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“Anselm Kiefer” article 1780
au Centre Pompidou, Paris

du 16 décembre 2015 au 18 avril 2016



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, séance de tournage, le 14 décembre 2015.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Anselm Kiefer, Varus, 1976. Huile et acrylique sur toile de jute, 200 x 270 cm. Collection Van Abbemuseum, Eindhoven. Photo : © Jochen Littkemann, Berlin.
2/  Anselm Kiefer, Margarethe,198. Huile, acrylique, émulsion et paille sur toile, 280 x 400 cm. The Doris and Donald Fisher Collection at the San Francisco Museum of Modern Art. © Anselm Kiefer / Photo : Ian Reeves.
3/  Anselm Kiefer, Die Orden der Nacht [Les Ordres de la nuit], 1996. Acrylique, émulsion et shellac sur toile, 356 x 463 cm. Seattle Art Museum. Photo : © Atelier Anselm Kiefer.

 


1780_Anselm-Kiefer audio
Interview de Jean-Michel Bouhours, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 14 décembre 2015, durée 14'23". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Jean-Michel Bouhours, Conservateur, chef de service des collections modernes, musée national d’art moderne




Le Centre Pompidou propose une traversée inédite de l’oeuvre d’Anselm Kiefer. Cette rétrospective, la première présentée en France depuis trente ans, invite le visiteur à parcourir une dizaine de salles thématisées retraçant l’ensemble de la carrière de l’artiste allemand, de la fin des années soixante à aujourd’hui.

Déployée sur 2000 m2, l’exposition réunit près de cent cinquante oeuvres dont une soixantaine de peintures choisies parmi les chefs-d’oeuvre incontournables, une installation, un ensemble de vitrines et d’oeuvres sur papier ainsi que les premiers livres de l’artiste.

Organisée en une suite de salles thématiques correspondant à des espaces / temps spécifiques, l’exposition réunit un ensemble exceptionnel des tableaux les plus emblématiques d’Anselm Kiefer, qui ont émaillé sa carrière : des oeuvres comme Resurrexit (1973), Quaternität (1973), Varus (1976), Margarete (1981) et Sulamith (1983) ou encore Für Paul Celan : Aschenblume (2006) sont les tableaux « charnières » des diverses problématiques à l’oeuvre : la question de l’histoire allemande, la réactivation de la mémoire, la dialectique de la destruction et de la création, le deuil de la culture yiddish. L’univers plastique d’Anselm Kiefer s’est ensuite ouvert à partir du début des années 90 à d’autres systèmes de pensées telles que la kabbale ou l’alchimie venant enrichir et rediriger les questionnements fondamentaux de l’artiste.

Pour ce projet, l’artiste a produit au cours de l’année 2015, un ensemble d’une quarantaine de « vitrines » sur les thèmes de l’alchimie et de la Kabbale, pour lesquels il est allé puiser dans une « réserve de possibles », un arsenal d’objets en attente de rédemption.

Sous verre, ces environnements mettent en jeu l’univers disloqué et saturnien d’un âge industriel révolu : vieilles machines, morceaux de ferrailles rouillées, plantes, photographies, bandes et objets de plomb ; loin des cabinets de curiosités, c’est le mystère de leur présence que l’artiste met en exergue, l’émission d’une lumière de mystère propre à l’alchimie.

L’oeuvre d’Anselm Kiefer invite le visiteur, avec une singulière intensité plastique et visuelle, à découvrir des univers poétiques, littéraires et philosophiques variés, de la poésie de Paul Celan, Ingeborg Bachmann ou encore Jean Genet, à la philosophie d’Heidegger, aux traités d’alchimie, aux sciences, à l’ésotérisme, à la pensée hébraïque du Talmud et de la Kabbale.




Installation monumentale dans le forum du Centre Pompidou – accès libre -
du 16 décembre 2015 au 29 février 2016

Dès son entrée dans le Forum du Centre Pompidou, le visiteur se trouvera face à une des installations monumentales que l’artiste a réalisées à Barjac (Gard), son lieu de vie et de travail entre 1993 et 2007. À l’intérieur de cette « maison tour », installée dans le vaste espace d’accueil du Centre Pompidou, un univers saturnien attendra le public. On trouvera dans cette installation la matière de prédilection de l’artiste, le plomb, ainsi que des milliers de photographies prises par Anselm Kiefer au cours de sa carrière et qui constituent une banque de données quasi biographique. Comme une mémoire déroulée, ces bandes alimentent la réflexion de l’artiste sur le temps et la mémoire, deux thèmes au coeur de son oeuvre.


 

1739_Anselm-Kiefer audio

Archives FranceFineArt.com :
réécouter l’interview de Marie Minssieux-Chamonard,
commissaire de l'exposition “Anselm Kiefer” l’alchimie du livre à la BnF François-Mitterrand,
à voir jusqu’au 7 février 2016

http://www.francefineart.com/index.php/agenda/14-agenda/agenda-news/1887-1739-bnf-mitterrand-anselm-kiefer




Extraits du catalogue de l’exposition – publié aux Éditions du Centre Pompidou

Anselm Kiefer, en fragments

Par Jean-Michel Bouhours, Commissaire de l’exposition

Extraits
[…]

Un art d’Allemagne
En 1980, Anselm Kiefer et Georg Baselitz représentent l’Allemagne à la Biennale de Venise. Le pavillon conçu par Klaus Gallwitz suscite un malaise dans la presse allemande. La sculpture présentée par Baselitz salue du bras droit, tandis que Kiefer, avec plusieurs tableaux, sort du silence plombé un héritage culturel allemand que l’on préférait ne plus exhiber. La presse allemande accuse les artistes de glorification du passé, ou à tout le moins de jouer avec des motifs nationalistes dangereux : le lien est fait avec le film de Syberberg, Hitler, un film d’Allemagne, sorti trois ans plus tôt. Dans cette boîte de pandore, Wagner était un sujet particulièrement sensible ; Syberberg l’avait traité avec Winifred Wagner et l’histoire de la maison Wahnfried de 1914 à 1975 (1975), où la belle-fille du compositeur confiait la fascination qu’exerçait Hitler sur elle mais aussi sur toute une partie de l’élite allemande et que loin de tout remords, elle continuait de lui porter une réelle admiration. Le film était d’une certaine manière une répétition générale pour Hitler, un film d’Allemagne, dans lequel le cinéaste dénonce le « bonheur dans la culpabilité », prévenant d’emblée qu’il n’y aura ni paroles de victimes, ni images d’archives : « Pas de voyeurisme, pas de Nuremberg, de Mme Riefenstahl, que nous. […] Pas d’autre scénario que nous. » « On ne saurait penser Hitler sans nous. » 1 Le film se veut miroir, qui du banal de monsieur-tout le-monde extorquerait l’effroyable face d’une nation qui s’était projetée en un guide et avait été capable de croire en des devises aussi monstrueuses que : « C’est la malédiction de la grandeur que de paver son chemin de cadavres ». Pour Kiefer, à la fin des années 1960, la rupture du mur du silence rappelait également que « le passé n’est jamais passé 2 ».

La nature recouvre les ruines
Dans son ouvrage De la destruction comme élément d’une histoire naturelle (2004), W. G. Sebald se penche sur les effets produits par la destruction des villes allemandes sur ses habitants : il évoque une certaine passivité des Allemands devant ce qui paraissait une punition divine et qui laissa place ensuite à une amnésie collective, expression « d’un mécanisme du refoulement 3 ». Sebald convoque Alexander Kluge, auteur du Raid aérien sur Halberstadt le 8 avril 1945 4, pour lequel le trauma provoqué par ces visions de l’apocalypse ôta aux témoins toute « capacité psychique de se souvenir 5 ». Dans son essai, Sebald évoque deux causes de régénérescences des ruines : l’une sociale, l’autre naturelle. Selon lui, la nature reprend très vite le dessus sur les ruines et connaît même des cycles inhabituels de floraisons. « Combien de temps aurait-il fallu, si le plan Morgenthau s’était réellement imposé, pour que, dans tout le pays, les montagnes de ruines se couvrent de forêts 6 ? » En revenant sur les lieux de sa détention, Jorge Semprun, quant à lui, forme le voeu que la nature puisse reprendre le dessus, pousser, recouvrir, « défoncer » ce passé des camps. Né au mois de mars de l’année 1945, Kiefer raconte que ses parents devaient lui boucher les oreilles avec de la cire pour protéger ses tympans. Il a cette formule magnifique mais terrible : « Les bombes étaient les sirènes de mon enfance 7. » Ses propres notes pour la journée du 8 mars 1945 sont une suite d’images mentales sans chronologie ni fil conducteur : « De la lumière dans la cave de l’hôpital. Des bombes. Dans la même nuit, une maison détruite dans la rue Max-Egon. Une machine à coudre Singer survit et se tient droite dans la rue. Nourriture refusée. Plus que la peau et les os. Sauvé au dernier moment grâce à Nestlé. Mère partie. Grand-mère. Ruines. Forêts noires. Logement dans une ferme dans un endroit marécageux 8. » L’Allemagne croulait sous les bombes des raids aériens de la Royal Air Force et les villes allemandes disparaissaient les unes après les autres, rasées, anéanties, par une puissance de feu inégalée jusqu’alors. À Donaueschingen, lors de la nuit qui vit la naissance de Kiefer, la maison voisine fut détruite par une bombe. Dans l’une de ses leçons données au Collège de France, « Du conflit d’angle de l’ordre dorique », Kiefer affirme que dès son plus jeune âge, entre trois et cinq ans, il construisait avec ces briques de démolition des petites maisons « de plusieurs étages ». « Je me consacrai à la construction » 9, conclut-il. En l’absence des hommes partis au front, et dans un univers dantesque où les survivants étaient réduits à l’état de spectres hantant des pans de murs éventrés, les femmes, les Trümmerfrauen [femmes des ruines] – que l’artiste évoquera souvent dans ses oeuvres – initièrent un mouvement désespéré de reconstruction de ce qui était soufflé par les bombes. […] L’abattement, l’hébétude devant une telle catastrophe étaient immédiatement transgressés par une volonté de reconstruire ce qui venait d’être détruit. Par mimétisme, instinct grégaire ou de survie, le jeune Anselm jouait en reproduisant à sa façon le travail titanesque des Trümmerfrauen. Il n’est pas anodin qu’en 1989, Kiefer se soit porté acquéreur d’une ancienne briqueterie pour y vivre et y travailler : être et habiter.

Reprenant à son compte la formule d’Héraclite, « la guerre [Polemos] père de toute chose », Kiefer affirme « qu’une oeuvre d’art peut en détruire une autre 10 », évoquant le mouvement incessant de l’art où l’artiste renie ce qui l’a précédé pour créer : la tabula rasa des avant-gardes du mouvement moderne, théorisation d’un phénomène anthropologique permanent, dont l’une des phases inaugurales fut la destruction des temples païens pour la construction des églises chrétiennes. Mouvements anthropologiques de balancier entre création et destruction, entre période de stabilité et période de crise. Jacob Burckhardt complétait la phrase d’Héraclite en affirmant que les périodes de désordre permettaient aux esprits supérieurs de s’affirmer tandis que pendant les périodes de calme et de paix, les médiocres se hissaient aux marches du pouvoir 11. L’art d’Anselm Kiefer consiste à activer cette dialectique anthropologique où création et destruction se succèdent. Il enfouit ses tableaux sous terre, les inhume, les entasse en des tours comme un amoncellement de gravats, comme pour 20 Jahre Einsamkeit, 1971-1991 [20 ans de solitude, 1971-1991]. […]


1. Syberberg/Paris/Nossendorf, Paris, Éditions du Centre Pompidou/Yellow Now, 2003, p. 64.
2. Dans « Les Ateliers d’Anselm Kiefer. “La douleur est une énergie positive” », Rue Descartes, no 3, 1992.
3. W. G. Sebald, De la destruction…, op. cit., p. 23.
4. Alexander Kluge, Le Raid aérien sur Halberstadt le 8 avril 1945, trad. de l’allemand par K. Han et H. Holl, Bienne, Diaphanes, 2015.
5. W. G. Sebald, De la destruction…, op. cit., p. 34.
6. Ibid., p. 50.
7. Interview par Klaus Dermutz, « Der Mensch ist böse », Die Zeit, 3 mars 2005, cité dans Germano Celant (dir.), Anselm Kiefer, cat. exp., Milan, Skira, 2007, p. 412.
8. A. Kiefer, tapuscrit inédit.
9. A. Kiefer, L’art survivra à ses ruines…, op. cit., p. 111.
10. A. Kiefer, L’art survivra à ses ruines…, op. cit., p. 22.
11. Jacob Burckhardt, Considérations sur l’histoire universelle, trad. de l’allemand par S. Stelling-Michaud, Paris, Allia, 2001, p. 189.




Né en mars 1945 à Donaueschingen, Anselm Kiefer participe avec Georg Baselitz, Gerhard Richter, Sigmar Polke ou encore Jörg Immendorff au renouveau de la peinture allemande des années 1970, qui émerge dans un contexte international marqué par le néo-expressionnisme. L’oeuvre d’Anselm Kiefer apparaît très vite comme singulière, par son obsession à traiter de l’Histoire et des mythes propres à la culture germanique. Représentant l’Allemagne à la Biennale de Venise en 1980 avec Georg Baselitz, Anselm Kiefer est accusé de réveiller les démons d’un passé douloureux, quand il n’est pas suspecté de travers nationalistes.

Les paysages urbains contemporains en déréliction où s’enchevêtrent blocs de béton et ferrailles tordues ont fait fonction de catharsis d’un trauma originel lié à sa naissance en mars 1945, et engendré la mise en œuvre d’une esthétique de la ruine. S’il existe une tradition d’un art de la ruine depuis la Renaissance, avec Joachim du Bellay puis Hubert Robert, Diderot et les romantiques, chez Anselm Kiefer, elle est à l’oeuvre, elle en constitue le présent. Pour l’artiste, la matière porte en elle son propre esprit, et sa mémoire. Aux matériaux habituels de la peinture, il adjoint de la glaise, du plâtre, des végétaux (tournesols, fougères), de la paille, de la cendre, des métaux comme le fer et surtout le plomb, qu’il utilise depuis le milieu des années 1970. Ce métal a pour l’artiste des qualités électives : qualités physiques de la malléabilité, de la densité extrême, de l’imperméabilité aux rayonnements électromagnétiques. Ce matériau de base des alchimistes dans leur processus de transmutation, est selon Anselm Kiefer, capable de produire une étincelle de lumière, « une étincelle qui semble appartenir à un autre monde, un monde qui nous est inaccessible ».