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“à fendre le cœur le plus dur” témoigner la guerre / regards sur une archive
au Centre Photographique d’Île-de-France, Pontault-Combault

du 15 novembre 2015 au 21 février 2016



www.cpif.net

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 13 novembre 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Agnès Geoffray, Flétrissures, de la série Les suspendus, 2010 – 2011. © Agnès Geoffray.
2/  Estefania Peñafiel Loaiza, d'un regard l'autre (hasta manana Rebeca, espero que tu no vas a olvidar), 2007. © Estefania Peñafiel Loaiza.
3/  Adam Broomberg & Oliver Chanarin, Afterlife 1, Afterlife, 2009. © Adam Broomberg & Oliver Chanarin.

 


1768_guerre audio
Interview de Pierre Schill, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 novembre 2015, durée 16'29". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Pierre Schill, historien
Nathalie Giraudeau, directrice du CPIF
et Olivier Grasser Aiello, directeur du Frac Alsace




avec Kader Attia, Rossella Biscotti, Adam Broomberg & Oliver Chanarin, Alexis Cordesse, Emmanuel Eggermont, Jérome Ferrari, Agnès Geoffray, Lamia Joreige, Rabih Mroué, Estefania Peñafiel-Loaiza, Oliver Rohe Et Pierre Schill.

« J’ai encore vu des choses à fendre le coeur le plus dur ». Lettre de Gaston Chérau à son épouse, 11 décembre 1911


Préambule par Pierre Schill, historien

Au départ, un hasard à Montpellier, une petite boîte trouvée dans les « papiers » de Paul Vigné d’Octon, député anticolonialiste de l’Hérault au moment de la Troisième République. À l’intérieur, une vingtaine de photographies : des soldats sous les palmiers, le désert et puis une exécution en place publique : quatorze corps d’« indigènes » pendent au gibet. Images égarées sans aucune indication de date, de lieu, ni de nom de photographe.

Faut-il détourner le regard et refermer la boîte ? Continuer à fouiller les archives et poursuivre la recherche initiale, comme d’habitude ? Oublier ?

Le temps s’écoule et l’empreinte des corps ne s’efface pas. Alors rouvrir la boîte, regarder ces fragments d’histoire, les vivants et les morts, et penser aussi à celui qui était là, qui a vu et qui a photographié pour qu’un jour nous puissions voir à notre tour.

« Je préfère leur histoire à leur éloge, car on ne doit aux morts que ce qui peut être utile aux vivants, la vérité et la justice » (Condorcet, 1773). L’histoire en images et l’histoire de ces images d’abord, pour retrouver leur substance. Les partager pour laisser l’émotion déborder du cadre scientifique : danse, littérature, création plastique, l’art pour mettre en question, autrement, le reportage de guerre.

Expérience dialectique où la confrontation permet d’explorer de manière sensible l’histoire et ses béances.


Interpréter l’archive

À fendre le coeur le plus dur / Témoigner la guerre est un projet artistique transversal à l’initiative de l’historien Pierre Schill, qui associe art contemporain, danse, photographie, littérature et histoire. Il trouve son origine dans la découverte d’une archive inédite composée de photographies et d’écrits datant de 1911, et réalisée près de Tripoli, sur le territoire de l’actuelle Libye. Cet ensemble résulte de la commande d’un reportage sur la guerre de colonisation qui opposa le Royaume d’Italie et l’Empire ottoman, passée par le quotidien Le Matin à l’homme de lettres français Gaston Chérau (1872-1937).

Postulant la fécondité d’une approche croisée, l’exposition rassemble, autour de l’archive elle-même, des œuvres d’artistes visuels et plasticiens (Kader Attia, Rossella Biscotti, Adam Broomberg & Oliver Chanarin, Alexis Cordesse, Agnès Geoffray, Lamia Joreige, Rabih Mroué, Estefania Peñafiel-Loaiza) engagés dans l’analyse des processus de représentation. Les œuvres sont mises en relation avec une pièce et une installation chorégraphiques créées par le danseur et chorégraphe Emmanuel Eggermont (accompagné de Jihyé Jung et Elise Vandewalle), ainsi qu’avec une production littéraire des écrivains Jérôme Ferrari et Oliver Rohe et une approche historique proposée par Pierre Schill. En invitant l’historien mais aussi divers regards et langages artistiques à se rencontrer autour de l’archive source, À fendre le coeur le plus dur / Témoigner la guerre en propose une analyse qui tente de comprendre l’événement saisi par les images autant que de s’en affranchir et de le déborder.


La figure du témoin

Dans une lettre à son épouse, Gaston Chérau confie : « J’ai encore vu des choses à fendre le coeur le plus dur ». Ses brouillons d’articles et sa correspondance permettent de saisir dans un registre intime les effets de la découverte de l’Afrique et de la confrontation avec la guerre, entre contrainte professionnelle, parole publique et tourments privés. En pendant au souci d’objectivité que suppose sa mission, Gaston Chérau laisse poindre face au spectacle de la violence un discours subjectif de fragilité et d’empathie.

À fendre le coeur le plus dur / Témoigner la guerre se développe ainsi autour de la question du témoin, dont le propre est de produire des récits à partir de l’événement, des récits pluriels qui échappent autant à la rigueur scientifique de l’historien qu’à la dynamique de la sensation du reporter. L’exposition se construit sur le déplacement du processus historique et de la chaîne des témoins qui d’ordinaire fabriquent les représentations.

Déjouant la discipline historique et l’approche documentaire classique au profit d’une valorisation de la valeur heuristique des images, cette exposition plonge le visiteur dans une autre temporalité. Les enjeux ne reposeraient plus seulement sur l’exactitude des informations et la rigueur des analyses, mais sur quelque chose de plus ténu, qui tiendrait des mots d’effroi de Gaston Chérau. Il s’agirait de nous confronter à ces questions : que provoquent en nous ces images, que nous apprennent-elles, comment nous transforment-elles ? Quelle est cette horreur, cette terreur ? Qui sont ceux qui la fixent ? Comment relier ces images à notre moment présent ? Cent ans après les lecteurs de Chérau dans Le Matin, le visiteur pourrait ici endosser la place du témoin.

Au coeur d’une société ébranlée par la question de l’autre, l’exposition À fendre le coeur le plus dur / Témoigner la guerre est ainsi pensée comme une réflexion sur le présent et sur le poids des traumatismes qu’il porte.