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“La terre, le feu, l’esprit” Chefs-d’oeuvre de la céramique coréenne
au Grand Palais, Paris

du 27 avril au 20 juin 2016



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 26 avril 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Vase en porcelaine « bleu et blanc » avec motif de nuages et dragon, Dynastie Joseon, XVIIIe siècle. H. 53,9 cm. National Museum of Korea. © National Museum of Korea.
2/  Aiguière en forme de gourde et bassin à décor d’enfants dans les vignes, Époque Goryeo, XIIe ou XIIIe siècle. Céladon incrusté, rehauts rouge de cuivre sous couverte, Aiguière : H. 34,5 cm, Bassin : H. 7,6 cm. National Museum of Korea. © National Museum of Korea.
3/  Bouteille de porcelaine blanche avec motif de corde en brun de fer sous couverte, Dynastie Joseon, XVIe siècle. H. 31,4 cm. National Museum of Korea (Trésor n°1060). © National Museum of Korea.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Cette exposition de la collection du National Museum of Korea met en scène l'histoire, de l'antiquité à nos jours, de la céramique coréenne. La terre transformée par le feu ne devient pas seulement céramique, nourrie spirituellement, elle s'émancipe du champ de l'artisanat pour devenir art.

Un bol avec couvercle, d'un gris bleuté terni mêlé de jaune terreux est patiné par les siècles, traversé de quelques fines fissures. La mince fente d'où s'ajuste le couvercle est presque invisible. On ne peut distinguer si il a été décoré et a perdu ses couleurs, il ne reste aujourd'hui que sa forme. Une forme parfaite, un cocon rond qui évoque un ventre de mère, un fruit fantastique. La matière devient immatérielle, l'objet n'est là que pour permettre de dessiner une courbe et conserver cette rondeur si particulière, transmettre cette idée de génération en génération. Une simple courbe est message, enseignement, patrimoine spirituel.

La céramique donne à l'espace une ambiance particulière, on marche lentement, on chuchote presque. La nature représentée a une importance particulière: des grues prennent leur envol au-dessus des bosquets, des canards et des poissons évoluent parmi les vagues d'un lac. Un oiseau chantant perché sur une branche d'arbre en fleur est peint d'une encre devenant transparente, tracé d'un geste rapide, maitrisé comme sur une feuille de papier. Cela suffit à exprimer la brièveté d'une saison avec une délicatesse semblant effleurer la porcelaine.

Une verseuse en forme de pêche, petit fruit de céramique, exprime par sa seule forme la promesse de parfum du liquide qu'elle contient. Une autre, à la forme de genou, ne peut cacher dans sa stylisation lisse et épurée un érotisme inattendu.

Deux jarres de lune de porcelaine blanche percent la pénombre de taches de lumière rondes à la forme intemporelle. Leurs couleurs sont bleutées, imperceptiblement teintées d'ocre clair. Comme des nuages, elles sont changeantes selon l'humeur. Mélancoliques ou joyeuses, elles viennent absorber nos émotions pour mieux nous les refléter. La connexion qui se fait est émotionnelle, immédiate. Peu importe l'époque de sa fabrication, ce vase n'appartient qu'au présent, à celui qui le regarde.

Le parcours s'achève sur des œuvres d'artistes contemporains coréens qui nous montrent comment cet art s'est profondément intégré à la culture. Un vase de fil de cuivre inverse le plein et le vide. La trame représente les mille lignes de fractures de la porcelaine brisée et recollée ici inexistante. En guise de vase il ne reste que les fantômes de ses fragments, la matérialisation de la reconstruction d'un passé perdu. Un alignement de vases aux couleurs vives et translucides reproduit la progression d'un arc en ciel. Ces vases aux formes traditionnelles ont des couleurs futuristes de néons, des dégradés colorés acidulés. Ils sont façonnés en savon, rendus à une fragilité encore supérieure à celle de la porcelaine, rendus inutiles puisque craignant l'eau.

Un voyage s'achève, non pas tant un voyage dans un pays lointain qu'un voyage dans l'aspect spirituel de l'art. La quête du beau et ce qui l'inspire sont le véritable trésor du musée: le mystère qui guide la main et le pinceau, qui permet de domestiquer la terre et le feu. Et une fois l'objet né, la dissolution de sa fonction dans la douce perfection d'un galbe.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire général: Dr. Kim Youngna, ancienne directrice du National Museum of Korea
commissariat : Im Jin A, Kim Kyudong, Kim Hyunjung, Park Hyewon et Yoon Sangdeok, conservateurs au National Museum of Korea
conseiller scientifique : Stéphanie Brouillet, conservatrice à Sèvres - Cité de la Céramique, responsable des collections asiatiques.




Si la céramique est créée à l’aide de terre et de feu dans le monde entier, son style et ses caractéristiques varient grandement d’une région à l’autre. La céramique coréenne incarne à merveille le caractère unique de la Corée et l’esprit du pays. Elle est un domaine artistique à part entière. Cette exposition présente de nombreux chefs-d’oeuvre de la collection du National Museum of Korea, dont bon nombre ont été officiellement désignés Trésors et Trésors nationaux. Elle permet aux visiteurs d’explorer toute l’histoire de la céramique coréenne, en se plongeant dans l’esprit qui l’habite.

L’exposition présente une vision d’ensemble de la céramique coréenne, des temps anciens de la période des Trois royaumes à l’ère contemporaine, en passant par les dynasties Goryeo et Joseon. Parmi les oeuvres anciennes les plus remarquables figurent notamment des vases anthropomorphes, souvent enterrés avec les défunts pour guider leur âme dans l’au-delà conformément aux croyances funéraires de l’époque. Par ailleurs, la culture aristocratique florissante de la période Goryeo est représentée par des vases en céladon aux formes somptueuses et aux généreuses couches de vernis brillant couleur jade, qui témoignent des goûts raffinés de la noblesse. L’optimisme et l’énergie du début de l’ère Joseon s’expriment à travers les ouvrages buncheong, libres et créatifs, tandis que la beauté austère de la porcelaine blanche immaculée rappelle les principes du néoconfucianisme promus par la société Joseon.

Par ailleurs, les pièces de la vie quotidienne en céladon et porcelaine blanche, notamment la vaisselle ou les boîtes à cosmétique ... offrent un aperçu passionnant de la vie de tous les jours à cette époque. On dit que le véritable sens esthétique de la Corée est incarné par les « jarres de lune », de grandes jarres quasiment rondes en porcelaine presque blanche qui rappellent la pleine lune. Leur charme unique captive immanquablement l’observateur.

La céramique traditionnelle a toujours beaucoup inspiré les artistes contemporains. C’est la raison pour laquelle cette exposition présente, aux côtés des chefs-d’oeuvre traditionnels de la céramique coréenne, de grandes oeuvres d’artistes coréens contemporains parmi les plus célèbres, tous actifs sur la scène artistique internationale. Pour exemples : l’oeuvre collaborative de Lee Ufan et Park Young Sook, qui utilise le style de la porcelaine bleue et blanche, une oeuvre vidéo de Kimsooja intitulée Earth, Water, Fire, Air, qui analyse les quatre éléments constitutifs de l’univers (et de la céramique) sous un nouvel angle, ainsi qu’une oeuvre vidéo originale des artistes Moon Kyungwon et Jeon Joonho, créée spécialement pour l’exposition, initulée A molden moon, life within a vase.




extrait du catalogue


Céramiques coréennes : une brève histoire par Koo Ilhoe

Les premières poteries


Les plus anciennes poteries coréennes furent mises au jour à Gosan-ri sur l’île de Jeju, et proviennent de sites dont la fondation est antérieure à 6300 avant le début de l’ère chrétienne. Les connaissances sur les peuples de cette époque et sur leur culture sont encore très limitées.

Le Néolithique livre ensuite une production relativement abondante de terres cuites à décor peigné ou en relief. Les pièces datées de l’âge du bronze sont, quant à elles, simples et d’aspect assez rudimentaire. Pendant la période des Trois Royaumes (57 av. J.-C.-668), la cuisson en réduction conduit à l’apparition d’une céramique grise. Puis les progrès techniques de l’époque du Silla unifié (668-935) permettent aux fours d’atteindre des températures de cuisson dépassant les 1 000 °C, et commence alors la fabrication de céramiques de grand feu, au corps dur, parmi lesquelles se trouvent des pièces revêtues d’une glaçure verte.


Les céladons de Goryeo

L’introduction de techniques mises au point dans les fours chinois de Yue permet la mise au point des céladons à l’époque Goryeo, à une date qui reste encore très discutée, mais que l’on pense pouvoir situer vers le milieu du Xe siècle. Cette chronologie semble étayée par les céladons découverts à Baecheon dans la province de Hwanghae, sur le site des fours de Wonsan-ri : on y trouve effectivement l’inscription « troisième année de l’ère Chunhua » – de la dynastie des Song en l’occurrence – datation qui correspond à 992. Depuis, de nouvelles fouilles sur des sites de fours de la province de Gyeonggi ont apporté des données complémentaires essentielles à la compréhension des premières étapes de cette production.

Les plus anciens céladons de Goryeo trahissent, par leurs types et par leurs formes, une forte influence chinoise. Mais dès le XIe siècle, la production coréenne affirme son originalité et certaines avancées techniques conduisent à une amélioration des processus de cuisson (cuisson « biscuit » par exemple) et à la construction de fours permettant la création de pièces dont la silhouette et la couleur s’accordent avec le goût de l’élégance caractéristique de l’époque Goryeo. Les céladons à décors incrustés illustrent le niveau de maîtrise technique alors atteint : les motifs, tout à la fois équilibrés et complexes, sont mis en valeur par l’incrustation et par la couverte couleur jade. De nombreux céladons de la fin de l’époque Goryeo portent par ailleurs des inscriptions qui éclairent la manière dont étaient gérées les finances de la cour, sujet sur lequel seules les archives apportaient autrefois quelques informations.

Il est essentiel, pour parvenir à une bonne compréhension des céladons coréens, d’examiner plusieurs de leurs traits caractéristiques : la couverte couleur jade, le choix de formes spécifiques – personnages, animaux, végétaux – pour certaines pièces, la technique du décor incrusté et les inscriptions. La cuisson en réduction transforme les oxydes ferriques (Fe2O3), contenus à l’état de traces (1 à 2 % seulement) dans l’argile et dans la couverte, en oxydes ferreux (FeO), réaction chimique qui aboutit à la magnifique couleur verte caractéristique des céladons. La comparaison avec le jade est courante dès l’époque Goryeo. [...]

Outre l’exceptionnelle couleur jade de leur couverte, les céladons de Goryeo sont également réputés pour l’élégance et la fluidité de leurs silhouettes. Les pièces chinoises, généralement inspirées des bronzes anciens ou de l’argenterie, ont souvent un aspect plus anguleux. Les céladons de Goryeo offrent au contraire des courbes délicates et des lignes subtiles, en accord avec l’élégance qui caractérise l’ensemble des arts de cette époque.

Sous le règne du roi Yejong (1105-1122), le royaume coréen entretient des rapports culturels suivis avec la Chine des Song ainsi qu’avec l’empire Khitan. L’artisanat coréen tire ainsi profit de l’introduction de techniques nouvelles et, dans le cas précis de l’industrie céramique, les arts du métal et le travail de la laque posent les bases de certaines innovations.

De nombreux céladons d’époque Goryeo adoptent une silhouette humaine, une forme animale ou végétale. Ces pièces, cherchant à saisir au mieux les caractères qui définissent leur modèle, en acquièrent une étonnante vigueur [...].

L’invasion mongole de la Corée (1231-1259) sonne le glas de l’industrie céramique d’époque Goryeo. La maîtrise technique s’amoindrit, les pièces produites deviennent plus épaisses, les formes perdent de leur originalité, les décors se simplifient. Les céladons inscrits sont alors produits en nombre. Souvent, les inscriptions sont d’ordre pragmatique : nom d’un bureau de l’administration – qui nous indique aujourd’hui la destination de l’objet – ou ganji, marque cyclique désignant une année du cycle traditionnel de soixante ans – qui nous en donne la date de fabrication…

Ces inscriptions à caractère essentiellement pratique visaient à contrer un problème apparu sous le règne du roi Chungnyeol (règ. 1274-1308) et qui ne fit qu’empirer par la suite : le vol et le détournement de produits destinés à la cour. Elles permettaient également une certaine forme de contrôle de qualité. En responsabilisant les artisans, la cour cherchait en effet à endiguer la baisse de qualité provoquée par le conflit avec les Mongols. [...]

Une plongée dans l’histoire des céladons coréens offre donc de fascinantes informations sur la vie politique, religieuse, sociale de l’époque Goryeo, mettant en lumière un État gouverné d’une main ferme par le roi et la noblesse, et dont l’éthique et la pensée étaient fondées sur le bouddhisme.

La créativité de la Corée d’alors ne se limite pas, et de loin, à la technique du céladon incrusté : c’est à cette même époque que fut compilé le Tripitaka Koreana au temple de Haeinsa (classé au patrimoine mondial par l’Unesco) et que furent également mis au point les tout premiers caractères d’imprimerie mobiles. Cette fécondité artistique s’étend à tous les domaines, de la peinture bouddhique au travail de la laque incrustée de nacre. Exceptionnelle combinaison de sophistication, de subtilité et de beauté, profondément marqués par le bouddhisme, les arts de l’époque reflètent les goûts de la cour, de la noblesse et du clergé bouddhiste, une élite au sein de laquelle se recrutaient les connaisseurs et les mécènes.

Les céladons d’époque Goryeo constituent incontestablement l’une des plus belles expressions du raffinement et de l’élégance sur lesquels étaient fondée l’esthétique de la dynastie alors au pouvoir.


Les buncheong

Les buncheong et les porcelaines blanches sont les pièces les plus représentatives de la céramique Joseon. Les premiers buncheong apparaissent dès la fin de l’époque Goryeo et sont donc contemporains des céladons à décor incrusté. Ils devaient connaître une énorme popularité au cours des deux premiers siècles de la période Joseon. Réalisés dans une argile grisâtre comparable à celle utilisée pour les céladons, les buncheong sont ensuite revêtus d’un engobe blanc et d’une couverte appliqués avant cuisson. Au XIVe siècle, à la fin de l’époque Goryeo, les attaques répétées de pirates japonais avaient entraîné la destruction de plusieurs fours de la province de Jeolla, à Gangjin et Buan. Les artisans qui y travaillaient se trouvèrent dispersés à travers le pays, contribuant, à terme, à l’expansion des sites de production céramique. C’est dans ce contexte que naquirent les buncheong, alors qu’était fondée la nouvelle dynastie.

En dépit des liens incontestables avec les céladons de l’époque précédente, les buncheong ont évolué de manière autonome, tant en termes de formes, de technique, de motifs décoratifs et de qualité. L’âge d’or des buncheong correspond au règne du roi Sejong (règ. 1419-1450), unanimement reconnu comme le souverain majeur de la dynastie. Les buncheong ont développé une beauté et un esprit qui leur sont propres, se démarquant tant des céladons de Goryeo que des porcelaines blanches contemporaines par des formes libres et dynamiques, un répertoire de motifs d’une richesse remarquable, et une grande variété du travail ornemental à l’engobe blanc. Les techniques décoratives utilisées se répartissent en sept types principaux, reflétant chacun les caractères propres à une époque et à une région d’origine. [...]


La porcelaine blanche

Alors que la production des buncheong est d’assez courte durée, la porcelaine blanche domine la totalité de la période Joseon. Son éclatante pureté, sa beauté raffinée en font l’incarnation des valeurs et des idéaux néoconfucéens que mettent alors en exergue les lettrés fondateurs de la dynastie régnante. [...]

L’évolution de la porcelaine blanche au cours de la période Joseon est donc inhérente à la situation des fours officiels qui fournissaient la cour. Elle se répartit en quatre périodes, liées chacune à une modification majeure affectant la culture de l’époque et l’industrie de la céramique : création des fours officiels vers 1466-1468 ; guerre d’Imjin (1592-1598) ; implantation définitive des fours de Bunwon-ri en 1752 ; privatisation des fours officiels en 1884. On ne peut comprendre les changements stylistiques marquant la production de la porcelaine blanche tout au long de la période Joseon sans prendre en considération ces facteurs essentiels et leurs répercussions.