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“Bruno Barbey” Passages
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 12 novembre 2015 au 17 janvier 2016



www.mep-fr.org

www.biennalephotomondearabe.com

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 10 novembre 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Bruno Barbey, Mausolée de Moulay Ismaïl, Meknes, Maroc, 1985. © Bruno Barbey / Magnum Photos.
2/  Bruno Barbey, Ternow, Pologne, 1976. © Bruno Barbey / Magnum Photos.

 


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Interview de Bruno Barbey,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 10 novembre 2015, durée 16'20". © FranceFineArt.
(à droite : Caroline Thiénot-Barbey, cinéaste et commissaire de l'exposition)

 


 

Exposition présentée dans le cadre de la première Biennale des photographes du monde arabe contemporain,
à l’initiative de l’Institut du monde arabe et de la Maison Européenne de la Photographie.

1752_Biennale-arabe audio

voir l’article sur FranceFineArt.com :

http://www.francefineart.com/index.php/agenda/14-agenda/agenda-news/1900-1752-paris-biennale-monde-arabe

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt.

 

En 150 photographies, la Maison Européenne de la Photographie propose de redécouvrir le travail du photojournaliste Bruno Barbey. En couleur ou en noir et blanc, elles témoignent d’un regard bienveillant porté sur le monde et sur ses beautés.


Photographier l’événement

Photojournaliste, Bruno Barbey parcourt le monde depuis 55 ans maintenant, photographiant l’histoire au moment où elle s’écrit ou saisissant tout simplement le geste ou le sourire d’un anonyme. En noir et blanc ou en couleur, peu importe, du moment que la scène est sincère et le regard vrai. Semblant toujours être là où il faut quand il faut, il capture les événements majeurs de notre époque pour en donner une autre lecture. De ses photos de mai 1968, on retiendra ainsi la photographie « 1 million de manifestants marchant vers la place de la Bastille » (13 mai 1968) et sa silhouette solitaire qui se tient à un haut lampadaire et domine un fleuve de bannière haut levées en signe de protestation. La Guerre du Vietnam (la série « Bataille d’An Loc »), la fondation du Solidarnosc, ou les funérailles du président égyptien Nasser (« Funérailles de Nasser, Le Caire », 1970) s’inscrivent de même dans le noir et blanc de ses photos qui s’approchent au plus près de l’événement mais aussi des hommes qui le vivent. Pourtant, le noir et blanc peut aussi transmettre des rencontres insolites, en dehors de toute perspectives historiques, tel ce face-à-face amusant entre un petit singe malicieux et une femme dont la surprise est tout aussi sincère que compréhensible (« Kenya, Afrique de l’est », 1965).

Puis le noir et blanc laisse peu à peu la place aux couleurs vives et acérées. D’abord peuplées, bruissant de l’activité de leurs sujets, les photographies deviennent alors plus épurées. L’homme y est toujours présent mais il fait désormais partie d’un tout. Sur les « Champs pétroliers de Burgan, Koweït », 1991, sa présence se fait sentir tantôt par les énormes fumées rouges et grises qui s’élèvent vers un ciel de plomb alors que des dromadaires traversent un paysage presque apocalyptique, tantôt par une flamme vive qui jaillit d’une brume opaque. Presque fantastiques, rappelant l’art du peintre John Martin, ces photographies de guerre côtoient pourtant les murs orange éclatant du « Mausolée de Moulay, Ismaïl, Meknès » (1985). Ici, l’homme, dans une tunique qui fait écho à la mosaïque qui recouvre le sol du monument, silhouette solitaire, ajoute de l’imprévu au cadre défini, très géométrique de la photographie. Mais même si elles sont d’une certaine façon plus contemplatives, les œuvres en couleur de Bruno Barbey n’oublient pas non plus de saisir des scènes de convivialité sincère (« Gitans, Debno », 1981) ou de communion, noyant les identités sous une pluie de confettis et grâce à un angle de prise de vue en plongée (« Fête des Moros i Christianos, Fêtes des Maures et des Chrétiens, Alcoy », 1986).


L’art du cadrage

S’il est photojournaliste, Bruno Barbey ne cherche pourtant pas à montrer le sensationnel, loin de là. Toujours, il photographie l’événement avec une certaine distance, préférant s’intéresser à l’avant et à l’après. L’horreur indicible de la guerre du Vietnam, il la transmet à travers des images sobres mais qui suffisent à témoigner de la folie de cet affrontement. Les mots « Drugs : A great way to get away from it all » ainsi que le soldat recroquevillé sur son lit de « Centre de désintoxication de l’armée américaine pour G.I. drogués, Phucat » (1971) disent à eux seuls les morts et les conditions dans lesquelles se sont enlisés les soldats américains. De même, des affrontements de mai 1968, on ne verra que des barricades effondrées, des silhouettes floues qui s’esquissent dans la nuit à la lueur incertaine des flammes (« Rue Gay-Lussac, Nuit du 10 mai 1968 »), ou encore des manifestants sur le point de lancer des pavés, dont les cibles sont prudemment maintenues hors champs (« Boulevard Saint-Germain, 6 mai 1968 »). Et quand confrontation il y a, elle demeure à distance afin d’en voir atténuée la violence, comme dans « Manifestation contre la construction de l’aéroport de Narita et la guerre du Vietnam » (1971), où les deux forces opposées sont presque réduites à leurs casques blancs et bleus.

Car les photographies de Bruno Barbey se distinguent par leur construction, leur cadrage, qui contribue à mettre leurs sujets en valeur. Les plans larges lui permettent d’embrasser un vaste décor dans lequel l’homme trouve sa place, que ce soit en tant que source de destruction – la ville détruire par les bombardements dans la série sur la Bataille d’An Loc (1972) – ou qu’il se fonde dans la nature. « Pèlerinage de Pushkaar » (1975) se découpe ainsi en plusieurs plans, les hommes s’alignant sur les reliefs du fleuve dans lequel ils se baignent alors que se distinguent au loin dans la brume les hauteurs d’une montagne. Les photographies prises en hauteur, au contraire, se parent d’une dimension presque abstraite, telle « Carnaval, Rio de Janeiro » (1973) où les danseuses habillées de blanc disparaissent presque dans le tournoiement flou de leur robe, ou « Pêche collective sur le fleuve Niger, Sokoto » (1977), sur laquelle les filets de pêche se confondent les uns aux autres jusqu’à perdre leur forme propre. Et parfois, elles révèlent ainsi des scènes insolites et poétiques, que ce soit un champ de parapluies blanchis par la neige (« Semaine Sainte à Kalwaria Zebrzydowska », 1981) ou un homme sur son vélo, pédalant… à quelques centimètres de la surface d’une rivière (« Rivière des Galets, Île de la Réunion », 1991).

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :



Depuis plus d’un demi-siècle, Bruno Barbey parcourt le monde et capture des instants de vie. Fasciné par la figure de Saint Exupéry, explorateur de formation et esthète par instinct, toute sa vie il a su imprimer sa marque entre recherche artistique et témoignage au sein de l’agence Magnum où il est coopté dès l’âge de 25 ans. Bruno Barbey fuit le scoop et la violence, mais ne manque jamais un rendez-vous avec l’Histoire. Son oeuvre est un travail de la juste distance : ni trop près, ni trop loin, il embrasse les évènements avec une humanité rare. Qu’il photographie le monde arabe, Mai 68, la révolution culturelle en Chine ou la guerre du Golfe, Bruno Barbey opère toujours avec bienveillance et intégrité. L’acuité de son regard est aussi celle du poète. Dans ses travaux personnels comme dans ses commandes, celui qui a grandi au Maroc, est un homme de rencontres, toujours ouvert à l’inconnu. Depuis son premier essai sur les italiens dans les années 1960, les photographies de Bruno Barbey se font l’écho de ces rencontres, inattendues ou inévitables, et dessinent la trajectoire unique d’un photographe explorateur et poète, à travers un demi-siècle d’Histoire.

L’exposition « Passages » à la Maison Européenne de la Photographie présente 55 ans de photographie et 150 tirages N&B et couleur de Bruno Barbey. Une rétrospective qui relève d’un double parcours, entre son travail d’auteur et son désir de témoigner sur notre époque.


Sept films, réalisés par Caroline Thiénot-Barbey, seront également projetés durant l’exposition :
Maroc éternel, 2015 (28 minutes)
Pologne, foi de l’impossible, 2015 (20 minutes)
Passages, 2015 (26 minutes)
Apocalypse Koweït, 2014 (5 minutes)
China en Kodachrome, 2012 (18 minutes)
Mai 68, 2008 (14 minutes)
Les Italiens, 2002 (10 minutes)

Un livre, publié par les éditions La Martinière, accompagne l’exposition.




Le juste regard

D’une facture apparemment classique, l’oeuvre de Bruno Barbey occupe dans l’histoire récente de la photographie, une place à part. Très largement diffusé dans la presse et les magazines les plus emblématiques (Du, Camera, Time, Newsweek, Stern…), son travail est pourtant trop souvent éclipsé par son célèbre reportage en N&B sur les Italiens, réalisé à ses débuts dans la première moitié des années 60, ainsi que par les admirables images en couleur de son Maroc natal. Or que ce soit dans le photojournalisme, dans l’utilisation de la couleur, ou dans l’approche photographique singulière qui le caractérise, Bruno Barbey fait figure de précurseur. Face aux grands événements qui ont secoué la seconde moitié du 20ème siècle, il semble par instinct avoir toujours été là au bon moment et avant tout le monde. Il couvre la guerre des 6 Jours en 1967, les événements de Mai 68, le Vietnam en 1971, la Chine pendant la révolution culturelle. Il est au Cambodge quand Phnom Penh est encerclé par les Khmers rouges en 1973, ou encore en Pologne au tout début de Solidarnosc. Il photographie le Shah d’Iran, l’Imam Khomeini, Salvador Allende, Yasser Arafat, ou encore l’investiture de Barack Obama en janvier 2009. Il ne cesse de parcourir le monde de l’URSS à l’Afrique, des Etats Unis au Japon, de l’Asie à l’Amérique Latine. Il en rapporte une moisson d’images qui font l’objet de nombreuses publications, préfacées par les auteurs les plus illustres : Tahar Ben Jelloun, J.M.G Le Clézio, ou encore Jean Genet qui, à son retour de Palestine, accepte de rédiger un texte qui fera scandale sur ses photographies.

Photographe de l’agence Magnum, coopté dès l’âge de 25 ans, Bruno Barbey se défend d’être un photoreporter de guerre : “Je refuse l’esthétique de la folie ou de l’horreur”, écrit-il en exergue d’un de ses livres. Comme le souligne Annick Cojean : “c’est un photographe au long cours, plutôt qu’un baroudeur”.(1) En fait il est là avant ou après, ni trop loin, ni trop près. Il ne cherche pas le “scoop” et rien n’est plus éloigné de son éthique, que le “coup” si cher aux photojournalistes d’aujourd’hui. Et “s’il y a des rendez-vous avec l’Histoire qu’il ne faut pas rater”, il préfère de beaucoup les rendez-vous amoureux avec la vie. C’est ainsi qu’il a découvert le Brésil en 1966 à la demande d’Edmonde Charles Roux, alors Rédactrice en chef de Vogue. Il devait y rester quinze jours, il y est resté trois mois. Il utilise pour la première fois un film couleur : le kodachrome 2. C’est nouveau à l’époque et inhabituel. À la couleur souvent mal reproduite dans les magazines, la plupart des photographes d’agence, à l’exception d’Ernst Haas, préfèrent en effet le noir et blanc. Mais contrairement à une minorité de pionniers, comme Stephen Shore, William Eggleston, ou Joel Meyerowitz, tournés vers une exploitation systématique des possibilités esthétiques de ces nouveaux procédés, Bruno Barbey retrouvant au Brésil les fortes couleurs contrastées des rives méditerranéennes, s’emploie simplement à retranscrire le plus naturellement possible le réel, sans excès, ni enluminures. Consubstantielle à sa manière de voir, la couleur, qui devient alors une composante majeure de son oeuvre, n’est pas un substitut pictural. C’est une réalité photographique avec laquelle on doit désormais composer. C’est en ce sens que Bruno Barbey est novateur. Il traverse la deuxième moitié du siècle en parfaite osmose avec son évolution.

Revenant toujours sur les lieux de ses premiers reportages, parfois dix ou quinze ans après, il saisit un monde en marche. Comme l’écrit Carole Naggar : “Chez lui, plus que capture de l’instant, la photographie se fait souvent travail de mémoire”. Avec la discrétion et l’élégance qui le caractérisent, Bruno Barbey a toujours su tenir la bonne distance et garder un juste regard. C’est en cela que son approche visuelle est éminemment contemporaine. Si “c’est poétiquement”, comme le dit le poète, “que l’homme habite sur cette terre”, c’est photographiquement en tout cas, que Bruno Barbey nous invite à la parcourir et à l’aimer.

Jean-Luc Monterosso, Directeur de la Maison Européenne de la Photographie

(1) Photopoche, 1999, éditions Delpire.


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Archives FranceFineArt.com :
Retrouvez l’interview de Bruno Barbey
pour son livre “Chine” aux éditions du Pacifique

http://www.francefineart.com/index.php/livres-a-litterature/36-livres-videos-cinema/livres/1592-032-livres-bruno-barbey