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“Pierre Paulin” article 1888
au Centre Pompidou, Paris

du 11 mai au 22 août 2016



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, pré-visite de l'exposition, le 9 mai 2016.

1888_Pierre-Paulin1888_Pierre-Paulin1888_Pierre-Paulin

Légendes de gauche à droite :
1/  Pierre Paulin, Foyer des artistes de la Maison de la Radio, vue perspective, 1961. Crayon, transfert couleur et collage de carton sur calque. Don de Maïa, Dominique, Fabrice et Benjamin Paulin, 2015. © Pierre Paulin. © Coll. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne /Photo : G. Meguerditchian.
2/  Pierre Paulin dans son atelier parisien au début des années 60. © Les Archives Paulin.
3/  Pierre Paulin, Siège F577 dit Tongue, 1967. Armature en tube d’acier, garniture en mousse de latex, revêtement en jersey de polyester. Éditeur : Artifort. Centre Pompidou, Paris. © Coll. Centre Pompidou, musée national d’art moderne / Photo : JC. Planchet.

 


1888_Pierre-Paulin audio
Interview de Cloé Pitiot, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 9 mai 2016, durée 13'00". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Cloé Pitiot, conservatrice au musée national d’art moderne
Assistée de Véronica Ortega-Lo-Cascio
Scénographie, Laurence Fontaine




Le Centre Pompidou présente la première grande rétrospective consacrée au travail de Pierre Paulin. Les créations de ce designer ont marqué la deuxième moitié du 20ème siècle et contribuèrent à une dynamique ouvrant sur un nouvel art de vivre.

Designer, architecte d’intérieur, créateur, Pierre Paulin sculpte l’espace, l’aménage, le « paysage ». Ses environnements, ses meubles, ses objets industriels, dépouillés ou spectaculaires se mettent toujours au service du corps, lui offrant confort et réconfort. Ils sont également marqués par sa fascination pour les innovations techniques comme le développement du textile extensible ou du plastique injecté.

La rétrospective présente des pièces phares de l’oeuvre de Pierre Paulin, jamais ou rarement montrées au grand public : la Coupe à fruit dite aux Nénuphars, le lustre dit Araignée, le Bonheur-du-Jour ou encore d’autres devenues aujourd’hui iconiques comme le Tripode cage, le Mushroom, la Tongue … Cette rétrospective fait également la part belle à des projets inédits, auto-édités, comme le Tapis-Siège, la Déclive ou la Tente Artifort ainsi qu’à des pièces rares des années 1950 et des prototypes.

À travers plus d’une centaine de meubles, de dessins, de maquettes et d’archives, l’exposition se déploie dans un parcours chronologique rythmé, stand après stand, par les collaborations successives de Paulin avec des éditeurs tels que Meuble TV, Thonet, Disderot, Artifort, les pièces industrielles dessinées pour Adsa, l’agence que Pierre Paulin créa avec son épouse Maïa Paulin et Marc Lebailly en 1975 ou encore le Mobilier National.

Dès la fin des années 1960, les créations de Pierre Paulin entrent dans les collections du MoMa, à New York. En 1971, il est choisi par Claude et Georges Pompidou, pour revisiter l’aménagement des appartements privés de l’Elysée. En 1984, c’est à Pierre Paulin que fait également appel François Mitterrand pour concevoir l’architecture intérieure et le design du bureau présidentiel de l’Elysée.

Grâce au don exceptionnel de la famille du designer, en 2015, le parcours de la rétrospective retrace les cinquante années de création du designer. Ce fonds de mobiliers, d’archives, de documents et de dessins dédiés à l’oeuvre du créateur et plus particulièrement à son travail des années 1950-1960, éclaire la genèse de l’oeuvre de Pierre Paulin : de la main à la main en passant par le design industriel.

Parce que les recherches de Pierre Paulin furent sans cesse motivées par le souci du confort, du corps et de l’innovation, une sélection de rééditions est installée au sein du parcours dans lesquelles le public pourra s’installer, mettant ainsi en pratique ce nouvel art de vivre : un Mushroom, un Ribbon Chair, un siège Tulip, un Butterfly… Le parcours compte également une reconstitution inédite du salon de Pierre Paulin à La Calmette, la villa des Cévennes qu’il construisit dans les années 1990. Le public y expérimente un épais Diouan (tapis) glissant le long du mur et accueillant quatre fauteuils Tongue.

La scénographe de l’exposition Laurence Fontaine a choisi Petra Blaisse et l’équipe d’Inside Outside pour créer un rideau spécialement conçu pour l’occasion. Pensé comme un véritable paravent sinueux invitant le visiteur à se mouvoir dans l’espace, il s’inspire de l’esprit des aménagements de stand imaginés dans les années 1960 par Pierre Paulin. Matières translucides ou opaques, découpages circulaires ou linéaires permettent au rideau d’agir comme un écran. Le dispositif autorise un jeu ludique d’ombre et de lumière créant autant d’impressions visuelles des pièces de mobilier, des silhouettes des visiteurs ou encore d’un panel de couleurs et de formes mouvantes.

Le catalogue, sous la direction de Cloé Pitiot, commissaire de l’exposition, s’articule autour de thèmes clés du travail de Pierre Paulin : la couleur ; les innovations techniques ; le rapport à la publicité et à la société de consommation ; les commandes institutionnelles.




extrait du catalogue, texte de Cloé Pitiot “coup de pied à la lune”

De son premier siège réalisé en 1952 dans la continuité du design scandinave à ses dernières assises renouant avec un classicisme assumé, l’oeuvre de Paulin — des plus prolifiques — emprunte toutes les voies de la création, sans limite aucune, n’étaient celles de son imagination. Dans son parcours, le siège tient incontestablement une place prépondérante, Paulin ayant dessiné près de deux cents chaises, fauteuils, chauffeuses et canapés, soit deux fois plus de créations que dans ses autres registres mobiliers (étagères, tables, dessertes ou luminaires). Issus de la capacité du créateur à modéliser de manière peu commune en trois dimensions, ces objets franchissent toutes les frontières, qu’elles soient esthétiques, stylistiques ou encore techniques. Paulin s’amuse, jongle avec les formes, pousse la technologie aux confins de ses possibilités.

Dans ses débuts, il observe chez ses maîtres (Aino et Alvar Aalto, Charles et Ray Eames, Harry Bertoia, Eero Saarinen, George Nelson) le déploiement des lignes et des innovations industrielles qui deviendront indispensables à l’apprentissage de son métier. Son initiation à la discipline du design s’appuie tout d’abord sur la pratique acquise au Centre d’art et de techniques (future école Camondo). Décliner l’archétype est l’un de ses gestes favoris : il dépoussière le fauteuil crapaud pour en faire naître le fauteuil F560 dit Mushroom (1969), il détourne la borne Second Empire pour dessiner la Borne du Louvre (1968), ou revisite la boudeuse pour développer le Dos-à-Dos (1967). Il apprend aussi en observant les oeuvres de ses contemporains, par le biais des revues et des expositions. L’attention qu’il porte aux créateurs de son époque va infuser dans la technique et l’esthétique de ses premières propositions. Paulin emprunte, détourne, pour mieux trouver le chemin qui sera le sien.

Bientôt, s’inspirer de ses contemporains, décliner les styles ne lui suffit plus. Que ce soit pour Thonet France ou pour Artifort, il choisit de travailler sur le thème des gammes et des variations. Il décompose et recompose les volumes. Il étire les lignes, joue des courbes et des contre-courbes, multiplie à l’envi. Paulin construit une véritable grammaire de formes et s’inscrit en ce sens dans les pas des éditeurs américains qu’il adule, Florence Knoll ou Herman Miller. D’un volume initial, il en décline de nouveaux : le fauteuil Anneau (1954) devient le fauteuil F300 (1967) ou le Ribbon (1966), du Butterfly (1963) découlent le fauteuil F444 (1963) ou le Groovy (1972).


[…]D’une pièce à l’autre

Paulin sait capter l’air du temps tout en saisissant les étincelles du passé. Analysés par le regard du créateur, les sièges d’hier et d’aujourd’hui vont se révéler ceux de demain. Et de ce mobilier destiné au futur, Paulin en donne de multiples variations. D’une pièce à l’autre, il tire les lignes, allège la structure, transforme le trait. Déformations techniques et plastiques, flexibilité, torsions, distorsions, étirements deviennent ses gestes quotidiens. Si certains sculptent la terre, Paulin sculpte la forme, celle de ses propres oeuvres. Il ne joue plus avec celles de ses aînés, avec les silhouettes d’une Womb Chair ou d’une Wire Chair. Son imagination, son expérimentation et son talent sont dorénavant suffisamment riches pour se suffire à eux-mêmes. Il décline ses pièces comme Bach ses préludes.

Dessiné en 1954, son fauteuil Anneau donne naissance chez Artifort au fauteuil F582 dit Ribbon Chair (1966) et à la chauffeuse F300 (1967). Comme le précise Michel Chalard, associé pendant près de trente années à Paulin, « si vous étirez la forme de l’Anneau vers le sol, en le saisissant par les quatre angles, vous obtenez la chauffeuse F300 ». Moulée en une seule pièce, la chauffeuse, à l’enveloppe finalement peu différente de celle de l’Anneau, apporte, par son aspect monobloc, une réponse sculpturale à ce dernier. Bien que Paulin réfute l’idée même d’agir en artiste, cette dimension plastique est encore plus appuyée dans le cas du Ribbon Chair.

Avec l’Anneau, Paulin reprend l’idée du ruban : ruban de tissu ou de cuir apposé sur une structure de métal dans sa version A. Polak’s et Meubles TV ; ruban de mousse et de textile extensible dans sa version Artifort. Retenu en 1956 par l’Association des créateurs de meubles de série du Salon des arts ménagers, puis en 1957 pour la XIe Triennale de Milan, ce fauteuil reçoit, sous sa forme Ribbon, le Design Award de l’American Institute of Interior Designers (Chicago) en 1969. Qualifié par Paulin de « fantaisie » ou de « coup de pied à la lune », le Ribbon Chair « se donne des allures de ruban plié — on pince pour faire le socle, on courbe pour obtenir le dossier ; vrai aussi qu’il a quelque parenté avec le fauteuil de 1954, réalisé à partir d’un anneau de cuir, à ceci près que celui-là était porté par une structure métallique, quand celui-ci, avec son pied sculptural qui rappelle en plein les creux du siège, s’avère autoportant ».

Au-delà de l’Anneau, le Butterfly, dessiné en 1954 et fabriqué à partir de 1963, servit également de modèle pour d’autres sièges de Paulin, tels que le fauteuil F444 (1963) et la chauffeuse 598 dite Groovy (1972). Pour le F444, le designer bouscule le piètement initial du Butterfly qu’il remplace par un porte-à-faux. Il conserve toutefois l’assise, à laquelle il ajoute une têtière et maintient la garniture en cuir sellier. Pour le Groovy, il étire les lignes des accotoirs du Butterfly vers le sol pour en dessiner le piètement. Ces lignes nouvelles viennent accueillir mousse et textile, qui se substituent à la finesse du piètement du Butterfly. En un geste, Paulin génère un nouveau modèle. Tout paraît simple. Et pourtant ce jeu de déclinaison est le fruit de la vision exceptionnelle de Paulin en trois dimensions.

Pas d’outil numérique pour passer d’une pièce de mobilier à l’autre, pas d’écran pour retranscrire le résultat. Seulement le travail du trait et de la maquette. Les formes découlent les unes des autres, s’imbriquent dans les nouvelles, prennent parfois la lumière du passé.

Le Dos-à-Dos et le Face-à-Face, esquissés en 1966 et édités à partir de 1967, la Borne du Louvre, datant de 1968, sont tous trois issus du concept du fauteuil F577 dit Tongue dessiné en 1963 et fabriqué à partir de 1967 par Artifort. Il suffit de mettre dos à dos deux Tongue pour obtenir le Dos-à-Dos ; on peut ensuite inverser ce procédé pour obtenir le Face-à-Face. Quant à la Borne, elle se veut un assemblage circulaire autour d’un axe d’une série d’assises plus ou moins semblables à la Tongue.

Qui sut créer autant de sièges iconiques que Paulin ? Y a-t-il quelqu’un qui parvint mieux que lui à développer à partir du siège non seulement des assises individuelles et collectives, mais également de véritables environnements ? Les sièges furent l’élément nodal de ses compositions. La force de chacun d’eux se suffisait parfois à elle-même. La seule présence du canapé Amphis dans le hall de l’hôtel Nikko (1973-1976), tout comme celle de la Borne dans les galeries du Louvre, permettait d’en magnifier l’espace. Au-delà de leur propre esthétique, les sièges de Paulin portent au plus profond de leur structure et de leurs composants les marques du passé, d’une culture, d’une association d’idées ou de traditions. Aucune gratuité chez le designer ; chacune de ses assises est une histoire, écrite avec passion et détermination. Est-ce pour cette raison qu’elles établirent des liens si particuliers avec leurs usagers ? Peut-être. Elles ouvrent une brèche vers l’âme du créateur, vers sa poésie, si difficile à percevoir sur ce visage souvent fermé. Elles laissent son imaginaire s’y asseoir ; elles sont la clé de son esprit. À travers la Déclive et le Tapis-Siège, elles permirent à l’homme qui se rêvait architecte de le devenir. Avec elles, il sculpta l’espace.