Légendes de gauche à droite : 1/ Rosa Jijón, La tri-antartica, (Quito 1968). Photographie, 2013. 2/ María José Machado, Ernesto, (Cuenca 1984). Documentation de performance (photo : Juan Montelpare), 2014. 3/ Affiche de l’exposition, Chaupi-Aequator.
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texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.
Au commencement, un livre qui se desécrit. La vidéo d'Estefania Peñafiel Loaiza montre une main écrivant à rebours le premier chapitre d'Ecuador, le journal du voyage d'Henri Michaux à travers les Andes. Le stylo efface avec application les mots l'un après l'autre, lentement, caractère par caractère. Ce travail de déconstruction est plutôt l'étape d'une reconstruction. La recherche d'une identité équatorienne est marquée par la rencontre d'avec l'autre, celui si différent venu de l'autre côté de l'océan comme celui sorti du fond de la forêt, du fond des âges. Les cris et rythmes percussifs de la jungle diffusés par quatre hauts-parleurs sont des cris humains imitant la nature lors d'une manifestation pour la défense de la forêt amazonienne. Mais au-delà de la problématique environnementale actuelle, ces voix nous rappellent celles des peuples vivant encore dans la forêt, nous interpellent sur leur place, leur droit d'aînesse sur nous, leur droit à être différents et par leur différence, nous poser ces questions embarrassantes sur ce que nous sommes devenus.
De sa géographie particulière, de cette ligne coupant le monde en deux qui le traverse et lui a donné son nom, ce pays semble faire sienne une culture de la dualité. Un match d'equa-volley (la variante équatorienne du volley-ball) est projeté sur le mur, il se déroule sur l'endroit exact de la ligne de l'Equateur, chaque équipe se trouvant sur un hémisphère différent. Deux grands draps blancs sur lesquels des constellations sont tracées en cheveux représentent les deux côtés du ciel, le même ciel mais coupé en deux parties irréconciliables. Pour exorciser cette frontière absurde à l'intérieur de son pays, Rosa Jijón part en Antarctique, là ou n'existent ni frontières, ni revendications territoriales. Elle y photographie l'équipe scientifique équatorienne habillée aux couleurs de l'équipe de football nationale.
La vision de l'Equateur par ses artistes actuels montre une convergence des questionnements, un tissage de liens indissociables entre histoire, culture et environnement. Le drapeau anarchiste de Rometti Costales est constitué de graines de huayruro, un arbre utilisé dans la préparation de breuvages hallucinogènes. Un mouvement politique moderne rejoint ici une culture chamanique ancestrale. Un tapis en laine traditionnel représente une indienne peignant un graffiti (el pueblo quiere mierda, le peuple veut de la merde), mais la typographie est moderne, futuriste, s'inscrit dans le présent. Le présent se voit confronté par un passé, une histoire qui n'est pas prête à se rendre sans combattre.
Le tableau de Fernando Falconí est un portrait naïf de l'Equateur, une image tirée d'un manuel scolaire. L'artiste et sa compagne admirent le pays, ses villes et ses montagnes comme autant de fiertés politiques et économiques. La pédagogie scolaire révèle sa nature politique, tout comme l'identité d'un pays devenue une fois son masque tombé une fable de conte de fées que l'on raconte à des citoyens infantilisés. Pourtant l'intention est pure, le désir de beauté intègre, mais il ne reste plus qu'une nostalgie douce à se mettre sous la dent.
Parfois de petites expositions discrètes ont plus à nous offrir que les grandes manifestations culturelles officielles. Cette scène artistique équatorienne est réjouissante. Elle est spontanée, lucide, et en ayant encore l'innocence de sa jeunesse, elle ne s'est pas détachée de cette simplicité qui permet si efficacement de toucher le public.
Sylvain Silleran
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extrait du communiqué de presse :
Commissaires : Bernard Marcadé & Santiago Reyes
avec Maio Alvear, Miguel Alvear Lalley / Patricio Andrade, Anthony Arrobo, Saskia Calderón, David Cevallos, Fernando Falconí, Rosa Jijón, José Hidalgo-Anastacio, Fabiano Kueva, José Luis Macas Paredes, María José Machado, Janneth Méndez, Estefanía Peñafiel Loaiza, Christian Proaño, Santiago Reyes, Rometti Costales, Oswaldo Terreros Herrera.
L’Equateur est le seul pays au monde qui porte le nom d’un repère géographique. En l’occurrence celui de la ligne équinoxiale qui marque une latitude 0 et qui partage le globe terrestre en deux hémisphères*.
Cet endroit du monde, occupé par un pays maintenant, a longtemps été parcouru par des hommes et des femmes avant que certains d’entre eux ne s’y installent. Ces hommes, ces femmes, ces cultures, donc, ont été traversés par cette condition hasardeuse (ou pas ?) qui fait que le soleil traversant coupe en deux parts égales le temps et l’espace.
Les premiers habitants se sont bien rendu compte de cette particularité et l’ont mesuré avec justesse. Puis des visiteurs, envahisseurs, conquérants — ou autres appellations —, au nom d’une civilisation dite aujourd’hui « occidentale » (mais du point de vue de cette partie de la terre, elle est orientale) ont débarqué et tenté de définir ce qui était déjà bien connue des natifs, indiens, hôtes — ou autres appellations.
L’exposition joue sur ce paramètre géodésique (en latin aequator : qui rend égal), mais aussi sur la notion de cette donnée en langue quichua : chaupi désigne la moitié et le milieu. Les oeuvres choisies pour cette exposition parisienne sont toutes traversées par cette dialectique, soit littéralement, soit historiquement, soit métaphoriquement. CHAUPI-AEQUATOR : une manière de penser le monde d’aujourd’hui à l’époque de la globalisation à partir de points de vue qui mettent en perspective et en question les grands systèmes d’opposition de notre culture : Nord/Sud, centre/périphérie, indigène/colon, masculin/féminin, nature/culture, réel/imaginaire, art/artisanat…
Bernard Marcadé et Santiago Reyes
* L’équateur est l’intersection du plan imaginaire, perpendiculaire à l’axe de rotation de la terre et équidistant des deux pôles, avec la surface de la terre, qui permet de déterminer les latitudes de tous les points de sa surface.
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