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“L’insoutenable légèreté” Les années 1980
au Centre Pompidou, galerie de photographies, Paris

du 24 février au 23 mai 2016



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 23 février 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Elizabeth Lennard, Les gratte-ciel s’écartèlent, vers 1978. 46,4 x 31,1 cm. Epreuve gélatino-argentique rehaussée de peinture. Centre Pompidou, Paris. © MNAM-CCI / A.Rzepka / Dist. RMN-GP. © Elizabeth Lennard.
2/  Ellen Carey, Self-Portrait, 1987. Épreuve couleur Polaroid 20 x 24. 60 x 50 cm, unique. Ellen Carey, Courtesy of JHB Gallery, New York and M+B, Los Angeles. © Ellen Carey.
3/  Bonnot Agnès, (Sans titre), 1982. 40,2 x 26,4 cm. Epreuve cibachrome. Centre Pompidou, Paris. Centre Pompidou / P.Migeat / Dist. RMN-GP. © Agnès Bonnot / Agence Vu’.

 


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Interview de Karolina Ziebinska-Lewandowska, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 23 février 2016, durée 14'47". © FranceFineArt.

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.

 

C'est probablement une gageure que de proposer à chaque fois une vision cohérente, tout en même temps synthétique et subtile, dans cet espace confiné qu'est la Galerie de photographie du Centre Pompidou, et cela à partir des seules collections du Cabinet de la photographie du Centre, aussi volumineuses soient-elles (40 000 tirages). La salle - 200 m² tout en long, bas de plafond et en sous-sol - est austère. C'est d'autant plus une gageure qu'il s'agit avec cette nouvelle exposition de renouveler le regard sur une décennie encore trop peu éloignée de nous, et portant déjà les stigmates de la ringardise ou de la saturation visuelle : les années 80.

C'est l'époque du disco, de la vidéo et des Golden boys. Celle aussi du thatchérisme britannique versus le mitterrandisme français ; époque durant laquelle la pub rejoint les arts et les acteurs embrassent la carrière politique. Ainsi fleurit l'ère communicationnelle pourtant baignée dans le chômage de longue durée et les nouvelles MST. Même avant la fin de Brejnev, certains déjà s'éloignent d'un militantisme communautaire, post-68. L'expérience numérique fait ses premiers balbutiements mais elle est encore loin de menacer l'équilibre des forces quant à l'accès aux leviers de diffusion de l'information. Pourtant, la photographie commence une symbiose assumée avec les arts plastiques, dans l'idée d'un document augmenté, chargé d'un imaginaire flirtant avec le monde publicitaire. Au centre de ce virage, la couleur comme le reflète la sélection curatoriale de Karolina Ziebinski-Lewandowska.

Grâce au Cibachrome (tirage à destruction de colorants) qui ouvre la porte aux grands formats de qualité, aux couleurs saturées et contrastées, la photographie s’engage avec une force acidulée dans le factice de la représentation. Les technologies couleurs grand-formats conquièrent les arts plastiques. C’est aussi le cas avec les Polaroid géant (20x24) que propose la firme bostonnienne à des artistes.

Presque pas de documentaire, pas vraiment de photographie trash, ni trop de snapshot ou de street photography, mais avec une « Insoutenable légèreté » le Cabinet de photographie présente cette fois un art visuel qui assume la puissance critique de l’image mécanique dans un usage théâtral du médium. Cela en mêlant subtilement images noir et blanc et clichés en couleur dans une scénographie alternant zones blanches et noires avec des coupes en diagonale. Un mélange qui s’opère parallèlement à celui d’artistes stars avec des plasticiens plus confidentiels ou totalement oubliés, même des spécialistes.

Le commissariat de Karolina Ziebinski-Lewandowska assume des choix audacieux qui déroutent notre appréciation de cette époque dans un parcours qui, de Bustamante à Goude, en passant par Martin Parr et Karen Knorr, s’est efforcé de garder des repères en les fondant dans un paysage bigarré qui permet de renouveler notre regard sur eux et de faire de jolies découvertes. Les situationnistes bordelais du collectif Présence Panchounette, la photographe Agnès Bonnot, la plasticienne Ellen Carey, l’artiste Hergo ou encore Joachim Mogarra ou même des cinéastes et vidéastes comme Unglee et Marc Wilcox et d’autres, forment une mosaïque contrastée et dynamique des arts visuels occidentals, baignant alors dans d’une certaine légèreté.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Karolina Ziebinska-Lewandowska conservatrice, cabinet de la photographie au musée national d’art moderne
En collaboration avec Marie Auger, Emmanuelle Etchecopar-Etchart, Jonathan Pouthier




Hétérogènes, insaisissables, douloureuses, fantasques, encore trop proches, aussi légères que graves, les années 1980 sont contrastées et paradoxales. Avec des films et des photographies issus de ses collections, le Centre Pompidou propose une nouvelle traversée de cette décennie. L’exposition réunit plus d’une vingtaine d’artistes et une soixantaine d’oeuvres dans un parcours inédit.

De Florence Paradeis à Jean-Paul Goude, de Karen Knorr à Présence Panchounette, en passant par Martin Parr et Pierre et Gilles, les oeuvres choisies entreprennent pour la plupart la critique de la culture et de la société selon des stratégies variées : ironie, mise en scène réaliste ou fantaisiste, pastiche, détournement du décor, ode à l’artifice... L’histoire de la photographie des années 1980 reste, encore aujourd’hui, partiellement incomprise.

Si les formes néo-documentaires (« École de Düsseldorf », mission photographique de la DATAR) bénéficient d’une fortune critique globalement positive, il n’en est pas de même pour la photographie « fabriquée », mise en scène et éventuellement « baroque » qui représente une grande partie de la production des années 1980. Au-delà du concept de post-modernisme, parfois trop englobant, les années 1980 voient l’émergence de nouveaux enjeux à la fois poétiques et politiques. L’hybridation, l’humour, l’ironie, l’érotisme et la nostalgie constituent autant de clés de lecture possibles pour la production artistique de cette période, en particulier dans le domaine photographique.

En partie dédiée à la scène occidentale et américaine des années 1980, très présente dans la collection du Centre Pompidou, cette exposition reflète l’ordre géopolitique et économique d’une époque dont les divisions idéologiques Nord et Sud, Ouest et Est, démocraties capitalistes et régimes totalitaires centralisés, seront balayées par l’avènement de l’économie globalisée.

En mélangeant les oeuvres très connues avec celles qu’il faut redécouvrir, l’exposition nous fait rentrer dans l’esthétique et parfois l’iconographie populaire propres à ce moment et cette géographie.

En France, les années 1980 sont cruciales pour la photographie, en tant qu‘art et patrimoine. Institutions et collections photographiques majeures voient le jour ou se développent avec un élan nouveau. Au même moment, monte sur la scène une génération qui veut abolir la division entre photographie et peinture, « les peintres-photographes », qui s’oppose au langage des générations précédentes. Cette nouvelle photographie, souvent très « pictorialiste » dans les pays occidentaux, développe des formes qui sont étroitement liées au progrès technique en la matière – l’accessibilité de la photographie en couleurs de bonne qualité, les possibilités offertes par le grand format ou encore l’instantanéité du Polaroïd. La rencontre de ces nouveaux moyens de production avec la recherche de formes ou thématiques différentes de la photographie classique crée un autre paradoxe - les réalisations ouvertement anti-documentaires s’avèrent tellement conformes à la réalité dont elles sont issues que finalement elles en sont la meilleure représentation.

L’exposition du Centre Pompidou réunit pour la première fois les oeuvres de BazileBustamante, Agnès Bonnot, David Buckland, Ellen Carey, Clegg & Guttmann, Tom Drahos, Jean-Paul Goude, Hergo, Karen Knorr, Elizabeth Lennard, Joachim Mogarra, Patrick Nagatani, Paul de Nooijer, Alice Odilon, Florence Paradeis, Martin Parr, Pierre et Gilles, Présence Panchounette, Alix Cléo Roubaud, Sandy Skoglund, Unglee, Boyd Webb et Mark Wilcox.




Parcours de l’exposition et textes de salles

Les années 1980 sont traversées de paradoxes. En France, la photographie conquiert les institutions et s’immisce dans le champ des arts, tandis sur la spécificité du médium. Parfois qualifié de « pictorialiste », ce courant est à l’origine de formes inédites, étroitement liées aux évolutions techniques contemporaines : apparition de la photographie couleur de haute qualité, diffusion du grand format ou encore instantanéité du Polaroid. Paradoxalement, ces photographies résolument anti-documentaires s’avèrent parfois tellement conformes à la réalité dont elles attestent, qu’elles en sont la meilleure représentation. Dotées d’une forte portée critique, elles abordent les grands paradigmes qui traversent la société contemporaine : individualisme et théâtralité au sein de l’espace social, subordination à la consommation, épuisement de la culture moderne. Réalisateurs et photographes s’y confrontent en usant de stratégies variées : ironie, mise en scène réaliste ou fantaisiste, pastiche, détournement du décor ou encore ode à l’artifice.

Le lieu du décor
Le terme de « décor » revêt plusieurs significations. Son étymologie, decorum, renvoie à la bienséance, ce vers quoi il convient de tendre. La seconde le définit comme un ornement, ou encore une apparence trompeuse, une illusion. Cette triple définition reflète l’ambivalence qui régit les travaux photographiques et les films expérimentaux des années 1980. Nombre d’oeuvres questionnent en effet le primat de l’apparence qui, à l’heure du sida et du thatchérisme, occulte le réel au profit des convenances, offrant au monde un modèle d’accomplissement illusoire. L’omniprésence du décor devient ainsi prétexte à interroger la société bourgeoise. Derrière les murs et les ornements, c’est la réalité de la société du spectacle qui est pointée et mise en scène. Pour en rendre compte, les artistes mêlent les techniques : les photographes manient la peinture, conçoivent la photographie en tant qu’objet, allant jusqu’à penser le cadre pour leurs oeuvres et usent de la mise en abîme afin de dissoudre la réalité dans la fiction.

Pratiques de classes
Nombreux sont les artistes qui, dans les années 1980, observent et enregistrent les codes et les moeurs de la classe moyenne, mettant ainsi au jour l’affirmation de Pierre Bourdieu selon laquelle l’appartenance sociale détermine un style de vie. Malgré les révoltes de 1968, dix ans plus tard, la division en classes qui structure la société selon des facteurs en constante mutation (capital, éducation, accès à l’information, etc.) reste inchangée. La société demeure pleinement bourgeoise et le capitalisme prospère. Photographes et réalisateurs, afin de rendre compte des pratiques sociales ou de mettre en oeuvre leur critique, s’amusent de l’effet de vérité de l’image. Ils jouent ainsi ironiquement des effets d’accumulation de type documentaire, jettent un regard faussement objectif sur des situations soi-disant quotidiennes ou forcent la théâtralité jusqu’à susciter un sentiment d’étrangeté. Tous constituent ainsi un nouveau langage propre à reconstruire les récits de la société contemporaine.

Duplicité de l’artifice
Les années 1980 sont marquées par leur goût pour l’artifice qui s’impose dans des domaines aussi divers que ceux de la photographie, du film expérimental, de la mode, et plus largement dans la culture populaire. La désaffection dont souffre cette décennie, aux yeux notamment des historiens de l’art, réside dans le caractère factice des images qu’elle a engendrées comme dans leur exubérance. Après l’ascétisme de la photographie conceptuelle, c’est en effet un art de la mise en scène qui prédomine et use pleinement des avancées techniques offertes par l’industrie photographique. À l’instar des peintres et sculpteurs, les photographes conçoivent de véritables installations – scènes d’intérieurs ou chimériques – destinées à être photographiées, mêlant réel et fiction au profit d’un curieux mélange que l’on pourrait qualifier de surréalisme « queer ». Les angoisses d’une société satisfaite d’elle-même se trouvent ainsi sublimées par la convocation de l’étrange et de l’absurde.

(Dis)paraître
Se donner à voir, être vu, se distinguer, sont autant de fonctions du portrait et de l’autoportrait. Les années 1980 font de ce genre leur terrain de jeu, interrogeant les notions d’identité, de statut social, de convention et de représentation. Tandis que, traditionnellement, le portrait rapproche du sujet, celui des années 1980 nous en éloigne, il dévoile autant qu’il cache, à l’instar d’un masque qui dissimule le « je ». Il permet de se réinventer ou d’imaginer l’Autre le temps de la prise de vue. L’androgynie, le maquillage qui camoufle les visages, les motifs décoratifs qui dévorent les corps, les références à des esthétiques codées (peinture flamande ou Renaissance) sont autant de manipulations auxquelles se livrent les artistes afin de mettre en lumière des individualités noyées dans une société qui les contraint et les absorbe. L’idée d’un état « naturel » se voit ainsi niée. Le temps d’une décennie, elle cesse d’être un objet de quête car ces photographies dessinent un univers si confortable, bien que rigide, qu’il répond à la soif de bien-être et de tranquillité contemporaine.