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“Araki” article 1868
au Musée Guimet, Paris

du 13 avril au 5 septembre 2016



www.guimet.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 12 avril 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Nobuyoshi Araki, 67 Retour arrière (67 Shooting Back), 2007/2008, impression directe RP. H. 152,4 cm ; L. 101,6 cm. Collection privée, New York. © Nobuyoshi Araki/Courtesy Taka Ishii Gallery.
2/  Nobuyoshi Araki, Fête des anges : scènes de sexe (Feast of Angels : Sex Scenes), 1992, impression ultérieure directe RP. H. 45,4 cm ; L. 60,1 cm. Taka Ishii Gallery, inv. NA-PH_AbA_014. © Nobuyoshi Araki / Courtesy Taka Ishii Gallery.
3/  Nobuyoshi Araki, Paysages avec couleurs (Colourscapes), 1991, impression numérique. H. 101,6 cm ; L. 125,8 cm. Yoshii Gallery, inv. YG-10907-NA. © Nobuyoshi Araki / Courtesy Taka Ishii Gallery.

 


1868_Araki audio
Interview de Jérôme Neutres, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 12 avril 2016, durée 8'48". © FranceFineArt.

 


texte de Clémentine Randon-Tabas, rédactrice pour FranceFineArt.

 

De l’amour à la perte

Le socle de l’oeuvre photographique d’Araki, c’est la passion amoureuse qu’il voue à sa femme Yoko et qu’il met en scène dans son très émouvant livre Voyage sentimental, ouvrage qui retrace leur voyage de noce. Cet ouvrage est indissociable de Voyage d’hiver qui enveloppe la maladie et la mort de Yoko. La photographie semble devenir très vite chez Araki un moyen de déjouer la perte, de garder l’autre un peu plus longtemps tout comme les ligotages mis en scène dans sa série Kinbaku. Une manière d’exister, la photographie devient un moyen d’être présent au monde. Araki photographie compulsivement, rapidement et accumule un nombre d’images impressionnant, qui constitue ensuite ses autofictions poétiques. Les lumières ne sont pas travaillées, il invente les légendes et les dates. Sa photographie très technique lorsqu’il photographie les fleurs devient très proche de l’instantané dans ses autofictions. Prises rapides, décadrages, flous, Araki aspire à une photographie imparfaite marquée par sa subjectivité. Il mélange avec saveur le quotidien au sensationnel. Ouverture d’un réfrigérateur, sexe féminin et écran de télévision trouvent leur place dans la multitude d’ouvrage qu’il publie presque aussitôt après la prise photographique. A travers l’objectif d’Araki chaque instant devient visible et digne d’intérêt dans une autobiographie fictionnelle empreinte de poésie.


Photographie, vie et mort

Le photographe capture, le photographe ligote, met à mort en quelques sorte. Pour Araki il faut tout photographier, tout montrer, la vie comme la mort. Eléments indissociables, on pense parfois pouvoir les séparer dans notre ignorance. Ses images de femmes ligotées pourraient faire frémir, si les jeunes femmes n’étaient pas consentantes et complices. Le plus souvent d’une grande beauté, ces photographies peuvent apparaitre parfois dégradantes. Quand bien même elles le seraient, ce serait semble t’il à la convenance de leurs protagonistes. Car qu’importe la répulsion que cela peut provoquer, certains et certaines aiment être soumis, ne serait ce que dans des jeux érotiques. Ceux qui s’y adonnent ne verront dans la répulsion des autres que jugement moraliste. Et ceux qui n’y prennent aucun plaisir, seront tentés dans leur incompréhension de désigner ces pratiques comme déviantes et malsaines. Quoi qu’il en soit cela reflète les désirs de vie et de destruction qui nous habitent tous, certes à des degrés divers et sans qu’ils s’expriment forcément de manière aussi extrême. C’est peut être pourquoi les images d’Araki, le provocateur, fascinent et touchent tout un chacun. Fleurs, jeux érotiques, poitrine marquée par les cicatrices, chat, écrans de télévision, toutes ces images sont présentées sur le même plan dans un mélange de douceur et de violence. Une célébration de la vie, poétique, sans équivoque, qui intègre son indissociable aspect destructeur.

Clémentine Randon-Tabas

 


Catalogue sous la direction de Jérôme Neutres, coédition Gallimard/ MNAAG : www.gallimard.fr

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extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Jérôme Neutres & Jérôme Ghesquière



Figure incontournable de la photographie contemporaine japonaise, Nobuyoshi Araki est connu mondialement pour ses photographies de femmes ligotées selon les règles ancestrales du Kinbaku – l’art du bondage japonais – pratique qui puise ses origines au XVe siècle. Cette exposition retrace cinquante années de son travail en plus de 400 photographies et compte parmi les plus importantes consacrées à Araki en France.

Un choix très important est extrait de milliers de photographies que l’artiste a réalisées de 1965 à 2016, depuis l’une de ses séries les plus anciennes intitulée Théâtre de l’amour en 1965 jusqu’à des oeuvres inédites, dont sa dernière création de 2015 réalisée spécifiquement pour le musée sous le titre Tokyo Tombeau. Après une première découverte de la presque totalité des livres conçus par Araki suivie d’une introduction aux grandes thématiques de son oeuvre – les fleurs, la photographie comme récit autobiographique, sa relation avec son épouse Yoko, l’érotisme, le désir, mais aussi l’évocation de la mort – l’exposition évoque son studio, laboratoire d’idées. Véritable journal intime d’un grand plasticien de la photographie pour qui « photographier est avant tout une façon d’exister », l’exposition se déploie selon un parcours thématique, depuis les séries consacrées aux fleurs, la scène de Tokyo, ou encore le Voyage sentimental, illustration de son voyage de noce en 1971, suivie du Voyage en hiver en 1990, année du décès de son épouse.

À mi parcours de l’exposition, le visiteur s’introduit dans l’atelier d’Araki et découvre la démesure de sa production photographique, mise en regard d’oeuvres issues des collections du MNAAG : estampes, photographies et livres anciens, illustrant les liens que l’artiste a entretenus avec la permanence d’une inspiration japonaise. Empreint de poésie et de recherche plastique, l’oeuvre d’Araki repose également sur une expérimentation incessante. Ainsi les codes et stéréotypes du médium sont revisités par l’artiste qui intervient sur ses propres négatifs ou recouvre parfois ses images de calligraphies ou de peinture, dans un geste audacieux, souvent teinté d’humour.

Conçue à partir d’oeuvres provenant de collections privées et publiques (Tokyo, New York, Paris…), complétée des archives de l’artiste, cette exposition donne à voir et à comprendre l’enracinement de l’art d’Araki dans la culture traditionnelle japonaise.




Parcours de l’exposition

Introduction
Il n’y a pas à nier la violence des images : Andromaque est enchaînée et Madame Bovary est sa chose. Mais qui niera la beauté de certaines images brutales des siècles antérieurs dans la peinture occidentale ? Aurions-nous idée de décrocher des murs La Mort de Sardanapale de Delacroix ? L’Angélique d’Ingres, et tant d’autres Andromaque, de soustraire Susanne en son bain aux yeux concupiscents des vieillards ? Et dans le domaine japonais de censurer la beauté ravageuse et fascinante de certaines estampes érotiques ou pornographiques, Le Rêve de la femme du pêcheur de Hokusai et tant d’autres ? Dans l’encerclement lascif des tentacules sur le corps de la femme ne voyons-nous pas déjà poindre l’agôn du drame qui se joue dans L’Empire des sens d’Oshima ? […] Non, il n’y a pas à nier la violence des images, il y a au-delà, pour qui s’intéresse à « Araki fait oeuvre » à regarder. On est alors saisi par la puissante beauté des images, aussi mal à l’aise mettent-elles. Il explore un territoire de création qu’il n’invente pas entièrement. [Extrait tiré du texte « Madame Bovary enchaînée ou l’art martial d’Araki » écrit par Sophie Makariou pour le catalogue de l’exposition]

1. Bibliothèque
Je doute qu’il soit un photographe à qui l’on doive autant de livres qu’à Araki. Ses OEuvres complètes – à supposer qu’elles puissent être un jour réunies – composeraient une collection à faire pâlir d’envie, par ses proportions, le plus productif des romanciers, le plus prolifique des poètes, le plus fertile des philosophes. […] J’imagine que nul n’est capable d’en faire le compte – surtout pas celui qui en fut l’auteur et dont le nom, afin d’ajouter un peu à son étrangeté, même lorsqu’ils ont paru à Tokyo, s’inscrit souvent sur leurs jaquettes en romaji ou bien en katakana plutôt que dans les caractères proprement japonais (c’est-à-dire : chinois, en fait) que l’on attendrait. Établir la bibliographie exhaustive d’un pareil artiste doit constituer un très vraisemblable casse-tête critique. Il y a dix ans on estimait qu’elle comptait près de trois cents titres1. J’ignore si le recensement était alors exhaustif. Mais une chose est sûre : le décompte était loin d’être définitif. Car d’autres livres, en très grand nombre, depuis, ont suivi. Et non des moindres. La production éditoriale de l’artiste connaît une progression quasi exponentielle – qui d’ailleurs n’est que le reflet fidèle de la formidable activité qu’il déploie. Plus le temps passe, plus Araki publie. Et l’hypothétique bibliothèque qui réunirait tous ses ouvrages prend dès lors des dimensions qui défient un peu l’imagination. [Extrait tiré du texte « Araki écrivain » écrit par Philippe Forest pour le catalogue de l’exposition]

2. Fleurs
« (…) Mes premières photos de fleurs étaient d’ailleurs des fleurs de cimetière, higan bana. Je continue à faire ce style de photos, des fleurs sans décor à l’arrière-plan, avec un fond blanc. J’ai photographié ces premières fleurs de cimetière en 1973 après la Toussaint japonaise (ohigan). J’ai demandé au moine du cimetière de ne pas les jeter et je les ai prises en photo avec une planche blanche à l’arrière-plan. La télévision en a parlé. J’ai été sermonné par une grand-mère… Elle m’a écrit avec une calligraphie magnifique que ça ne se faisait pas, qu’il ne fallait pas faire subir ça aux fleurs des autres. » Lorsque je lui montre les fac-similés des photos de fleurs colorisées prises au Japon au XIXe siècle, conservées au musée Guimet, Araki a une réaction à la fois de surprise et de confirmation : « Vous voyez, ce ne sont pas des fleurs fraîches. Ce sont aussi des higan bana [彼岸花 Lycoris radiata]. (…) » [Extrait tiré du texte « Le Tombeau d’Araki. Rencontre avec Nobuyoshi Araki » écrit par Jérôme Neutres pour le catalogue de l’exposition]

3. Voyage sentimental photographier, c’est une façon d’exister
William Henry Fox Talbot, un des inventeurs de la photographie, appelait en 1830 ce nouveau médium « le crayon de la nature4 », initiant ainsi l’idée devenue universelle que la photographie, c’est la vérité. En japonais, shachin, la photo, signifie aussi la « représentation de la vérité ». « Moi, je mens beaucoup, contredit Araki. J’aime d’ailleurs les menteurs et les gens frivoles. La photographie elle-même est un mensonge. Un de mes derniers livres s’intitule Uso [« mensonge », en japonais]. La photographie ne peut pas être la vérité ! Ou alors, c’est une autre vérité. »
Parce que Nobuyoshi Araki conçoit ontologiquement l’art de la photo comme une fiction – une autofiction en l’occurrence –, nous avons voulu montrer son oeuvre comme on raconte une histoire, une histoire d’images, en images, hors des sentiers convenus d’une rétrospective chronologique. Notre histoire d’Araki s’ouvre sur un bouquet de fleurs, fleurs de vie et fleurs de mort, bulbes organiques exubérants explosant comme des feux d’artifice (hana bi, feux d’artifice en japonais, signifie littéralement « fleurs de feu »), mais également pétales fanés et tiges flétries qui signent la tragédie intrinsèque à la fleur comme à la vie. « La photographie est en fait une parodie du monde. C’est une parodie du Je », précise Araki dans son essai Photographic Discourse as Strip Show, dont le titre évoque l’idée chère à l’artiste que la photo ressortirait aux arts forains, qu’il s’agit d’une attraction de foire et, peut-être, d’un spectacle d’illusions. « Jeu », « spectacle », « attraction », « strip tease », « agrément » : pour Araki, la photographie est une illusion comique. Illusion de croire par exemple que la photographie pourrait enregistrer le passé et le présent – « la photographie ne peut pas accomplir le passé et la réalité ». Un art digne du « strip show », car photographier instinctivement et intimement, comme le pratique Araki chaque jour à la façon d’un journal intime, induit une exposition de soi. « La photographie n’est rien qu’un jeu avec moi-même. Toute la photographie est un paysage privé », écrit l’artiste . Araki pratique la photographie comme on respire, sans interruption. Il prend des photos partout, tout le temps.
[Extrait tiré du texte « Le Tombeau d’Araki. Rencontre avec Nobuyoshi Araki » écrit par Jérôme Neutres pour le catalogue de l’exposition]

4. Kinbaku
Metteur en scène autant que photographe, Araki crée par le ligotage une suspension du geste, sorte d’arrêt sur image avant même l’acte de photographier, un peu à la manière des miiye du théâtre , longs arrêts dans le mouvement d’un geste pour en souligner l’intensité et la beauté. Résulte de cette mécanique une déclinaison inédite de tableaux où les visages sont l’expression d’une beauté singulière, parfois érotique, souvent mystérieuse, toujours poétique. « Prendre des gens ou des choses en photo est un acte qui consiste à encadrer la réalité, à la mettre en boîte, analyse Araki. C’est pour ça que la photographie se perpétue. Elle a des affinités avec le kinbaku. La photographie, elle aussi, ligote les gens et les met dans une boîte. La photo prend sa source dans le kinbaku, dans l’acte de ficeler des choses et des événements. D’ailleurs, je ligote les modèles moi-même, et, après la session photo, c’est toujours moi qui défais les liens… (…) » [Extrait tiré du texte « Le Tombeau d’Araki. Rencontre avec Nobuyoshi Araki » écrit par Jérôme Neutres pour le catalogue de l’exposition]

5. Photographies anciennes du Musée Guimet
La collection de photographies anciennes du musée national des Arts asiatiques - Guimet sur le Japon est le témoignage de ce goût immodéré des Japonais, comme des étrangers, pour les Yokohama shashin, photographies de paysages, de personnes ou de scènes de la vie quotidienne. […] [Les] femmes dénudées [d’Araki] s’exposent, non sans braver la censure, mais au XIXe siècle, à la surprise des étrangers, les Japonaises se baignaient nues entres elles, ou avec des hommes, et l’étranger était chaleureusement invité à faire de même. Jean-Jacques Matignon notait à ce sujet en 1897 alors qu’il visitait la station thermale d’Unzen : « [...] mon compagnon de route et moi fûmes surpris de nous trouver [...] dans une rue d’Unzen, en présence de quatre jeunes personnes absolument nues. [...] elles répondirent par un rire gai et sonore à notre oaïo [bonjour], et n’essayèrent pas de se dérober à l’indiscrétion de mon appareil photographique. [...] les Japonais sont restés fidèles aux idées de leurs ancêtres : le nu n’est pas obscène. » En revanche, ils étaient choqués en apprenant que les Européennes se décolletaient en public. Les réactions des Occidentaux à l’égard de la nudité décomplexée des Japonais se traduisit, pour satisfaire leur pudeur, par des portraits affectés, un sein légèrement dénudé ou une poitrine dissimulée derrière des avant-bras fermés en croix, voire sous une couche de peinture imitant un drapé. À cette censure Araki oppose la tradition millénaire du ligotage (kinbaku), pratiquée par les samouraïs pour immobiliser leur prisonnier mais aussi sous différents noms dans d’autres domaines comme la religion shintô, les arts martiaux, l’emballage et le transport de denrées alimentaires ou encore l’habillement. D’un côté, le corps ficelé par les barrières morales occidentales, de l’autre, ligoté, dans le respect d’une tradition bien japonaise, toujours d’actualité avec Araki qui témoigne : « La photographie, elle aussi, ligote les choses et les met dans une boîte. Vous voyez, on se rend compte qu’elle prend sa source dans le kinbaku, dans l’acte de ficeler des choses et des événements. » [Extrait tiré du texte « Un face-à-face inédit » écrit par Jérôme Ghesquière pour le catalogue de l’exposition]

6. L’atelier d’Araki
La mort tient une place essentielle dans l’oeuvre d’Araki. Son envie de se lancer dans la création photographique lui serait venue en 1967, au décès de son père, le jour où il a choisi et retiré une photo de ce dernier pour la mettre sur l’autel. Un portrait mortuaire aura été sa première oeuvre artistique. L’émotion ressentie au décès de parents et amis, le besoin qui en découle de conserver quelque chose d’eux constituent à ses yeux l’essence du travail photographique : « En fait, un photographe est meilleur s’il a fait face plusieurs fois à la mort d’êtres chers », affirme-t-il. C’est dans cette logique qu’il est allé jusqu’à photographier et montrer le cadavre de son épouse quitte à susciter le scandale. En d’autres termes, voir le cadavre et les ossements de ses proches révélerait la nature même de la photo, et les fixer sur la pellicule davantage encore : « Une photographie doit énormément faire ressentir la “mort” » , écrit-il. Ou encore : « Une photo est silencieuse, elle ne parle pas. En fait, elle ressemble à un cadavre ». La mort imprègne tout l’oeuvre d’Araki. Rien n’échappe à son emprise, qu’il s’agisse des représentations de femmes, de fleurs, du ciel ou de la ville. « Sous ses doigts, écrit Itô Toshiharu, Tôkyô se transforme comme si elle était baignée de radioactivité et devient la “mort blanche”. Les parcs de jeux et les immeubles ont un avant-goût de sanatorium, les hôtels et les bureaux jouxtent les cimetières, Tôkyô se change en “musée des fossiles”, en “cirque de la mort”, en “ossuaire souterrain” ». Alors qu’en Occident Araki a tendance à être vu comme un photographe léger, au Japon, la dimension mortuaire de son œuvre est fortement mise en avant par la critique. [Extrait tiré du texte « Dialectique sentimentale » écrit par Michael Lucken pour le catalogue de l’exposition]

7. Photographies peintes
« Souvent, j’essaie, confie Araki, de prendre une photographie parfaite, mais j’y ajoute aussi, à dessein, une sorte d’imperfection. Uniquement pour éviter de prendre une photographie parfaite. On le sait, il n’y a rien de pire que la perfection. » [Extrait tiré du texte « Araki écrivain » écrit par Philippe Forest pour le catalogue de l’exposition]

8. Cieux
« Quand la catastrophe de Fukushima est survenue, je ne suis pas allé dans la région de Tôhoku. Pour m’en excuser, j’ai photographié Tokyo sous la pluie et j’ai ensuite gratté la surface des négatifs pour donner un effet de pluie noire. C’est ainsi que je fonctionne. J’ai passé cinquante ans à photographier le ciel et je continue encore. Les ciels sont tous différents en fonction des moments. Dans mes ciels les plus récents, la position du ciel est inversée ; le ciel est comme le grand écran d’un appareil argentique. Je vois désormais ce bas monde depuis l’au-delà… Je sens aujourd’hui que d’un côté il y a la mort et de l’autre une déesse. C’est ma situation actuelle. Quand je parle de cimetière, je pense à ça, à la vie et à la mort. On doit percevoir une nuance de mort dans notre exposition. La vie est toujours liée à l’idée de la mort. » [Extrait tiré du texte « Un face-à-face inédit » écrit par Jérôme Ghesquière pour le catalogue de l’exposition]

9. Tokyo tombeau
« Pour la série “Tokyo Tombeau” de notre exposition, je souhaite montrer mes photos comme une peinture japonaise sur rouleau, en les juxtaposant les unes à côté des autres, sans encadrement, tout en longueur. C’est une combinaison entre les photos de mes débuts et celles de l’au-delà. Ces photos sont déjà prises depuis les cieux. Il s’agit du chemin de la vie. Bien que je sois encore vivant, c’est comme si j’étais déjà mort ou monté au paradis [ôjô (往生)]. Cette idée de photographie en rouleau, en référence à la tradition de la peinture sur rouleau, m’est venue après la publication de mon livre Le paradis est monochrome [楽園はモノクローム Rakuen wa mono kurômu]. Il s’agit un peu d’un jardin de fleurs ou d’un parc d’agrément. Je m’amuse avec les fleurs. En fait, quand on dit kairaku en [parc d’agrément], on pense qu’il s’agit d’un parc pour le plaisir, mais, pour moi, il s’agit d’un plaisir ambigu. L’idéogramme kai que j’utilise n’est pas 快 [plaisir] mais 怪 [monstre]. Depuis mes premières fleurs, depuis le début, rien n’a changé. Quand j’étais jeune, je m’amusais avec les fleurs du cimetière d’un temple bouddhiste. Et maintenant, j’ai l’impression que je me fabrique un cimetière où je m’amuse. »
Pourquoi « Tokyo Tombeau » ? « Parce que Tokyo est un cimetière. Ou un parc d’attractions. En fait, je ne sépare pas le paradis et l’enfer. Pour moi, si le paradis n’inclut pas des éléments d’enfer, ce n’est pas le paradis. Par exemple, une femme exempte de tout mal ne m’attire pas. Vous savez, le roi de l’enfer, Enma (dans la mythologie japonaise), existe même au paradis. Il m’est donc difficile d’exprimer cette nuance. J’essaie de prendre en photo cette idée. C’est un courant de pensée auquel j’adhère depuis longtemps. C’est pareil pour les fleurs, je photographie celles qui sont en train de se flétrir, sans en avoir conscience. [Extrait tiré du texte « Le Tombeau d’Araki. Rencontre avec Nobuyoshi Araki » écrit par Jérôme Neutres pour le catalogue de l’exposition]