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“L’ Art et l’enfant” Chefs-d’oeuvre de la peinture française
au musée Marmottan Monet, Paris

du 10 mars au 3 juillet 2016



www.marmottan.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 9 mars 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Fernand Pelez, Un Martyr. Le marchand de violettes, 1885. Huile sur toile – 87 x 100 cm, Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris – Photo © Petit Palais / Roger-Viollet.
2/  Henri Matisse, Portrait de Pierre, 1909. Huile sur toile, 40,6 x 33 cm – Collection particulière. © Succession H. Matisse – Photo © Ted Dillard Photography.
3/  François-André Vincent, Madame Boyer-Fonfrède et son fils, 1796. Huile sur toile, 96 x 79 cm – Paris, musée du Louvre, Département des Peintures – Legs de Mme Le Chanoine du Manoir de Juaye, 1938 – Photo © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau.

 


1832_Art-et-enfant audio
Interview de Jacques Gélis et Marianne Mathieu, commissaires de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 9 mars 2016, durée 13'49". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Jacques Gélis, Historien, Professeur émérite d’histoire moderne de l’Université de Paris VIII
Marianne Mathieu, Adjointe au directeur, Chargée des collections du musée Marmottan Monet

Dominique Lobstein, Historien de l’art
Et pour sa contribution à la recherche iconographique, Anne Galloyer, conservateur du Musée-Fournaise.




Le musée Marmottan Monet présente, du 10 mars au 3 juillet 2016, l’exposition « L’ Art et l’enfant. Chefs-d’oeuvre de la peinture française ». Signées Le Nain, Philippe de Champaigne, Chardin, Greuze, Corot, Daumier, Millet, Manet, Cézanne, Monet, Morisot, Renoir, Bastien-Lepage, Pelez, Bonnard, Vallotton, Maurice Denis, Matisse, Picasso, Chaissac, Dubuffet… près de soixante-quinze oeuvres provenant de collections particulières et de prestigieux musées français et étrangers sont réunies au musée Marmottan Monet. Fruit de la collaboration d’historiens et d’historiens de l’art, cette exposition inédite retrace l’histoire du statut de l’enfant du XIVe au XXe siècle et permet de porter un regard nouveau sur ces oeuvres en interrogeant différemment la peinture.

L’une des pièces majeures du musée de Cluny, La présentation au temple attribuée à André Beauneveu et Jean de Liège, ouvre l’exposition et illustre la prépondérance de la représentation de l’enfant-Dieu dans l’iconographie jusqu’à la fin du moyen-âge. La figure de l’enfant-Roi apparaît ensuite. Des portraits de souverains enfants, prêts du Palazzo Pitti de Florence, des musées de Hambourg, du Louvre et du Château de Versailles, composent un ensemble d’exception. Si les deux fils d’Anne d’Autriche, Louis XIV et son frère Philippe de France, portent dans le portrait qui les représente avec leur mère régente, la robe de l’enfance – vêtement dont on affuble indistinctement les garçons et les filles jusqu’à l’âge de cinq ans – ce sont les attributs du pouvoir qui se donnent généralement à voir. Dès le plus jeune âge, les portraits de Louis XIV s’inscrivent dans un cadre officiel et protocolaire. L’enfant disparaît sous le manteau d’hermine. Héritier de droit divin, il incarne la continuité dynastique. La pérennité familiale est également au coeur des préoccupations de l’aristocratie, comme l’illustre le trésor du château de Sully-sur-Loire représentant La famille de Habert de Montmor, présenté pour la première fois dans une exposition temporaire. Face à lui, une suite de tableaux des frères Le Nain montre des enfants humbles, petits paysans dont les activités sont le prétexte à des scènes de genre plus pittoresques que réalistes.

Avec les Lumières, s’ouvre un âge nouveau. L’enfant est au centre de préoccupations politiques, morales et sociales. Un écorché grandeur nature représentant une femme enceinte avec foetus, oeuvre spectaculaire de Jacques-Fabien Gautier Dagoty, illustre les progrès de la médecine à la fin du XVIIIe siècle et la volonté de lutter contre la mortalité infantile. Sous l’impulsion rousseauiste, l’allaitement maternel se répand et les aristocrates se font portraiturer donnant le sein. Un attachement nouveau s’exprime.

C’est le « triomphe du sentiment familial » que symbolisent ces portraits où père et mère enlacent leurs enfants. Considéré comme un être à part entière, l’enfant est dorénavant un sujet de peinture. On le représente désormais seul, pour ce qu’il est. Chardin le fait jouer au toton, Girodet étudier, Greuze le montre rêveur…

Au XIXe siècle, la représentation de l’enfant gagne ses lettres de noblesse. Millet, le réaliste, consacre aux soins des plus jeunes des peintures qui telles La becquée, La précaution maternelle et La leçon de tricot deviennent des icônes de la France rurale. D’autres artistes témoignent de l’enfance urbaine et défavorisée.

Jeanron héroïse l’enfant des barricades, un insurgé comme Gavroche. Eva Gonzalès peint quant à elle Le clairon, un enfant de troupe enrôlé dans l’armée dès son plus jeune âge. Alors que le naturaliste, Jules Bastien-Lepage dénonce le travail des enfants, leur prostitution et que Pelez intitule son petit marchand de violettes Martyr, les impressionnistes se font les interprètes d’une enfance bourgeoise et préservée. Ils témoignent de l’émergence d’une certaine famille moderne.

L’exposition aborde enfin l’influence du dessin d’enfant sur l’art à l’aube du XXe siècle. Une sélection inédite de crayonnages dus aux rejetons de Monet et de Pissarro ainsi que les dessins d’enfant d’artistes reconnus comme Maurice Denis et Jean Lurçat sont présentés pour la première fois au public. Réalisés dans un cadre strictement familial, ces griffonnages suscitent à l’aube du XXe siècle un intérêt particulier. La création enfantine marque les avant-gardes en quête d’un vocabulaire nouveau.

Le portrait de Pierre Matisse par son père, Paul dessinant de Picasso et, du même auteur, Le peintre et l’enfant – image triomphante d’un enfant brandissant un pinceau quand le peintre qui l’accompagne tient une palette - attestent de cet intérêt. Avec l’Art Brut, représenté par Dubuffet et Gaston Chaissac, l’infantilisme des formes est poussé à outrance et dénonce l’art codifié et classique, « l’asphyxiante culture ».




Parcours de l’exposition

Après La Toilette. Naissance de l’intime qui réunissait historiens de l’art et historiens autour d’un thème peu exploré, le musée Marmottan Monet a souhaité renouveler cette collaboration en abordant cette fois-ci un sujet plus souvent évoqué et largement illustré dans ses collections, la représentation de l’enfance, et ce, en considérant parallèlement l’évolution des images de la prime jeunesse et les transformations du statut de ses modèles.

Le premier enfant abondamment figuré depuis les origines est l’enfant Dieu, c’est-à-dire, dans notre culture occidentale, le Christ, qui partagera bientôt sa place avec l’enfant roi, le dauphin de droit divin. Celui-ci ne tardera pas à transmettre son rôle de modèle aux enfants de l’aristocratie puis de la grande bourgeoisie jusqu’à ce que le XIXe siècle, faisant fi de toute considération sociale, considère tout enfant, quelles que soient ses origines, comme digne d’être portraituré ou intégré à une scène de genre témoignant de son existence plus ou moins heureuse ou pacifique.

Tous ces portraits d’enfants ont incité les artistes à réfléchir sur la volonté spontanée de création artistique de leurs modèles, suscitant au xxe siècle les débuts d’une réflexion et d’un échange fructueux..


Section 1. XVIe et XVIIe siècles : l’Enfant, maillon d’une lignée

À une époque où l’espérance de vie est limitée et la mortalité infantile considérable – à la fin du XVIIIe siècle encore un enfant sur quatre meurt avant un an –, il est nécessaire, dans toutes les classes de la population, d’avoir une nombreuse descendance. Les survivants assurent l’avenir de leurs parents ainsi que la pérennité du nom et de la famille. Plus que son individualité, c’est donc sa participation à un dessein et à un destin collectifs dont il assume les symboles – tel Louis XIV dans son portrait de 1639-1640 – qui donne toute son importance à l’enfant. La fierté de pouvoir réunir deux ou trois générations fait alors la gloire de mécènes qui, tel Habert de Montmor commande un portrait de groupe, hommage à ses parents qui permet aussi d’afficher sa postérité.

Aux enfants riches des villes, les frères Le Nain proposent, à partir des années 1640, une autre vision de l’enfance, celle des enfants des campagnes. Ces modèles sans rôle dynastique à assurer expriment alors ce que peuvent être les joies de l’enfance rurale.


Section 2. XVIIIe siècle : l’Enfant des philosophes

Les transformations de la société dues aux débuts de l’industrialisation et à la diffusion plus large des connaissances vont inciter à poser de nouveaux regards sur l’enfance, regards dont les arts se font l’écho. La plus évidente de ces évolutions concerne le sentiment familial qui, débarrassé de toute considération dynastique, incite à commander des portraits réunissant parents et enfants tendrement enlacés. Ainsi, quand Pajou peint sa famille, trois générations sont présentes et l’enfant est au centre de toutes les attentions. Cet intérêt est relayé par la médecine, qui entame sa lutte contre les maladies infantiles et promeut l’allaitement maternel, préconisation que soutiennent les philosophes et Jean-Jacques Rousseau dans Émile, ou De l’Éducation, publié en 1762. L’État, qui comprend la richesse que constituent les enfants, soutient ces efforts, en réglementant, par exemple, les mises en nourrice et en encourageant les aides aux mères. Sous ces regards protecteurs, l’enfant acquiert un nouveau statut : être responsable, il gagne en autonomie, ce que révèlent les portraits, de plus en plus nombreux, dont il est le sujet.


Section 3. 1790-1830 : Survivances de l’Ancien Régime

À l’issue de la Révolution, la société française est en pleine mutation. La bourgeoisie profite de cette période pour s’approprier les codes et usages de l’aristocratie. Influencée par les idées rousseauistes, elle accorde une place croissante à l’enfant au sein de la cellule familiale. Les artistes pénètrent dans cette intimité nouvelle et conçoivent de nombreux portraits en guise de souvenirs ou de témoignages d’une réussite sociale, comme dans le tableau anonyme du musée du Mans où le père est entouré de ses quatre enfants, qui sont vêtus de manière élégante. Désormais, les fils et filles d’aristocrates et de bourgeois reçoivent la même éducation : des études académiques et livresques pour les garçons, pratiques et spirituelles pour les filles, ce qui les prépare à leurs futurs rôles. Comme dans les portraits de Chardin ou dans ceux de Greuze et de Girodet, les artistes mettent en scène une réalité nouvelle. Chacun des parents s’attribue peu à peu la fonction de pédagogue qui était, jusqu’alors, réservée aux précepteurs. Ainsi, la mère se charge de guider ses filles, alors que les garçons étudient seuls ou accompagnés de leur père, qui s’implique davantage dans son nouveau rôle.


Section 4. Après 1789 (1830-1918) : l’Enfant aux armes

Dès la Révolution de 1789, l’enfant s’affranchit de l’image d’être innocent qu’il faut protéger pour être associé à celle du héros combattant, tel le jeune Bara peint par David (1794, Avignon, musée Calvet). En juillet 1830, les enfants rejoignent les adultes sur les barricades, en tant que soldats. Les artistes personnifient cette jeunesse révoltée sous les traits d’un enfant armé. On le trouve chez Jeanron ou Delacroix, qui crée la figure de Gavroche, reprise par Hugo dans Les Misérables en 1862. Ces jeunes à la tenue fantaisiste incarnent l’affirmation d’un engagement patriotique. Manet (Le Fifre, 1866, Paris, musée d’Orsay) et Eva Gonzalès replacent l’enfance dans un rôle purement militaire qui connaît un nouvel engouement après l’humiliation de 1870. En 1882, en outre, l’État fonde les bataillons scolaires qui forment les garçons de plus de douze ans au maniement des armes. Si certains s’enrôlent dans l’armée, d’autres restent des enfants qui s’amusent avec les « étrennes de la guerre », avions miniatures ou épées de bois, comme en ont toujours créé les artisans du jouet


Section 5. 1830-1870 : l’Enfant du peuple

Dans les années 1840, la société s’intéresse de plus en plus à l’enfant en tant qu’individu. Les peintres suivent ce mouvement et multiplient les scènes de genre enfantines. Leurs nombreuses compositions permettent de distinguer des réalités géographiques et sociales contrastées. Si l’enfant des villes tire profit des avancées sociales mais perd la tendresse d’une mère obligée de travailler, la situation de celui qui vit en zone rurale est très différente, puisqu’il bénéficie encore de l’attention maternelle que les artistes se plaisent alors à évoquer. L’entrée au collègue des uns et des autres, moment de rupture familiale, leur permet cependant de gagner en autonomie, et de s’intégrer dans une société en pleine transformation.


Section 6. 1870-1900 : Enfances contrastées

Les impressionnistes nous font pénétrer dans l’intimité de leur cercle familial. Si l’étude reste un sujet important, c’est par le prisme du jeu que ces artistes représentent les enfants. Berthe Morisot, avec ses Pâtés de sable, ou encore Claude Monet, qui peint sa famille dans son jardin d’Argenteuil, donnent à voir une enfance idéalisée. Témoins de moments complices, ces œuvres au récit anecdotique témoignent d’une évolution des moeurs. Elles contribuent à diffuser une image moderne de la famille en montrant l’implication grandissante des parents dans la vie de leurs enfants. Gaieté, insouciance et plaisirs s’entremêlent dans un cadre bourgeois et privilégié où les enfants tiennent le rôle principal. Cette vision souvent enjolivée contraste violemment avec celle d’artistes tels que Jules Bastien-Lepage ou Fernand Pelez. Soucieux d’exposer les méfaits de la société contemporaine, ils font des laissés-pour-compte de l’urbanisation triomphante leurs nouveaux héros. Ces artistes montrent les conditions de vie précaires des gamins des rues, qui exercent de petits métiers pour subvenir à leurs besoins.


Section 7. A l’aube du XXe siècle : le dessin d’enfant et les avant-gardes

Le dessin d’enfant à l’aube du XXe siècle
Cette vitrine présente des dessins d’enfants. Griffonnages datant de la prime jeunesse d’artistes reconnus, comme Maurice Denis et Jean Lurçat, ou dessins griffonnés par les rejetons de peintres tels Monet et Pissarro, ces crayonnages exécutés dans un cadre strictement familial suscitent, à l’aube du XXe siècle, un intérêt nouveau. Dans les milieux officiels, plusieurs expositions sont consacrées à la création enfantine. En 1901-1902, un concours de dessin organisé au Petit Palais présente « L’état des rêves de l’enfant et la qualité de sa vision ». En 1909, il est mis à l’honneur dans le cadre du prestigieux Salon d’automne, puis fait l’objet, en juin 1914, d’une exposition dans la galerie d’art contemporain, chez Malpel, à Paris. Les dessins les plus libres, c’est-à-dire ceux qui sont exécutés hors du cadre scolaire, où l’enseignement du dessin est obligatoire depuis 1882, marquent particulièrement les avant-gardes en quête d’un vocabulaire artistique nouveau.

A l’aube du XXe siècle : le dessin d’enfant et les avant-gardes
Au début du XXe siècle, les avant-gardes se tournent vers des sources inédites pour forger les fondements d’une peinture nouvelle. Au même titre qu’elles regardent les arts primitifs, elles s’intéressent au dessin d’enfant. Les artistes entrevoient dans les crayonnages des plus jeunes l’art à son origine, autrement dit l’enfance de l’art. Naïveté, gaucherie, simplicité des formes, lignes maladroites témoigneraient d’une création originelle, encore vierge d’influences extérieures. Certains d’entre eux gardent la trace de cette création primordiale et conservent leurs premiers griffonnages, tels Maurice Denis et Jean Lurçat. Bientôt, Matisse et Picasso trouvent dans l’oeuvre des tout-petits les éléments d’un vocabulaire renouvelé qu’ils interprètent librement. Commentant, en 1945, une exposition de dessins d’enfants, Picasso résume – non sans provocation – les enjeux de sa démarche. « Quand j’avais leur âge, je dessinais comme Raphaël, mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme eux. ». Le Peintre et l’enfant, qu’il réalise en 1969, reste fidèle à cette idée.