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“Helena Almeida” Corpus
au Jeu de Paume, Paris

du 9 février au 22 mai 2016



www.jeudepaume.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 8 février 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Helena Almeida, Pintura habitada [Peinture habitée], 1975. Acrylique sur photographie, 46 x 50 cm, Coll. Fundação de Serralves – Museu de Arte Contemporânea, Porto. Photo Filipe Braga © Fundação de Serralves, Porto.
2/  Helena Almeida, Desenho habitado [Dessin habité], 1975. Photographie noir et blanc, encre indienne, crin de cheval, 60 x 55 cm. Coll. Museu Nacional de Arte Contemporânea – Museu do Chiado, Lisbonne. Photo Mário Valente, courtesy MNAC – Museu do Chiado, Lisbonne.
3/  Helena Almeida, Seduzir [Séduire], 2002. Photographie noir et blanc, acrylique, 199 x 129,5 cm. Coll. CAM – Fundação Calouste Gulbenkian, Lisbonne. Photo José Manuel Costa Alves, courtesy CAM – Fundação Calouste Gulbenkian, Lisbonne.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Ruptures et transformations

Si la cohérence de l’ensemble de l’oeuvre d’Helena Almeida est souvent soulignée, c’est que son travail semble stimulé par des questionnements qui l’habitent viscéralement, au plus profond de son être. C’est tout d’abord la peinture, le premier médium qu’elle utilisera dans les années 60, qui l’interroge. Elle est alors en résonance avec d’autres artistes de part le monde en rupture avec la conception traditionnelle du médium. La représentation devient image, Le tableau devient objet, s’ouvre comme une fenêtre, se découvre, se déshabille, laisse à voir son châssis. Il sort de son cadre et finalement l’artiste repousse ses limites jusqu’à ce qu’un autre médium apparaisse dans son oeuvre. Ainsi elle glisse de la peinture à la photographie, de la photographie à la vidéo, à la presque performance où le corps devient sculpture. Helena Almeida joue sans cesse avec la matière. Il y a quelque chose de jouissif et libératoire pour le spectateur dans ses explorations ludiques autour de la ligne. Dans Ouve-me, son imaginaire prend forme, la ligne devient crin de cheval et sort du tableau. L’oeuvre continue dans sa tridimensionnalité déjà amorcée avec ses tableaux sans-titre. Dans Saida Negra, ce sont les pigments qui sont libérés de la planéité de la toile pour être manipulés par la main de l’artiste. La peinture est déconstruite, le champs est ouvert à d’autres possibles.


Le Corps et la création

Dès les années 70 Helena Almeida commence à se mettre en scène et peu à peu son corps devient plus présent. C’est pour mieux traiter d’un autre des thèmes qui l’habite profondément : Quelles sont les limites entre le créateur, l’oeuvre, et le sujet ? Peut-être n’y en t’il pas et c’est pourquoi l’utilisation de son corps dans ses images s’impose à l’artiste comme une évidence. Helena Almeida habite son oeuvre comme son oeuvre semble l’habiter. Elle fait corps avec sa création. De par le fait qu’elle soit une femme, son acte prend une dimension féministe qui n’est ni voulue, ni revendiquée. La femme souvent confinée au cours de l’histoire de l’art au rôle de modèle silencieux, devient ici simultanément artiste et sujet. Modèle, l’artiste le fut d’ailleurs pour son père le sculpteur Leopoldo de Almeida. Il travaillait dans ce même atelier qu’elle habite aujourd’hui et qui apparaît dans ces oeuvres, brouillant là encore les limites entre extérieur et intérieur. C’est peut-être pendant ces longues heures de poses que ses questionnements sur le corps et l’espace ont trouvé leurs origines. Elle donne une forme plastique à ce qui l’occupe et l’habite dans un jeu subtil pourtant extrêmement planifié. L’artiste a des idées très claires sur ce qu’elle veut, idées qu’elle développe à travers de multiples dessins préparatoires. Dans ses dernières oeuvres présentées, le visage disparaît pour ne plus laisser entrevoir que ses pieds, ou le bas de son corps, tout en gardant cette même charge émotionnelle qui traverse tout son travail. Une oeuvre riche, intense, qui tout en s’inscrivant parfaitement dans le cours de l’histoire de l’art a réussi à préserver toute sa spécificité.

Clémentine Randon-Tabas

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaires de l’exposition
João Ribas et Marta Moreira de Almeida, Museu de Arte Contemporânea de Serralves, Porto




L’exposition « Corpus » présente un ensemble d’oeuvres – peinture, photographie, vidéo et dessin – réalisées par l’artiste des années 1960 à nos jours dans lesquelles le corps enregistre, occupe et définit l’espace. L’exposition a une dimension rétrospective, parcourant les différentes phases du travail de l’artiste, depuis ses premières oeuvres datant du milieu des années 1960 jusqu’à ses productions les plus récentes.

Après ses premières oeuvres tridimensionnelles, l’artiste trouve dans la photographie un moyen de combattre l’extériorité de la peinture et de faire coïncider sur un même support l’être et le faire, « comme si je ne cessais d’affirmer constamment : ma peinture est mon corps, mon oeuvre est mon corps ». Au-delà des lectures poétiques et métaphoriques que ces oeuvres peuvent inspirer, elles sont des tentatives d’atténuation des limites des médiums, telles celles de la photographie, de la performance et de la sculpture.

Ces corps deviennent simultanément forme sculpturale et espace, objet et sujet, signifiant et signifié. Le travail d’Helena Almeida est un condensé, un acte soigneusement scénographié et hautement poétique. Les représentations de ces événements montrent également le contexte dans lequel l’artiste s’inscrit. Lors d’interviews, elle réfute que ses images soient des autoportraits. C’est toujours son corps qu’elle représente, mais c’est un corps universel.

Vêtue de noir, Helena Almeida intègre dans ses photos des éléments de son atelier. Elle prend des positions qu’elle a minutieusement chorégraphiées afin de créer des compositions complexes, souvent organisées en série. En 1969, pour la première fois, Helena Almeida se fait photographier par son mari, l‘architecte Artur Rosa, collaborant à son oeuvre en tant qu’auteur du registre photographique sous-jacent à cette forme médiatisée d’autoreprésentation, qui devient dès lors une caractéristique de son travail.

Contrairement à d’autres artistes contemporains qui ont recours à l’autoportrait et à l’autoreprésentation pour mettre en scène des personnages grâce à des décors et des poses élaborées – comme, par exemple, Cindy Sherman –, ici, le point de départ est toujours le corps de l’artiste. À travers la photographie, Helena Almeida crée une forte relation entre la représentation (l’acte de peindre ou de dessiner) et la présentation (de son propre corps en tant que « support » de cet acte). « Le corps concret et physique de l’artiste sera constamment égaré, défiguré, occulté par la tâche qui tantôt le prolonge, tantôt le recouvre, qui entre ou sort (vers ou depuis) l’intérieur de ce corps. »

Les oeuvres présentées par Helena Almeida à la Biennale de Venise (en 2005 pour le Portugal) dans l’exposition « Intus », sont des exemples de ses travaux récents, caractérisés par la relation du corps de l’artiste à l’espace (et non plus désormais au dessin ou à la peinture) et par le recours à la photographie (récurrente dans les œuvres composées de séries) pour retracer une performance de l’artiste au sein de l’espace privé de son atelier. Pourtant, la même question ne cesse d’habiter l’ensemble du travail d’Helena Almeida : comment un corps et le mouvement d’un corps (toujours celui de l’artiste) parviennent-ils à faire oeuvre d’art ? L’intransigeance avec laquelle Helena Almeida traite ce sujet fait de son oeuvre, comme le dit Isabel Carlos, « l’une des plus radicalement cohérentes de l’art portugais de la seconde moitié du XXe siècle ».