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“Olafur Eliasson” article 1912
au Château de Versailles

du 7 juin au 30 octobre 2016



www.chateauversailles.fr

www.chateauversailles-spectacles.fr

 

© Sylvain Silleran, vernissage presse, le 6 juin 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  © Olafur Eliasson
2/  Olafur Eliasson. Photographie © Rolex/Tina Ruisinger
3/  © Olafur Eliasson

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Il n'y aura pas de polémique au château de Versailles cette année. Les œuvres d'Olafur Eliasson qui investit salles et jardins ne courent pas le risque de se voir taguées comme celles de son prédécesseur, nous sommes ici dans un univers consensuel et apaisant. En effet, quoi de plus rassembleur que la thématique environnementale, climatique ? Le travail d'Olafur Eliasson est simple, sa sophistication minimaliste est celle d'un architecte. Tout le travail industriel, les calculs d'ingénierie, la machinerie lourde de l'atelier-usine visent à revenir aux origines : les quelques traits de crayon d'une esquisse sur une feuille de calque, l'expression d'une idée, d'un axe, d'une direction.

Dans les salles du château, c'est par des jeux de miroirs que l'on pénètre dans l'univers de l'artiste. Un long miroir tourné vers l'intérieur, courant le long de la façade, renvoie à travers les fenêtres l'image d'un deuxième château absurdement proche. D'abord égaré par l'image d'une étroite cour intérieure, le visiteur met un peu de temps à saisir que cette personne qu'il voit dans le bâtiment d'en face est son propre reflet. Cette illusion de magicien fonctionne comme un réveil, comme si il fallait d'abord nous sortir de notre torpeur narcissique pour être disponible à ce que l'artiste a à nous raconter par la suite.

Deux cercles découpés dans des hauts miroirs se font face des deux côtés d'un couloir, l'un est une ouverture sur un trou obscur, l'autre un disque de lumière jaune. Le jeu des reflets et des profondeurs fait apparaitre une lune dont le croissant évolue en phases jusqu'à l'éclipse totale suivant le mouvement du spectateur. La forme circulaire se décline au bout de la galerie des glaces en un cerceau de lumière démultiplié par un triangle kaléidoscopique de miroirs. Le talent conceptuel de l'artiste excelle dans la construction d'illusions, poussant l'œil à assembler une réalité qui n'existe pas.

Une fois à l'extérieur, le monde virtuel des miroirs/écrans va laisser place à une évocation plus concrète, plus sensorielle de la réalité environnementale. Alignée parfaitement dans la perspective du grand canal, une haute cascade se dresse comme une obélisque. D'abord perdue dans le lointain comme une abstraction barrant la ligne d'horizon, elle se matérialise au fur et à mesure que l'on se rapproche, que la temporalité de l'eau qui chute la place dans le réel. L'œuvre est volontairement artificielle, assumant sa structure gigantesque de grue métallique jaune.

Dans le bosquet de la colonnade, le large cercle gris minéral au sol est composé de résidus de glaciers du Groenland. Cette roche réduite par les millénaires à l'état de poudre contient les minéraux qui rendent les sols européens fertiles. Cette évocation de notre écosystème, d'une échelle de vie et de mouvement si grande qu'elle est immobile à nos yeux doit participer à l'éveil de nos consciences.

C'est dans le bosquet de l'étoile que le projet d'Olafur Eliasson prend enfin son envol. Une structure légère, presque invisible de tubes diffuse une brume blanche. En longues pulsations, un épais brouillard opaque envahit petit à petit la clairière jusqu'à tout engloutir. A l'aspect visuel impressionnant s'ajoute le toucher concret de l'eau nuageuse dans laquelle on se trouve plongé. Là réside la réelle interactivité qui est attendue d'une manifestation aussi grand public. En jouant dans cette brume, en perdant la vue pour ressentir l'humidité qui se condense sur nous, le reste de l'exposition s'assemble comme un puzzle et devient compréhensible. Le message environnemental est enfin entendu, non par les yeux et l'esprit, mais par la peau.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition, Alfred Pacquement



Historiquement, la cour était à Versailles un lieu d’observation constante – de soi-même et des autres – les strictes normes sociales de l’époque étaient maintenues au moyen d’un réseau de regards. L’architecture baroque du Château servait à accroître la visibilité, devenant l’admirable instrument d’un pouvoir exercé exclusivement par le Roi. Aujourd’hui, nous portons sur Versailles un regard différent, et quand je le visite, je me demande comment vous, visiteur, voyez ce site emblématique. Quel effet provoque-t-il sur vous ? Sommes-nous tous devenus des rois ?

Le Versailles dont j’ai rêvé est un lieu qui responsabilise chacun. Il invite les visiteurs à prendre le contrôle de leur expérience au lieu de simplement consommer et être éblouis par la grandeur. Il leur demande d’ouvrir leurs sens, de saisir l’inattendu, de flâner à travers les jardins, et de sentir le paysage prendre forme à travers leur mouvement.

Pour mon exposition cet été, je réalise dans le château une série de subtiles interventions spatiales en déployant des miroirs et des lumières ; dans le jardin, j’utilise le brouillard et l’eau pour amplifier le sentiment d’impermanence et de transformation. Les oeuvres diluent l’agencement formel des jardins tout en faisant revivre une idée originale, jamais réalisée, du paysagiste André Le Nôtre : l’installation d’une cascade dans l’axe du Grand Canal. Cette cascade qui ravive l’ingéniosité de l’ingénierie du passé est aussi construite que l’était la cour ; j’ai laissé ses éléments de construction à la vue de tous, apparemment étrangers ils étendent la portée de l’imagination humaine.

Olafur Eliasson




Olafur Eliasson a poursuivi au cours des vingt-cinq dernières années une oeuvre sculpturale et photographique où les questions de perception, de mouvement et d’appréhension du réel par des dispositifs optiques se confrontent à une approche sensible et écologique de la nature et des grands débats auxquels fait face notre société industrielle. Né au Danemark il a passé une partie de son enfance en Islande marqué par un territoire volcanique constitué de vastes espaces vierges et de glaciers ancestraux. Exposant dans de nombreux musées mais actif également dans toutes sortes de contextes publics, il multiplie les interventions urbaines ou dans le paysage avec l’ambition de faire vivre au spectateur des expériences multi-sensorielles. Lors de la récente COP 21, il a ainsi installé devant le Panthéon des blocs de glace disposés comme s’il s’agissait d’une horloge monumentale dont le propos était aussi de faire prendre concrètement conscience des graves enjeux climatiques de l’époque (Ice Watch, 2015).

Eliasson transporte des fragments de nature dans le musée, un sol de lave ou le lit d’une rivière par exemple. Il recrée par des mécanismes technologiques des phénomènes naturels comme une chute d’eau. Il bouscule notre vision du monde par ses installations où sont mis en œuvre projections lumineuses, visions kaléidoscopiques, miroirs réfléchissants et structures géométriques complexes. Il développe également des projets architecturaux et des propositions qui cherchent à donner à l’art une perspective sociale comme son Little Sun, une lampe fonctionnant à l’énergie solaire plus particulièrement destinée aux pays où l’accès à l’électricité reste interdit tout en soulevant la question des énergies durables. Comme l’écrit l’artiste “L’art a la capacité de transformer nos perceptions et perspectives sur le monde”.

Versailles est tout à la fois un site historique de haute valeur patrimoniale et un microcosme où se croisent des populations de diverses origines et de toutes cultures. Musée et lieu public, il ne pouvait que stimuler un artiste particulièrement intéressé pour aller à la rencontre d’espaces naturels et de ceux forgés par l’histoire culturelle auxquels il accorde également un rôle social. A Versailles les deux s’entremêlent avec la conception du jardin fondée sur un dessin géométrique et les lignes de perspective ; et une architecture au puissant décor à la gloire des monarques qui l’ont initié

Eliasson aborde le château et le jardin de Versailles comme un champ expérimental. Il n’y installe pas des objets mais conçoit des dispositifs qui engagent le visiteur dans une relation active. Toutes les œuvres exposées sont pensées et situées par rapport aux espaces investis. Elles se subdivisent en deux grands ensembles.

Les installations en extérieur forment un triptyque autour du thème de l’eau dont on sait combien il est présent dans le jardin classique. La cascade dressée dans le Grand Canal prend place dans l’axe majeur tandis que les deux bosquets (l’Etoile et la Colonnade) réaffirment leur fonction de salons de plein air pour abriter l’un, un voile circulaire de fin brouillard, et l’autre, un tapis de résidus de glacier tout droit venus du Groenland. Ces trois oeuvres sont ainsi reliées entre elles par leur thématique commune traçant une continuité et engageant les sens.

A l’intérieur du château c’est le regard qui est sollicité dans un jeu successif de miroirs et de mises en abîme. Le décor des salons n’est pas transformé mais il s’amplifie en démultipliant les points de vue. Le spectateur découvre avec surprise son image dans des situations inattendues, les salles s’agrandissent, se transforment, révèlent leur mystère. L’artiste exalte la fluidité du cadre baroque qui lui permet de reconstruire une autre réalité. Déplacements et déstabilisations modifient l’appréhension des salles en y invitant le visiteur comme participant actif.

Eliasson excelle à créer des phénomènes visuels établissant une nouvelle perception de l’espace. Après avoir réinventé le soleil couchant dans l’immense Turbine Hall de la Tate Modern (The weather project, 2003), installé de gigantesques cascades dans la ville de New York (The New York City Waterfalls, 2008) ou ajouté une étoile dans le ciel de Stockholm (Your Star, 2015), il apporte ici sa vision et sa relecture de Versailles.

Alfred Pacquement