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“Monumenta 2016” Huang Yong Ping : Empires
au Grand Palais - Nef, Paris

du 8 mai au 18 juin 2016



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, 1er jour d'ouverture de Monumenta, le 8 mai 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Affiche. © Collection Rmn-Grand Palais, Mirco Magliocca. Conception graphique : Mucho / Loran Stosskopf.
2/  © Mirco Magliocca pour la Réunion des musées nationaux - Grand Palais.

 


1886_Monumenta audio
Rencontre avec Agathe, médiatrice pour Monumenta,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 8 mai 2016, durée 4'43". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

En entrant dans le Grand Palais, nous nous trouvons immédiatement stoppés net par un mur monumental de containers qui fait face à l'entrée. Ces immenses briques d'acier multicolores empilées jusqu'à la verrière bloquent la vue et l'accès de l'exposition. En longeant cette muraille pour trouver une issue et accéder au centre de la nef, on aperçoit soudain au sommet des containers ce qui semble être la colonne vertébrale d'un serpent gigantesque.

Empires, l'installation de Huang Yong Ping pour Monumenta 2016 ne se livre pas tout de suite au spectateur. Il faut d'abord le soumettre, le rapetisser à l'échelle d'une fourmi qui entre deux mains géantes lui bloquant le passage cherche désespérément et frénétiquement une issue. Ce n'est qu'une fois qu'il a capitulé devant ce monstre terrifiant d'os et d'acier dont il n'a pu saisir que quelques bribes de son immensité qu'il est admis à contempler l'œuvre dans son ensemble.

Des centaines de containers remplissent toute la nef du Grand Palais, empilés en un relief démesuré de montagnes. On s'y promène comme dans une ville, mais une cité froide, stérile, aux bâtiments sans fenêtres. Cette ville nous a vaincu et nous sommes condamnés à errer dans ce dédale de boîtes sans pouvoir y trouver notre place. Une grue portuaire nous rappelle que ces boîtes nous sont familières, elles servent à transporter tous les objets, utiles comme inutiles, que nous achetons, usons puis jetons dans un cycle perpétuel. C'est l'objet qui a triomphé de l'homme, tant bien même que nous serions ceux qui les fabriquons, les manipulons, les transportons. Une armée d'objets entassés dans ces containers nous domine déjà, avant même que nous en ouvrions les portes et découvrions de quelles choses il s'agit. Comme pour confirmer cette prédiction guerrière, le chapeau de géant de Napoléon sur deux piles de containers forme un arc de triomphe. Ici défilera cette armée qui nous a conquise.

Le squelette que nous avons entraperçu précédemment est celui d'un dragon qui s'enroule, se déroule au sommet de ces montagnes d'un mouvement qui s'achève sur une gueule ouverte, massive, menaçant les spectateurs de ses crocs. Les vertèbres et les côtes d'os métalliques de son corps forment un parcours s'élevant au-dessus des containers, puis plongeant furieusement en piqué, effectuant des virages serrés comme dans les grands huit de parcs d'attractions. Selon l'angle de vision, les différentes sections de côtes de métal qui serpentent semblent se superposer en couches successive comme si l'animal faisait plusieurs tours sur lui-même, ne s'arrêtant jamais.

Le long corps du dragon entoure les containers d'une boucle circulaire comme un serpent couvant ses œufs. Réduit à un squelette, il est mort, sa puissance n'est plus, mais sa dépouille continue de garder sa future progéniture. De ces containers naitront des centaines de nouveaux dragons. Empires est l'histoire d'une fin et d'un renouveau. On y voit l'extinction d'une civilisation millénaire et la naissance d'une autre, de cent autres. Les hommes, croyant s'être libérés d'un pouvoir, s'activent désormais pour transporter des boites, élevant des cités, façonnant des montagnes, fabriquant eux-mêmes le nouveau pouvoir qui les asservira.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Jean de Loisy, Président du Palais de Tokyo



Depuis 2007, Monumenta invite un artiste d’envergure internationale à se confronter à la Nef du Grand Palais, une surface de 13 500 m² et une immense verrière de 35 mètres de hauteur. Anselm Kiefer, Richard Serra, Christian Boltanski, Anish Kapoor, Daniel Buren, Ilya et Emilia Kabakov se sont succédé pour relever ce défi.

Huang Yong Ping (né en 1954 en Chine, vit depuis 1989 en France et est installé aujourd’hui à Ivry-sur-Seine), est une figure majeure de l’avant-garde chinoise des années 1980. C’est à cette époque qu’il fonde le mouvement Xiamen Dada, dont le mot d’ordre est « Le zen est Dada, Dada est le zen ». Véritable fondateur de l’art contemporain en Chine, il réalise au sein de ce groupe des actions radicales et qui cultivent un goût certain pour le paradoxe et la contestation par l’absurde. Dès cette époque, son oeuvre instaure des correspondances entre l’art, la vie et le politique. S’inspirant des récits mythiques, qu’ils soient religieux ou philosophiques, il revisite et mêle des croyances et référents d’Orient et d’Occident dans un travail qui remet en cause nos certitudes. Suscitant fascination et inquiétude envers les transformations du monde, il met en scène de façon grandiose et onirique des animaux et nous alerte sur la troublante et inquiétante actualité de ces mythes.

Huang Yong Ping est l’artiste de toutes les démesures. A de multiples occasions il a su démontrer la puissance de ses installations monumentales devenues sa marque de fabrique. Depuis Les Magiciens de la Terre en 1989 où ses livres lavés à la machine envahissaient l’espace de la Grande Halle de la Villette, jusqu’à son Arche de Noé grandeur nature (Arche 2009, 2009) dans la chapelle des Beaux-Arts de Paris, en passant par la Biennale de Venise (Un Homme, neuf animaux, 1999) où ses animaux mythologiques transperçaient le toit du Pavillon Français, l’originalité de ces installations réside dans leur caractère éminemment contextuel : chaque oeuvre est directement inspirée du contexte historique, politique, sociétal et architectural de son lieu d’exposition.

Ainsi Serpent d’Océan, oeuvre pérenne installée sur la plage de Saint-Brévin-les-Pins, près de Saint-Nazaire, est un squelette de serpent en métal de 120 mètres de longueur, comme un monstre géant qui semble échoué depuis un temps immémorial. Sorte de spectre du désastre écologique en cours, le squelette mime aussi les ruines des anciens pontons de pêche qui l’entourent, et symbolise la fin des activités traditionnelles et l’épuisement des ressources sous-marines.

Pour Monumenta 2016, Huang Yong Ping réalise une immense installation immersive. Le projet, spectaculaire, se compose d’une architecture de couleur constituée de huit îlots surplombée d’une structure dont l’ombre portée se mêle par son sens et sa forme à celle des nervures métalliques de la verrière. Prenant du recul dans la grande allée centrale, l’on embrasse dans cette perspective, d’un seul regard, l’ensemble de l’installation et l’ampleur de la Nef à laquelle se mesure l’artiste.

Ce projet est un paysage symbolique du monde économique d’aujourd’hui. Comme les vapeurs qui montent des vallées dans la peinture chinoise montrant la mutation permanente des énergies et des substances, comme les premiers paysages industriels des impressionnistes qui présentaient les effets physiques et optiques de la transformation de l’environnement par la machine, Huang Yong Ping représente, à l’intérieur de ce chef-d’oeuvre de l’âge industriel qu’est le Grand Palais, la modification du monde, les métamorphoses des puissances politiques et économiques, l’ascension de nouvelles régions géographiques, le déclin d’anciens empires et l’apparition provisoire de nouveaux candidats à la puissance et les violences que ces ambitions provoquent. Stratégies, tactiques, politique, art et art de la guerre, volonté de pouvoir et de richesse, ruines, naissance ou renaissance des sociétés : chacun des pays, des conglomérats, chacune des multinationales qui participent aux successions interminables de grandeur et de décadence cherchent à porter, ne serait-ce que quelques instants, un Empire.