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“Marcel Gautherot” Brésil : tradition, invention
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 15 juin au 28 août 2016



www.mep-fr.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 14 juin 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Marcel Gautherot, The Ministerial Esplanade under construction, c.1958. Acervo Instituto Moreira Salles. © Marcel Gautherot.
2/  Marcel Gautherot, Igapós Amazônia, c. 1958. Acervo Instituto Moreira Salle. © Marcel Gautherot.
3/  Marcel Gautherot, Carrancas de proa, Rio São Francisco, Bahia, 1946. Acervo Instituto Moreira Salles. © Marcel Gautherot.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

La photographie de Marcel Gautherot est une course contre la montre. Son périple à travers le Brésil pour en saisir les traditions procède de l'urgence de saisir un monde et le fixer sur des carrés de papier avant qu'il ne se fasse engloutir par l'avancée de l'histoire. Son œil ne saisit pas la pose parfaite, l'alignement juste, mais réussit à trouver l'instant où une faille s'ouvre dans le réel, où celui-ci devient extraordinaire et se trouve affranchi du temps et de l'espace. Ainsi, le travail documentaire s'ouvre sur de nouvelles dimensions, la réalité transcendée par le cadrage devient tableau, allégorie.

Sur la place d'un village, des villageois debout autour d'une pile de bagages semblent attendre un autocar. Un grand arbre stylisé par le contre-jour en une silhouette noueuse se détache au centre de cette étendue de terre nue, s'imposant comme une divinité. La scène se colore, évoque un rite religieux, une reconstitution biblique. Sur un autre cliché, la silhouette d'un arbre mort au premier plan est un crucifix géant dont l'écorce se teint d'un noir d'encre. Il domine les hommes indistincts qui marchent à demi effacés dans une brume de poussière.

Derrière un groupe de pêcheurs, les voiles des bateaux sont les oriflammes d'une armée de croisés. Une barque filant toutes voiles gonflées, tronquée par le cadre serré de la photographie, devient courbes abstraites, arches sous lesquelles les hommes partent au combat. Marcel Gautherot photographie un festival, une procession, mais une fois l'épreuve tirée, c'est un tableau de la renaissance qui nous est montré, une toile bien plus large et vaste que la feuille de papier ici encadrée. Les matelots juchés au sommet des mâts de leurs bateaux sont des christs crucifiés, une image troublante de la Passion.

Ces images devenues celles de mythes et légendes retracent alors l'Odyssée d'un Ulysse à travers des contrées fabuleuses. Sur un rivage, des jeunes pêcheurs tirent sur la corde d'un filet de toutes leurs forces dans un combat épique. Le filet plein, imposante forme sombre, s'anime comme un monstre, dont des bouts de cordage agités par les vagues sont antennes et tentacules. Un jeune homme rassemblant les poissons qui constituent la prise de la journée semble en fait les multiplier. La composition du tableau est centrée sur ce personnage et le poisson qu'il jette sur la pile. Le geste traditionnel, quotidien, en se rattachant au mythe, devient immortel, intemporel, et échappe à l'oubli dans lequel le progrès le plongera tôt ou tard. Le photographe ne se borne pas à documenter une époque et des traditions, il en est le sauveur.

La fin de l'histoire, c'est Brasilia, la modernité qui sort de terre. Marcel Gautherot en photographie les structures en construction comme des squelettes de dragons ou de monstres légendaires. Les hommes réduits à de minuscules liliputiens se retrouvent isolés en petits groupes de deux ou trois, perdus, coupés de leurs racines et de leurs frères. Puis ils finissent par disparaitre, il ne reste plus que la matière, le béton, la géométrie du blanc et du noir.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire d’exposition : Sergio Burgi & Samuel Titan Jr.
Dans le cadre d’une saison brésilienne




Le travail de Marcel Gautherot, photographe français ayant vécu la majeure partie de sa vie au Brésil, est capital dans l’histoire récente de la photographie brésilienne. Il a travaillé de son vivant avec les plus grands noms de la culture brésilienne, tels que Rodrigo Melo Franco de Andrade et Lúcio Costa à la Commission Nationale du Folklore, Oscar Niemeyer, pour qui il photographia la construction de Brasilia, ou encore Roberto Burle Marx, documentant ses principaux projets d’architecte paysagiste.

Le travail photographique de Marcel Gautherot au Brésil se caractérise par une couverture territoriale et régionale visant à l’exhaustivité, une immense diversité thématique et une qualité esthétique extraordinaire, qui puise dans sa formation initiale d’architecte, notamment d’intérieur, en France. Les deux piliers de son travail, la photographie d’architecture et la photographie ethnographique, témoignent chez Marcel Gautherot d’une vision particulièrement forte qui prône l’importance de la forme comme outil narratif lui permettant de structurer et d’apporter de la profondeur à ses projets documentaires au long cours. Cette démarche a marqué les cinq décennies de sa carrière au Brésil et a fait de lui l’un des photographes les plus importants de l’après-guerre dans le pays. La place fondamentale qu’il accorde à la recherche formelle se traduit également dans la manière dont il a organisé de son vivant ses propres archives photographiques, comptant près de 21.000 négatifs noir et blanc et 2.200 planches contact, classées pour permettre une lecture claire et détaillée de son travail, sans oublier près de 3.000 diapositives et négatifs couleur.

Le travail de Marcel Gautherot, avec toutes ses spécificités, est néanmoins resté largement méconnu du grand public jusqu’à sa disparition en 1996. À Sa mort, sa famille a transféré l’ensemble de son oeuvre à l’Instituto Moreira Salles, principale institution brésilienne dédiée à la préservation des collections photographiques. L’Institut a mené un travail intensif de préservation et de conservation des oeuvres, qui ont été dans le même temps numérisées, cataloguées et indexées, tandis que les tirages originaux et les négatifs ont été placés dans un environnement protégé afin d’assurer leur préservation. Une diffusion large et systématique de son travail auprès du public a ensuite été entamée dès l’année 2001, avec une importante exposition et la publication du catalogue Le Brésil de Marcel Gautherot. Plusieurs autres publications et expositions ont été présentées durant les vingt années qui ont suivi sa disparition, s’attachant à préciser dans le détail son statut de photographe essentiel de l’architecture moderne au Brésil, ainsi que sa manière de documenter en profondeur les spécificités géographiques et culturelles brésiliennes.

L’exposition « Les Photographies de Marcel Gautherot », présentée à la Maison Européenne de la Photographie du 15 juin au 28 août 2016, est la première rétrospective majeure de son travail en dehors du Brésil. Elle a lieu dans sa ville d’origine, Paris, remplissant ainsi une double fonction. Cette exposition vise premièrement à réhabiliter Marcel Gautherot au sein de sa culture d’origine, le milieu intellectuel et artistique du Paris des années 1930 où, jeune architecte moderniste et photographe diplômé de l’ENSAD, admirateur et suiveur de la vision portée par Le Corbusier, il se montre très actif, gravitant notamment dans les cercles du Musée de l’Homme et de l’agence photographique Alliance Photo. Deuxièmement, elle vise à présenter son impressionnant travail photographique à un public international, en mettant l’accent sur sa relation privilégiée avec l’architecte Oscar Niemeyer, que l’on pourrait rapprocher du travail de Lucien Hervé avec Le Corbusier, ou de celui de Julius Shulman face aux édifices de Richard Neutra.

L’oeuvre de Marcel Gautherot a eu une influence considérable dans les représentations et les imaginaires modernes associés au Brésil, aussi bien au sein du pays qu’à l’étranger. Son projet documentaire monumental sur le Brésil, dont les archives conservées à L’Instituto Moreira Salles à Rio de Janeiro sont le témoignage, a été conçu avec une sensibilité immense et une extraordinaire conscience formelle, constituant un héritage durable pour la culture brésilienne et un témoignage important des liens qui unissent le Brésil et la France, en même temps qu’un enseignement précieux pour comprendre l’importance de la photographie, en tant que langage nomade et résolument international, dans la construction de la modernité et de la contemporanéité.

Sergio Burgi & Samuel Titan Jr.
Commissaires de l’exposition, Instituto Moreira Salles