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“Eros Hugo” Entre pudeur et excès
à la Maison Victor Hugo, Paris

du 19 novembre 2015 au 21 février 2016



www.maisonsvictorhugo.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 18 novembre 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Victor Hugo (1802-1885), " Sub clara nuda lucerna ". Plume et lavis d'encre brune sur crayon de graphite, papier Vélin. 19,6 x 31,6 cm. Maisons de Victor Hugo, © Maisons de Victor Hugo / Roger-Viollet.
2/  Jules Vallou de Villeneuve (1795-1866), Nu de dos, 1852-1853. Épreuve sur papier salé à partir d'un négatif papier ciré, sur son papier de montage d'origine. 16,2 x 12,3 cm. © Collection Gérard Lévy / photo Jean-Louis Losi.
3/  Camille Corot (1796-1875), Marietta, l'odalisque romaine, 1843. Huile sur papier collé sur toile. 29 x 44 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, © Petit Palais / Roger-Viollet.

 


1771_Eros-Hugo audio
Interview de Vincent Gille, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 18 novembre 2015, durée 13'49". © FranceFineArt.

 


texte de Audrey Parvais, rédactrice pour FranceFineArt.

 

L’amour, la passion, le désordre provoqué par la conjonction du désir et de la frustration… autant de thèmes que Victor Hugo a pu aborder en creux dans son œuvre. Et dont il a fait l’expérience à toutes les périodes de sa vie. Avec « Eros Hugo », la Maison de Victor Hugo met face à face l’appétit charnel que l’auteur n’a cessé de manifester avec son œuvre, sensuelle, certes, mais aussi d’une grande pudeur.


Femme tentatrice, femme sacrée

«Eros», soit l’amour dans ce qu’il a de plus charnel, puissance du désir sexuel qui mène à tous les débordements, à tous les excès. Cet «eros» est l’un des thèmes du XIXème siècle qui, en parallèle du respect de la bienséance et des bonnes mœurs, s’exprime dans tous les domaines de l’art. Avec l’exposition « Eros Hugo », la Maison de Victor Hugo explore justement ce thème tout en le comparant à l’œuvre de l’auteur et à sa vie. Avec son parcours chronologie, l’exposition oscille alors entre la présentation de l’érotisme exacerbée du XIXème siècle et la représentation d’un amour plus spirituel, plus pur. Dans le premier cas, la femme apparaît parfois comme une victime du désir de l’homme, comme sur ces illustrations de Dominique Vivant-Denon du Moine, le roman gothique de Matthew Gregory Lewis, où le moine Ambrosio poursuit les différents objets de ses violents désirs. Mais elle est aussi une séductrice, une tentatrice dont les formes rondes s’affichent librement. De la jeune femme alanguie dans sa loge (La Loge – Jeunes femmes assises, Achille Devéria) aux silhouettes à la féminité particulièrement exacerbée, notamment par l’esquisse d’une poitrine particulièrement imposante, de La Promenade des lionnes (Constante Guys, 1965), la figure féminine impose ses charmes, ceux qui brouillent l’esprit et éveillent le désir.

Et pourtant, aux côtés de ces femmes tentatrices, voici que d’autres s’offrent au regard dans toute leur innocence. Symbole d’un amour pur, l’Eve de Rodin tente de dissimuler avec douceur ses rondeurs, faisant écho à la blonde et pâle silhouette du Sacre de la femme, de Paul Baudry. La figure féminine, ici, est sacrée, elle est intouchable, tout comme l’est la douce et innocente Dea de L’Homme qui rit. Sa nudité même, pourtant complète, devient une armure et efface toute forme de tentation. Si séduction il y a, elle vient de la pâleur de la peau et du regard franc et direct de la Jeune fille nue – L’Innocence (Théophile Gautier) et non pas de ses formes, aussi désirables pourraient-elles être. Pour Théodore Chassériau, la femme se fait même presque ange, le drap blanc de Femme nue debout (1853) figurant presque une aile qui se serait déployée, chassant le désir de l’homme et le remplaçant par une profonde adoration. Des différentes œuvres ainsi exposées, ressortent donc deux visions de la femme, deux approches qui permettent alors d’illustrer la contradiction entre la relative pudeur de l’œuvre de Victor Hugo et le déchaînement des sens qui ont rythmé sa vie, comme celles de ses contemporains.


Volupté charnelle, écriture toute en retenue

L’époque n’est en effet visiblement plus à la censure. C’est la victoire du faune, devenu Pan, qui n’hésite plus à satisfaire ses pulsions. L’iconographie, qui atteint parfois à la pornographie, s’en fait le véhicule de prédilection. La scène érotique Satyre et trois femmes sculptée dans le bronze paraît presque bien sage une fois mise face à face avec les aquarelles de Félicien Rops, telles Paniconographie ou Courtoisie exagérée, sur laquelle les membres du faune et de la femme nue représentée s’emmêlent tellement qu’il est difficile de déterminer qui est qui. D’autres vignettes, qui ne laissent absolument rien à l’imagination témoignent d’une sexualité débridée, décomplexée, du moins en image. Les aquarelles de Rodin, aux titres particulièrement évocateurs (Femme nue sur le dos aux jambes relevées, Femme allongée aux jambes écartées, le vêtement relevé, vers 1900) n’ont beau qu’esquisser leurs sujets, elles transpirent une sensualité exacerbée. Tout comme les Scènes d’atelier de Francesco Hayez où hommes et femmes se livrent, dans des couleurs vives presque trop innocentes, à toutes les frénésies. Mais ce Pan conquérant, cet homme qui cède à l’appel de la chair, c’est aussi Victor Hugo, non pas l’écrivain mais l’être de sang qui cumule les conquêtes et les maîtresses, celui que Rodin représente dans sa nudité et dans la puissance de sa virilité avec le blanc Victor Hugo nu, assis.

Mais si l’écrivain, l’homme de lettres répond à l’urgence de son désir, son œuvre, aussi bien littéraire que picturale, demeure paradoxalement plus sage. Si les illustrations de Notre Dame de Paris par Louis Boulanger rappellent celles du Moine, Esmeralda devenant la victime désespérée de la concupiscence des hommes qui l’entourent, et si la chute prochaine et déshonorante de Fantine s’exprime parfaitement dans l’Origine de Fantine (Georges-Antoine Rochegrosse, 1888), l’acte sexuel, lui, est toujours passé sous silence. Comme si le sujet, chez Victor Hugo devenait tabou dès qu’il s’agissait de l’exprimer. Ses aquarelles et ses esquisses, même si elles respirent la sensualité, bannissent néanmoins toute sexualisation. Son Odalisque se dissout ainsi dans l’encre, effaçant sa silhouette, noyant ses formes comme pour nier leur puissance de séduction. De même, ses dessins réalisés à la plume, tels Femme masquée retenant son manteau ou Femme nue sous manteau portant plume à toque, jouent plutôt sur le mystère de la figure féminine, qui participe aussi de sa séduction, que sur sa volupté. Élégantes, raffinées, jouant sur la suggestion plutôt que sur la révélation, elles sont sensuelles, certes, mais elles le dissimulent habilement sous le manteau de la pudeur. Et c’est aussi ainsi que se caractérise la littérature de Victor Hugo, qui suggèrent délicatement les choses sans à avoir à les affronter directement.

Audrey Parvais

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Vincent Gille



" Ce qu'on appelle passion, volupté, libertinage, débauche, n'est pas autre chose qu'une violence que nous fait la vie ", écrit Hugo en 1876. Cette violence touche à la fois aux passions, puisque Hugo a été, tout au long de sa vie, un grand amoureux, et à sa sexualité, qu'on s'est complu à présenter comme frénétique. Elle touche à ce qui est l'une des principales qualités de son oeuvre : la puissance, la générosité, le lyrisme.

Victor Hugo est à la fois pudeur et excès. Pudeur quand il glorifie, de Cosette à Déa, des amours idylliques, " purs " et presque " chastes ". Pudeur quand il réserve à des publications posthumes les poèmes très sensuels écrits pour ses grands amours que furent Juliette Drouet, Léonie Biard et Blanche Lanvin. Pudeur également quand il s'interdit toute intrusion du côté de l'érotisme, fût-il littéraire, alors que le siècle tout autour de lui y verse abondamment.

Excès dans l'expression des passions au cours de deux scènes presque hallucinées de Notre-Dame de Paris et de L'Homme qui rit. Excès quand il laisse libre cours à la force vitale qui est celle, agissante, chaotique, omniprésente, du dieu Eros. Une extraordinaire puissance porte l'oeuvre de Hugo.

L'exposition se propose de suivre chronologiquement cette double face dans sa vie et son oeuvre, soumise à la toute-puissance du désir, depuis la sensualité chatoyante des Orientales, la violence des passions dans les drames jusqu'aux transpositions mythologiques des grands textes. On sait, par ailleurs, combien la sexualité de Hugo a parfois été complexe et foisonnante, mais sans doute guère plus que nombre de ses contemporains : cet aspect intime, qui a fait couler beaucoup d'encre depuis les travaux d'Henri Guillemin sera donc remis en perspective.

Autour des oeuvres de Hugo, seront présentées des sculptures de Pradier, de Rodin, des peintures de Böcklin, Cabanel, Chassériau, Corot, Courbet, des dessins et gravures de Boulanger, Ingres, Delacroix, Devéria, Gavarni, Guys, Rops, des photos de Félix Moulin, de Vallou de Villeneuve.

Quelques évocations de l'érotisme 19ème permettront de comprendre, a contrario, combien Hugo ne s'est jamais placé sur ce terrain-là.




Parcours de l’exposition

Dans une tradition littéraire française qui voue au genre érotique un culte certain, le cas Hugo détonne : son oeuvre reste extrêmement sage, sensuelle, certes, par moments, mais dépourvue de tout versant érotique - et pornographique encore moins. Mais il a par ailleurs la réputation d'être un coureur invétéré, un homme doté d'une " forte nature " dont ni l'âge ni la gloire n'ont su réfréner les ardeurs ou entamer la liberté d'aimer qu'il n'a eu de cesse de proclamer. Dans la vie, donc, l'excès, une joyeuse vitalité, un libertinage avoué ; dans l'oeuvre, une pudeur presque jamais prise en défaut.

C'est cette double face, avers et revers d'une même médaille, que cette exposition se propose d'explorer. Le parcours chronologique permet de replacer Hugo parmi ses contemporains, car c'est tout le 19ème siècle qui est à la fois corseté et débridé et d’avancer l'hypothèse que la pudeur de son oeuvre, si elle résulte d'un choix - revèle chez Hugo sa volonté de donner à l'amour son caractère spirituel, ce qui lui permet de contenir et de canaliser la violence et l'excès du désir.

Le désir ne se manifeste donc pas seulement par le biais de l'érotique et du sexuel mais déborde tel le satyre se métamorphosant en dieu Pan. Eros gouverne toutes les attractions, celles des astres, celles des plantes comme celles des hommes, il préside aux métamorphoses. Ce n’est pas une simple affaire de peau et de sexe. Il devient le principe qui nourrit la création, y compris la création poétique. Et c'est donc toute l'oeuvre, sa générosité, sa monstruosité, sa démesure, son incroyable fécondité qui est traversée par la face obscure de la toute-puissance du désir. L'exposition mêlera donc à des ensembles créés autour des oeuvres de Hugo des ensembles miroirs (le roman noir, l'orientalisme, le monde des courtisanes et des actrices, la prostitution, l'iconographie des bacchantes et des satyres à la fin du 19ème siècle…). De brèves et suggestives évocations de l'érotisme 19ème permettront de comprendre, a contrario, combien Hugo ne s'est jamais placé sur ce terrain-là.