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“Anne Teresa De Keersmaeker” Work/Travail/Arbeid
au Centre Pompidou, Paris

du 26 février au 6 mars 2016



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 25 février 2016.

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© photo : Anne Van Aerschot

 


1825_Anne-Teresa-De-Keersmaeker audio
Interview de Serge Laurent, responsable de la programmation des spectacles vivants du Centre Pompidou,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 25 février 2016, durée 6'44". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Des cercles blancs tracés au sol, une première tension, celle la corde servant de compas, et une première trajectoire, celle de la craie. Pendant que deux violonistes commencent à remplir le grand volume nu de la salle de lentes vibrations, le public, un peu perdu, tourne autour à distance raisonnable à la recherche d'une place. Mais de places, il n'y en a pas, nous sommes dans un musée, chacun est libre de déambuler à sa guise.

2 danseurs vêtus de blanc sont apparus on ne sait d'où et se positionnent sur le bord d'un cercle. Leurs mouvements semblant indépendants au premier abord mais se suivent, se répondent, se séparent pour se rejoindre. Les séquences se suivent parfois avec un décalage puis se synchronisent. Dans un silence percé par le crissement des baskets des danseurs et les déclencheurs d'appareils photo, les danseurs s'éloignent pour revenir toujours se poser sur le bord de leur cercle, dessinant une liberté surveillée.

A un moment ils s'en vont, laissant un vide qui remplit l'espace, on se scrute les uns les autres, cherchant dans le public qui est le prochain danseur. Lorsque les violonistes et les danseurs reviennent, les spectateurs se sont répartis dans l'espace. Les performeurs évoluent au milieu de la foule, passent entre les gens, s'en rapprochent puis reculent. Les musiciens se déplacent également, créant un paysage sonore fluctuant.

Un étrange ballet se met en place sous forme de dialogue avec un public qui se déplace, se disperse pour venir se regrouper un peu plus loin. Certaines personnes traversent la salle avec précaution, alors on se prend à les confondre avec les danseurs. Sous nos regards, leurs pas commencent à s'intégrer dans la chorégraphie. Un cercle se forme, laissant un spectateur au milieu, il attire l'attention, ses gestes sont suivis, il devient donc danseur malgré lui, se fait absorber dans l'œuvre qui se joue. Se déplacer donne ainsi le sentiment d'être regardé, les démarches laissent transpirer un certain inconfort, ouvrent la conscience de ses mouvements, de son corps dans son rapport à l'autre.

Pendant que les 2 violons construisent une tension dramatique, jouant la bande son d'un thriller, les danseurs investissent différents espaces, les occupent, accélèrent ou ralentissent, s'arrêtent et repartent, modifiant le fragile équilibre de l'assemblée qui les suit. Dans une série de flux et de reflux se dessinent de petits mouvements de vagues lorsque l'assistance se sépare et se regroupe pour suivre la chorégraphie. Une petite fille esquisse un petit pas de danse devant le smartphone de sa maman, peut-être est-elle la seule à avoir compris comment vivre pleinement l'œuvre que nous offre Anne Teresa De Keersmaeker ?

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Serge Laurent, Chef de service des Spectacles Vivants



Et si on présentait une chorégraphie comme une exposition ?
Au croisement des disciplines, le Centre Pompidou en collaboration avec l’Opéra national de Paris, présente « Work/Travail/Arbeid », une exposition chorégraphique, imaginée par la célèbre chorégraphe belge, Anne Teresa De Keersmaeker. Ce projet ébranle la manière conventionnelle de penser, de construire et d’expérimenter autant la danse que l’exposition.

« La spécificité du Centre Pompidou, son originalité, c’est d’être un centre d’art et de culture pluridisciplinaire. C’est la rencontre inattendue entre un musée, des spectacles vivants, du cinéma, une bibliothèque et un institut de recherche acoustique / musique (Ircam). J’ai souhaité que cette rencontre soit encore plus productive et engager une dynamique de travail commun autour des programmations, car l’interdisciplinarité, ce marqueur de la personnalité du Centre Pompidou, est aussi une caractéristique de l’art contemporain. Le projet très singulier de Anne Teresa De Keersmaeker l’illustre magnifiquement dans la Galerie sud ». Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou.

La chorégraphie a été spécialement composée et adaptée pour investir la Galerie sud, au Centre Pompidou.

« Work/Travail/Arbeid » est une adaptation de « Vortex Temporum », une pièce chorégraphiée à partir de l’oeuvre musicale du même nom du compositeur français Gérard Grisey, selon les conditions temporelles, spatiales et perceptives propres à l’espace scénique.

Les danseurs de la compagnie Rosas et les musiciens de l’ensemble Ictus qui interprètent « Work/Travail/Arbeid » n’importent pas seulement un ballet dans la Galerie sud du Centre Pompidou. Ils réinterprètent la danse sous la forme d’une exposition de neuf jours, accessible comme telle au public. La durée initiale du ballet s’étire sur des cycles de neuf heures. Chaque heure propose une nouvelle partie de la chorégraphie et une nouvelle association de danseurs et de musiciens.

Ce projet métamorphose la matière et le contexte qui ont longtemps caractérisé la danse et donne à l’écriture chorégraphique rigoureuse d’Anne Teresa De Keersmaeker une forme nouvelle.

Anne Teresa De Keersmaeker explore depuis des années les liens entre musique et danse en les isolant ou en les juxtaposant. « Vortex Temporum » adopte cette structure, comme pour nous demander de « voir » le mouvement, quand seul le son nous est offert, et de percevoir la musique, quand seule la danse est visible. Cette exposition chorégraphique révèle l’activité conceptuelle, technique et physique – en somme, le travail – épine dorsale de son oeuvre tout entière.

« Un spectacle de danse, en principe, fait converger l’ensemble de strates accumulées lors du travail en répétition. Je me suis dit qu’ici, il serait intéressant de voir la simplicité et la beauté des mouvements physiques isolés de l’ensemble, couche par couche, et de suggérer de la sorte l’infini des combinaisons possibles de ces éléments ». Anne Teresa De Keersmaeker.

Anne Teresa De Keersmaeker vient de recevoir un Lion d’or à La Biennale d’art contemporain de Venise 2015 pour l’ensemble de son oeuvre.

Cette exposition chorégraphique initialement conçue au centre d’art contemporain WIELS à Bruxelles, en mars-mai 2015, sera après le Centre Pompidou, présentée à la Tate Modern à Londres, du 8 au 10 juillet 2016, puis au MoMA du 25 mars au 2 avril 2017.

Une exposition chorégraphique au Centre Pompidou réalisée avec l’Opéra national de Paris, en coproduction avec la compagnie Rosas, WIELS (Bruxelles) avec le soutien de la Fondation BNP Paribas.




Work/Travail/Arbeid – extrait

Que deviendrait une chorégraphie une fois présentée selon les codes d’une exposition ?


Cette question est au centre de « Work/Travail/Arbeid », un nouveau projet de Anne Teresa De Keersmaeker. La tâche ne semble pas si ardue, et pourtant elle trouble les conventions de la danse contemporaine et de l’exposition autant que leurs façons d’être pensées, construites et expérimentées. Les dispositifs théâtraux et muséaux demeurent très distincts l’un de l’autre – depuis leurs dispositions architecturales et leurs significations institutionnelles jusqu’à leurs perspectives et leur protocole. Contrairement à la danse contemporaine qui est traditionnellement exécutée pour une durée déterminée, avec la dramaturgie d’un événement ponctuel sur scène et face à un public assis, l’exposition présente les oeuvres d’art dans un espace cadré par les heures d’ouverture, sur une durée de plusieurs jours pendant laquelle les visiteurs entrent et sortent à leur gré. La réinterprétation conceptuelle de ce à quoi une pièce chorégraphique en temps réel pourrait ressembler si elle était entièrement soumise à la durée, à l’espace et aux conditions d’une exposition, est au fondement du développement de « Work/Travail/Arbeid » par Anne Teresa De Keersmaeker. La chorégraphe belge de renommée internationale a répondu à l’invitation en ré-imaginant « Vortex Temporum », chorégraphié à partir de l’oeuvre musicale éponyme du compositeur Gérard Grisey, selon les conditions temporelles, spatiales et perceptives radicalement différentes d’un environnement muséal.

« Vortex Temporum » implique la prestation sur scène, pendant environ une heure, de sept danseurs de la compagnie de danse Rosas, ainsi que de six musiciens et d’un chef d’orchestre de l’ensemble Ictus. « Work/Travail/Arbeid » rassemble ces mêmes danseurs (ici deux groupes en alternance) et musiciens et les invite à performer pendant les heures d’ouverture habituelles du Centre Pompidou. La longueur initiale de la chorégraphie, adaptée à la durée limitée de la composition de Grisey, est étendue en cycles de neuf heures (neuf étant un chiffre structurant essentiel pour la composition de De Keersmaeker), au sein desquels chaque heure propose une chorégraphie, une combinaison de danseurs (et musiciens) et un espace d’exposition spécifiques. Chaque nouvelle itération du cycle est inévitablement légèrement autre, de sorte que la chorégraphie continue à se construire, cycle après cycle, jour après jour. L’ensemble suit une logique elle-même « chorégraphiée » basée sur des principes mathématiques et géométriques stricts qui sous-tendent la chorégraphie dans son ensemble.

Le résultat ne constitue pas simplement une présentation déplacée vers un espace muséal ou, en d’autres termes, un ensemble de danseurs qui jouerait dans un cube blanc plutôt que dans une boîte noire, mais bien une pièce de danse fondamentalement repensée comme une exposition. Dès lors, aucune heure ne fixe le démarrage de la chorégraphie, le fonctionnement habituel de l’espace muséal reste inchangé. Il ne s’agit pas pour le public de venir assister à une représentation planifiée.
Il n’y a pas de scène, pas de sièges numérotés, pas de début et pas de fin. Il n’y a pas non plus d’angle spécifique pour observer l’oeuvre. Et sans doute – étant donné l’évolution temporelle qui conduit chaque cycle vers une autre séquence de cycles – aucune possibilité d’appréhender l’oeuvre dans sa totalité.

Il en ressort un projet qui transforme le matériau même et les conditions qui ont longtemps été au fondement de la danse, notamment la structuration rigoureuse et l’écriture chorégraphique qui ont rendu De Keersmaeker célèbre, en une forme d’exposition entièrement nouvelle. Une exposition qui révèle également, comme ne pourrait sans doute le faire aucune autre oeuvre de la chorégraphe, l’activité conceptuelle, technique et physique – en somme, le travail – épine dorsale de son oeuvre tout entière.

Elena Filipovic, extrait de “Vertiginous Force/The Exhibition at Work,”dans Anne Teresa De Keersmaker: Work/Travail/Arbeid (Bruxelles: Fonds Mercator, 2014)




DISTRIBUTION
Concept & chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker
Commissaire : Elena Filipovic
Dramaturge : Bojana Cvejiˇc
Conseillère artistique : Ann Veronica Janssens
Assistante artistique : Femke Gyselinck
Interprètes (Rosas) : Boštjan Antoncˇicˇ, Balázs Busa, Carlos Garbin, Marie Goudot, Cynthia Loemij, Sarah Ludi, Julien Monty, Michaël Pomero, Camille Prieux, Gabriel Schenker, Igor Shyshko, Denis Terrasse, Thomas Vantuycom, Samantha van Wissen
Musique : Vortex Temporum, Gérard Grisey (1996)
Direction musicale : Georges-Elie Octors
Musiciens (Ictus) : Jean-Luc Plouvier (piano), Chryssi Dimitriou (flûte), Dirk Descheemaeker (clarinette), Igor Semenoff (violon), Jeroen Robbrecht (alto), Geert De Bièvre (violoncelle)
Costumes : Anne-Catherine Kunz
Coordination du projet : Inge Pieters, Anne Van Aerschot
Direction technique : Joris Erven