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“Daido Moriyama” Daido Tokyo
à la Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris

du 6 février au 5 juin 2016



www.fondation.cartier.com

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 4 février 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/ & 3/  Daido Moriyama, Dog and Mesh Tights, 2014-2015. Diaporama de 291 photographies noir et blanc, 25 min. Musique de Toshihiro Oshima. © Daido Moriyama Photo Foundation.
2/  Daido Moriyama, Tokyo Color, 2008-2015. Série de 86 photographies couleur. Tirages chromogènes. 111,5 x 149 cm ou 149 x 111,5 cm. © Daido Moriyama Photo Foundation.

 


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Interview de Leanne Sacramone, commissaire associée de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 4 février 2016, durée 9'49". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Une chaussure abandonnée, la devanture d'un salon de coiffure, des petits chocolats en forme de lèvres posés sur une table, une baignoire remplie d'une eau violette, un coin de grillage, une affiche de concert à moitié déchirée…

Le travail de Daido Moriyama qu'expose la Fondation Cartier ressemble à un inventaire de Prévert mais en bien plus coquin. Les couleurs sont saturées, lumineuses comme des écrans. Les tirages photographiques sont poussés jusqu'à une vibration crue et racoleuse de néons.

Les photographies sont disposées sur des panneaux entre des poteaux de béton, formant des palissades qui transforment l'espace en un labyrinthe. On s'y égare comme dans les ruelles étroites d'un quartier de Tokyo. Cette scénographie permet de mieux saisir le modus operandi du photographe qui arpente chaque matin les rues de sa ville avec son appareil photo. Quel regard peut-on porter sur son quartier après 50 ans de promenades ? Qu'est-ce qui peut bien interpeller, pousser le doigt à instinctivement presser le déclencheur ?

En alignant bout à bout les gros plans, Daido Moriyama dresse un tableau impressionniste numérique fortement teinté d'érotisme. La cité semble suspendue hors du temps, entre un passé qui se recouvre lentement de poussière et un futurisme cyber punk. Comme un décor de Blade Runner ou d'un roman de William Gibson, la ville est un organisme vivant, respirant de ses tuyaux, canalisations, câbles électriques. Les femmes s'y dénudent, des bouches omniprésentes offrent leurs lèvres entrouvertes dans des moues pornographiques, les posters proposent soldes et promotions. Dans cette atmosphère de liquidation totale, de boutiques fermées, d'escaliers menant à de tristes paradis de bars à hôtesses, les passants sont livrés à leur solitude, presque incongrus dans un espace qui leur échappe.

L'image est celle d'un emballement incontrôlable, d'une accélération du temps. Tout est devenu image publicitaire, tout est à vendre, à consommer tout de suite, sur place, pour finir jeté au coin d'un trottoir. Une fois l'attrait fluorescent et glamour passé, il faut faire face à un monde en perte de sens, où le synthétique a pris la place du vivant. La seule intégrité restant celle des arbres, des plantes et des oiseaux.

A l'opposé, Dog and Mesh Tights est un diaporama rassemblant des clichés pris dans les villes visitées par Daido entre 2014 et 2015 : Tokyo, Hong Kong, Taipei, Buenos Aires, Los Angeles... Les photographies sont d'un noir et blanc dense et granuleux, évoquant le souvenir, l'archive. Les images défilent lentement, accompagnées par une bande son, collage sonore d'ambiances de rues, de gares ou de grands magasins. Des marquages au sol, ombres de balcons, grillages troués forment une écriture, deviennent des idéogrammes. Ces images/mots peignent une atmosphère de roman noir, une ville sulfureuse de gangsters et de perdition.

Ces deux expositions en une se lisent comme des romans graphiques. Daido Moriyama, avec l'énergie rock d'un riff de Keith Richards, capture des fragments du réel et s'en sert pour construire des histoires. Ces bandes dessinées photographiées, science fiction ou polar, se lisent avec un plaisir coupable de roman pulp.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires de l’exposition : Hervé Chandès et Alexis Fabry



Après avoir, en 2003, fait découvrir en France l’oeuvre noir et blanc de Daido Moriyama, la Fondation Cartier pour l’art contemporain organise une nouvelle exposition consacrée à l’oeuvre en couleur de l’artiste, figure mythique de la photographie contemporaine japonaise. L’exposition Daido Tokyo révèle ainsi une partie méconnue et pourtant essentielle de l’œuvre de Daido Moriyama depuis deux décennies. À l’instar de ces images en couleur, Dog and Mesh Tights, un diaporama de photographies en noir et blanc créé spécialement par Daido Moriyama pour l’exposition, dévoile la fascination de l’artiste pour l’environnement urbain et ses habitants.


Daido Moriyama
Marquée par les changements spectaculaires du Japon dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale, la génération de photographes à laquelle appartient Daido Moriyama contribue à l’invention d’un langage visuel nouveau, voulant saisir les mutations d’une société nippone qui oscille entre tradition et modernité. Après des études de graphisme à Osaka, Daido Moriyama décide de se consacrer à la photographie et rejoint Tokyo en 1961. Il est profondément influencé par les photographes d’avant-garde de l’agence Vivo, notamment par Shomei Tomatsu et Eikoh Hosoe. Il retient du premier la fascination pour la rue et apprend chez le second le goût de la théâtralisation et de l’érotisme. À la même période il découvre William Klein et Robert Frank et s’imprègne de la grande liberté photographique qui les caractérise ; c’est notamment d’eux qu’il tient sa manière de capturer ses sujets en mouvement, se servant de l’appareil photo comme d’un véritable prolongement du corps. Cette combinaison d’influences se lit dans ses débuts, en tant que photographe indépendant à partir de 1964, puis dans les projets qu’il réalise pour Provoke – revue qu’il rejoint en 1968. Ses images d’avant-garde, transgressives et pulsionnelles reflètent la contestation et la prise de conscience japonaise. Sa première monographie Japan: A Photo Theater (1968) puis son livre d’artiste Farewell Photography (1972) lui valent une notoriété immédiate. Son travail connaît dès lors un grand retentissement dans le milieu artistique tant au Japon que dans le reste du monde. Révélant le goût de l’artiste pour les cadrages chancelants et les textures, ses photographies en noir et blanc très contrastées constituent l’essence de son travail et contribuent à sa renommée internationale.


Images de Tokyo
Fasciné par l’étrange, l’inhabituel et l’extraordinaire du flux urbain, Daido Moriyama photographie la population de Tokyo et notamment celle du quartier de Shinjuku où il vit. On trouve, dans l’ensemble des photographies présentées, des panneaux publicitaires défraîchis, des vitrines miroitantes, des tuyaux aux formes insolites, ou encore des profils de Tokyoïtes saisis sur le vif. Comme prises à la hâte, ces photographies témoignent de l’esthétique de l’instantané chère à l’artiste, qui utilise un appareil photo compact qu’il brandit au fil de ses balades, tel un véritable chasseur d’images. Plutôt que de préparer et de cadrer avec soin ses clichés, il déclenche spontanément sans regarder dans son viseur, se servant de son corps et de ses humeurs pour capter la réalité qui l’entoure. Indifférent aux techniques académiques de composition et de tirage, Daido Moriyama livre des photographies d’une grande force expressive.


Couleur
Dès les années 1970, Daido Moriyama prête une attention particulière à la photographie couleur, un intérêt qui va croissant jusqu’à l’apparition des premiers appareils numériques. Depuis le début des années 2000, il prend presque uniquement des photographies en couleur avant de les convertir en noir et blanc. Entre 2008 et 2015, l’artiste réalise ainsi plusieurs milliers d’images numériques puis choisit d’en conserver certaines dans leur forme originelle, en couleur ; un grand nombre de ces clichés est aujourd’hui présenté à la Fondation Cartier. Cette longue exploration de la photographie couleur témoigne de la pratique de l’artiste et de son évolution au cours des deux dernières décennies. Loin de s’opposer, les photographies couleur et noir et blanc se complètent dans l’oeuvre de Daido Moriyama. Si pour l’artiste les photographies en noir et blanc sont empreintes d’onirisme, la couleur parle sans équivoque de la réalité, du monde et des gens qui l’entourent lorsqu’il marche dans les rues de Tokyo : « Le noir et blanc exprime mon monde intérieur, les émotions et les sensations que j’ai quotidiennement quand je marche sans but dans les rues de Tokyo ou d’autres villes. La couleur exprime ce que je rencontre, sans aucun filtre, et j’aime saisir cet instant pour ce qu’il représente pour moi. Les premières sont riches en contraste, dures et reflètent pleinement ma nature solitaire. Les secondes sont polies, sages, comme je me présente au monde. » Nées de la confrontation directe avec la ville, ces photographies reflètent la vision du monde de Daido Moriyama, où se mêlent l’intime et le réel.


Dog and Mesh Tights
Avec le diaporama Dog and Mesh Tights conçu spécialement pour l’exposition, le regard de Daido Moriyama se porte sur ce qui passe souvent inaperçu au sein du tumulte urbain. Composant un véritable journal de bord, l’artiste capte ses sujets dans les ruelles désertées ou sur les murs des bâtiments lors de ses errances urbaines quotidiennes. Pendant près de neuf mois (de juillet 2014 à mars 2015), Daido Moriyama a pris des clichés dans toutes les villes qu’il a visité, Tokyo, Hong Kong, Taipei, Arles, Houston et Los Angeles. Conçue comme un puzzle qui se parfait et s’enrichit sans cesse, cette série forme une carte photographique du monde reflétant les relations complexes des individus avec leur environnement urbain.