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“Carambolages” article 1827
au Grand Palais, Paris

du 2 mars au 4 juillet 2016



www.grandpalais.fr

 

© Sylvain Silleran, vernissage presse, le 29 février 2016.

1827_Carambolages1827_Carambolages1827_Carambolages

Légendes de gauche à droite :
1/  anonyme flamand, Diptyque satirique, 1520-1530, ”Laisse ce panneau fermé, sinon tu seras fâché contre moi”, huile sur bois ; 58,8 x 44,2 x 6 cm. Université de Liège - Collections artistiques (galerie Wittert). © Collections artistiques de l’Université de Liège.
2/  anonyme flamand, Diptyque satirique, 1520-1530, ”Ce ne sera pas de ma faute car je t’avais prévenu”, huile sur bois ; 58,8 x 44,2 x 6 cm. Université de Liège - Collections artistiques (galerie Wittert). © Collections artistiques de l’Université de Liège.
3/  anonyme flamand, Diptyque satirique, 1520-1530, ”Et plus nous voudrons te mettre en garde, plus tu auras envie de sauter par la fenêtre”, huile sur bois ; 58,8 x 44,2 x 6 cm. Université de Liège - Collections artistiques (galerie Wittert). © Collections artistiques de l’Université de Liège.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Des rangées parallèles se succédant sur toute la profondeur du bâtiment transforment le Grand Palais en une immense bibliothèque. Sur ces rayonnages sont rangés la mémoire d'un explorateur de science-fiction, les souvenirs d'un voyage aux confins du monde, long de milliers d'années. Carambolages est une exposition hors-normes, très éloignée du classicisme habituel du lieu, en témoigne une règle du jeu affichée à l'entrée qui en explique le concept. Des œuvres, objets, artefacts de tous lieux et époques se succèdent, s'enchainant comme les mots de la chanson des Trois Petits Chats (marabout, bout d'ficelle, selle de cheval...). Chaque objet se réfère à son voisin mais nous emmène ailleurs en proposant quelque chose de nouveau, nous entrainant dans un voyage fantastique à travers l'espace et le temps.

Sans cartels, toutes les œuvres deviennent égales : un demi-crâne décoré de Bornéo, une miniature du XVIIIe siècle, une sculpture de Wim Delvoye, une carte de navigation traditionnelle polynésienne de bois et de coquillages, un chat de Giacometti, la reproduction d'un tableau de Adolf Hitler, un manuel de peinture écrit par Winston Churchill, un mandala tibétain, une eau-forte de Rembrandt, un chat momifié égyptien...

Cette liberté de ne pas savoir nous permet une exploration différente. En brouillant les pistes, en nous faisant confondre art contemporain et artefacts de cultures anciennes, ce chaos provocant nous renvoie à nos propres références culturelles, à notre expérience personnelle. Ainsi les liens se tissent entre toutes les cultures. Le muséal rejoint le populaire : tel objet ancien, tel tableau ou dessin sort de sa vitrine et devient vivant parce qu'il nous parle d'un film que l'on a vu, d'une bande dessinée, d'un jeu vidéo. Sur quelques petits écrans défilent rapidement les images des pièces exposées avec leur titre et leur époque, juste de quoi retrouver quelques repères avant de partir se reperdre à nouveau.

Une vidéo sur quatre écrans mélange par morphing des figures érotiques de toutes les époques : L'image de Betty Page se fond en dessins et tableaux licencieux des siècles précédents. L'art n'est fait que d'emprunts successifs, nous est-il rappelé. Nos obsessions, notre soif philosophique d'absolu, notre quête du divin sont inchangés par le passage des générations et des civilisations.

De même, l'ironie, le défi iconoclaste et rebelle jeté aux conventions et aux bonnes mœurs n'est pas l'apanage du punk. Sur un diptyque flamand anonyme du XVIe siècle, une mise en garde nous interpelle : "Laisse ce panneau fermé, sinon tu seras fâché contre moi". Evidemment, nous aurons aujourd'hui le même réflexe que nos ancêtres... La provocation un brin scatologique, si nous la comprenons toujours 5 siècles plus tard, nous aide à saisir l'illusion de notre propre modernité. Il nous est montré à travers la modernité d'un autre temps que la modernité ne nous appartient pas, qu'elle a toujours existé.

Cette collision spatio-temporelle émerveille, étourdit, réveille une curiosité nouvelle. Nous voici archéologues, marchant entre les débris éparpillés d'un big bang de l'imaginaire humain. Ici l'érudit, l'amateur d'art ou le visiteur occasionnel sont enfin mis sur un pied d'égalité, ils effectuent chacun un voyage personnel, à la fois réel et imaginaire, mais profondément connecté au reste de l'humanité.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Jean-Hubert Martin, historien de l’art
scénographe : Hugues Fontenas Architecte




Carambolage (Le Littré) : (ka-ran-bo-la-j’) s. m. : terme du jeu de billard. Coup dans lequel la bille du joueur va toucher deux autres billes. fig. : coup double, ricochet.

Jean-Hubert Martin propose une exposition inédite au concept novateur : décloisonner notre approche traditionnelle de l’art, dépasser les frontières des genres, des époques ou des cultures et parler à l’imaginaire de chacun.

L’exposition offre une traversée de l’art universel à partir d’un point de vue délibérément actuel. Plus de cent quatre-vingts oeuvres, toutes époques et toutes cultures confondues, sont regroupées selon leurs affinités formelles ou mentales. Les oeuvres présentées, souvent atypiques, choisies pour leur fort impact visuel, correspondent à des interrogations ou à des choix contemporains, sans tenir compte du contexte d’origine.

Elles sont ordonnées selon une séquence continue, comme dans un film narratif, où chaque oeuvre dépend de la précédente et annonce la suivante. Dans un parcours laissant place à la pensée visuelle, la pédagogie du sensible et les surprises de l’art, le visiteur déambule parmi les oeuvres de Boucher, Giacometti, Rembrandt, Dürer, Man Ray ou encore Annette Messager.

Les artistes se constituent un bagage de références visuelles puisées dans l’histoire de l’art. Leur choix est libre et ne suit pas les logiques et les catégories de la connaissance. Leurs références peuvent être aussi bien formelles que sémantiques. Pour Ingres, Picasso et bien d’autres, ce n’est pas tant l’authenticité de l’oeuvre qui compte que son souvenir, sa présence obsessive et son impact. Beaucoup d’artistes constituent des collections, à l’instar d’André Breton et du rassemblement d’objets hétéroclites qui prennent sens sur le Mur de l’Atelier. L’oeuvre tire alors une part de sa signification de ce qui l’entoure. D’autres ont donné corps à des musées imaginaires. Daniel Spoerri a organisé une série d’expositions intitulées, « musées sentimentaux », dont la première version fut présentée au Centre Pompidou à Paris en 1977. Les objets sont réunis pour leur capacité d’évocation et de suggestion. L’affect l’emporte sur l’esthétique. L’objet devient souvenir vivant pour l’imaginaire collectif.

La question d’un nouvel ordre à trouver, qui ne soit pas celui de l’histoire de l’art et de son inévitable chronologie, préoccupe de plus en plus de conservateurs. Le courant de l’histoire de l’art incarné par Warburg, Gombrich et Baltrusaïtis trouve aujourd’hui un regain d’intérêt et stimule des études et des expositions. La conception transculturelle qu’ils ont de l’art -leur approche large ne s’arrêtant pas à l’art savant et leur usage du comparatisme- sert, autant que l’exemple des artistes, de fondement à la réflexion pour ce projet.

Cette conception décloisonnée de l’assemblage des oeuvres, obéissant à des critères non exclusivement historiques, se retrouve très fréquemment dans les collections privées d’hier et d’aujourd’hui. Le musée y a opposé son ordre spatio-temporel, sauf dans quelques cas où des donateurs ont exigé que leur présentation soit intégralement préservée, par exemple le Soane Museum à Londres, le Pitt Rivers Museum à Oxford, le musée Condé à Chantilly ou encore le Gardner Museum à Boston. Ces musées connaissent un regain d’intérêt aussi bien auprès du public que des experts. Tous sont sous le charme des surprises que réserve leur présentation à base d’affinités formelles ou mentales.

Cette exposition, affranchie du principe thématique, aborde toutes sortes de sujets qui s’enchaînent selon une logique associative. Il s’agit de la mise en forme et de l’expression d’une pensée visuelle qui constitue le fondement de la création artistique.

Les oeuvres présentées proviennent de prestigieux établissements tels que la Bibliothèque nationale de France, le Centre Pompidou, le musée du Louvre, le musée national des Arts asiatiques – Guimet, le musée du quai Branly ou encore le musée Barbier-Mueller de Genève. Leur rassemblement n’a pas pour but de plonger le spectateur dans l’histoire mais plutôt de lui donner un aperçu des désirs, peurs ou espoirs de l’humanité qui font écho aux siens. Si quelques trouvailles devraient ravir les initiés, l’exposition ambitionne de s’adresser au public le plus large, en particulier à ceux qui n’ont aucune connaissance en histoire de l’art, en suscitant choc, rire et émotion.

Ex-voto antiques, pièces contemporaines, peintures occidentales et orientales se conjuguent dans un ballet sensible selon un jeu de correspondances visuelles, analogiques ou sémantiques. Un travelling ludique pour tous les publics.