographe chinois Xu Yong était présent place Tiananmen. Il aura fallu un quart de siècle pour qu’il se décide à scanner ses clichés… Et c’est avec beaucoup d’émotion que nous dévoilons avec lui aujourd’hui ces précieux clichés, présentés en négatif. Le but de Xu Yong est de revisiter cet important évènement historique et de réfléchir aux conséquences de la censure de ce drame sur la conscience collective et la société chinoise actuelle. Car pour lui : « les négatifs ont un impact plus direct que les photos pour montrer l’évidence contre la tentative d’effacer ou de faire oublier un fait historique ». En recréant cet effet ancien des négatifs sur plaques photographiques, Xu Yong nous rappelle que le gouvernement chinois interdit toujours de s’exprimer publiquement sur le massacre de Tiananmen et que toute commémoration des faits et des victimes est strictement proscrite. Ces images négatives soulèvent aussi la question de la mémoire collective des évènements du Quatre Juin 1989. La représentation exacte des faits historiques semble contrainte dans la noirceur des négatifs, obligeant les yeux des spectateurs à un effort d’observation et de recherche dans l’image.

Second History, une enquête sur les photographies de propagande maoïste menée par Zhang Dali pendant des années où il rapproche en un même tableau des photographies originales en les confrontant aux journaux et documents de l’époque. Les manipulations faites à l’époque pour sublimer l’image du Grand Timonier est un drôle de clin d’oeil à Photoshop… !

Le thème de la sexualité est récurent chez Ren Hang (1987) : corps nus emboîtés, femmes seules fumant sur un toit de la ville ou nues dans un arbre, mais aussi scènes de baisers, d’étreintes, toujours empreints d’une grande poésie. On pense à Nan Goldin, en moins subversif, car Ren Hang ne veut pas être explicite, ni afficher ouvertement sa sexualité, c’est surtout un espace de liberté que ses photographies ouvrent. Des gens ont craché sur ses oeuvres et il a déjà dû annuler des expositions à cause de la censure. On peut lire dans son travail le malaise profond de la jeunesse chinoise, mais finalement surtout leur plaisir d’être ensemble, la force des liens qui les unissent et la confiance mutuelle qu’ils se portent. Les corps nus et les scènes sexuelles du travail de ce jeune pékinois heurtent, à ce jour encore, la morale chinoise.

Les animations de Wu Junyong ont le même effet déstabilisant qu’une fable d’Ésope ou qu’un conte de Grimm : peuplées par des rois, des bouffons et des animaux, les vidéos utilisent les codes d’un marionnettiste et de la performance pour critiquer la cupidité et l’orgueil de la société. Presque gothique dans leur esthétique, elles sont marquées par un esprit sombre qui semble intemporel, traversant la mythologie chinoise et occidentale pour exposer les folies de l’autorité. Dans l’oeuvre de Wu, où le dessin permet une grande liberté, un étrange sentiment d’ambiguïté plane dans le fait que des images si violentes peuvent nous paraître si attrayantes.

Dans A Day to Remember, Liu Wei interroge des étudiants à la sortie de l’Université de Pékin, le 4 juin 2005, le jour du 16ème anniversaire de la répression de Tian’anmen. Il leur pose à tous la même question : « Savez vous quelle date nous sommes aujourd’hui ? » Même si quelqu’un ose répondre correctement, la majorité des passants détourne la tête, d’autres resteront silencieux face à la caméra ou diront qu’ils n’en ont aucune idée : « je ne sais pas », « je ne veux pas répondre » ou encore « éteins la camera », sont les réponses plus communes. Liu Wei filme les réactions des passants à une question à l’apparence très simple et il démontre de manière convaincante que la révolte est encore un sujet tabou en Chine. Le sang qui coulait à l’époque et a été remplacé par le silence. Beaucoup de jeunes ne sont pas conscients que le sujet traité était interdit dans une conversation pendant des années, et que la révolte a été couverte par les autorités. Une façon de rompre le silence en montrant le déni.

Artiste très engagé, Ma Yong Feng crée en 2009, Forget Art, un organisme de mobilisation sociale qui opère selon une série de tactiques alternatives de micro-résistance, et ce, à travers différentes formes d’expression artistique et d’utilisation des réseaux sociaux. Par son oeuvre The Swirl, l’artiste nous témoigne de la difficulté d’exercer son art dans une société post-totalitaire où le contrôle est exercé de façon aussi totale qu’invisible. Cette vidéo de 15 minutes bouleverse autant par sa composition optique que par sa dureté. Le regard est immédiatement dirigé vers le tambour ouvert d’une machine à laver. Six poissons rouges y sont tourmentés et malmenés. L’inutilité du tourment et l’impuissance de la situation peut-être lu comme une métaphore de la torture. Elle peut également être perçue comme une critique sociale et une observation cynique de l’existence de l’artiste.

En 2011, Huang Xiang a été placé en détention criminelle pendant un mois suite à sa performance Jasmine Flower. Après sa libération, il a été limité dans sa poursuite de production artistique et d’expositions en Chine. Aujourd’hui, Huang Xiang est principalement engagé dans le cinéma indépendant. Il a produit et réalisé ses premiers films Roast Chicken et Yumen. Ce dernier film a récemment reçu le grand prix Taiwan International Documentary Festival. Sa performance Demolition dévoile une fois de plus la volonté artistique de s’exprimer face au pouvoir en place. La performance a été filmée en soirée : un homme se met nu et se tient droit sur un sol en pierre. Huang se change pour une tenue d’infirmière. Équipé des différents ustensiles de chirurgien, Il grave au scalpel le mot « Démolition » en chinois sur le torse du prestataire. Une photo du rendu final est prise et est dévoilée durant la même soirée sur les vitrines d’un magasin. Immédiatement, les autorités arrivent et tentent de recouvrir l’impression.

Chen Shaoxiong a été un membre fondateur du « Big Tail Elephant », un groupe d’artistes conceptuels actif à Guangzhou dans les années 1990. Aujourd’hui, il travaille à la fois individuellement et en collaboration en tant que membre d’un collectif d’artistes asiatiques appelé « Xijing Men » ainsi qu’un autre collectif d’artistes chinois, « Project without space ». Son art traverse différents médias, dont la peinture, la photographie, le collage, et l’art conceptuel. Pour Ink History, Chen a créé plus de 150 dessins à l’encre de photos historiques de grands événements en Chine de 1909 à 2009. Par la suite, Il a tourné les dessins dans une vidéo de trois minutes qui retracent l’histoire de la Chine Moderne, avec le tic-tac d’une horloge en arrière-plan.

Dans ses vidéos de surveillance, Jin Shan a recruté deux volontaires pour être mis en scène dans un véritable scénario à la limite du sadique, une méditation sur les manières que nous avons à consentir certaines de nos libertés. L’artiste crée des scénarios absurdes et inattendus qui révèlent le désir de l’homme d’être contrôlé. Grâce à cela, il explore subtilement la définition de la liberté : l’impact de la violence à la fois visuelle et psychologique de ses images transmet un profond sentiment de gêne et d’inconfort, qui incarne les multiples facettes de la notion de liberté.

Jiang Zhi est l’un des artistes vidéo les plus importants de Chine. Lauréat du Prix Art contemporain chinois et de la contemporain Art Association chinoise en 2000, il s’exprime sur divers aspects de la société turbulente de la Chine moderne, de l’éloignement de l’existence individuelle au rythme effréné de nos vies sociales. L’installation vidéo Onward ! Onward ! Onward ! (2006) représente les dirigeants chinois Mao Zedong, Deng Xiaoping et Jiang Zemin, courant l’un après l’autre. Leur action de mouvement sans fin représente la foi dans le progrès, comme le résumait le slogan populaire, « Tant que nous courrons, nous serons toujours en train d’avancer », tout en soulignant que la notion de destin est profondément enracinée dans cette société.

L’exposition projette enfin le documentaire AI WEIWEI: NEVER SORRY de Alison Klayman. Cette jeune réalisatrice américaine a filmé au quotidien la lutte d’une des figures les plus emblématiques de la dissidence. Ai Weiwei est connu dans le monde entier pour son attitude critique et son militantisme qui, à l’ère du numérique, inspirent un public mondial et brouillent les frontières de l’art et de la politique. Pour son premier film, Alison Klayman a pu avoir une approche sans précédent de la démarche artistique d’Ai Weiwei, en travaillant comme journaliste en Chine. Le portrait détaillé qu’elle en fait apporte une exploration nuancée de la Chine contemporaine et de l’une de ses plus importantes figures publiques.


1495 Paris-Photo-2014 audio

Archives FranceFineArt.com :
Écoutez l’interview de Romain Degoul réalisée lors de la 18ème édition de Paris Photo
sur THE INVISIBLE RED LINE / LA CENSURE EN CHINE
projet de la Galerie Paris-Beijing, pour Paris Photo 2014

http://www.francefineart.com/index.php/agenda/14-agenda/agenda-news/1586-1495-grand-palais-paris-photo-201