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“L’oeil de l’expert” La photographie contemporaine
au Musée Nicéphore Niépce, Chalon-sur-Saône

du 18 juin au 18 septembre 2016



www.museeniepce.com

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 17 juin 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Mathieu Pernot, Meaux ( Seine-et-Marne) / 2.462 – Au groupe scolaire du chemin aux Prêtres, Série : Les Témoins, 2006, tirage jet d’encres pigmentaires, 60 x 50 cm. © Mathieu Pernot.
2/  Mac Adams, The Third Swan, 2010, tirages jet d’encres pigmentaires, tryptique, 102 x 102 cm. © Mac Adams.
3/  Bruno Boudjelal, Tipaza, 2009 – 2012, tirage jet d’encres pigmentaires, 40 x 60 cm. © Bruno Boudjelal / Agence VU’.

 


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Interview de François Cheval, directeur du Musée Nicéphore Niépce,
par Anne-Frédérique Fer, à Chalon-sur-Saône, le 17 juin 2016, durée 19'35". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : François Cheval Conservateur en chef et directeur du musée Nicéphore Niépce.



En décembre 2016, François Cheval quittera la direction du musée Nicéphore Niépce. L’occasion de revenir sur vingt ans d’une politique d’acquisition originale en matière de photographie contemporaine. 
Le musée, lieu de conservation que d’aucun souhaiterait cantonner aux œuvres d’art ancien, seul patrimoine « avéré », a assumé son rôle de soutien à la création. Accueil d’artistes en résidences, constitution de corpus d’oeuvres capables de donner une vision complète de la carrière d’un artiste, production de tirages sous la direction des photographes, projets artistiques dans la ville, ces choix ont ouvert les collections à une réflexion sur le monde et sur le médium, à travers l’oeil expert de l’artiste.

 




Dans le modèle originel du musée Nicéphore Niépce, fondé par Paul Jay en 1974, le photographe et l’artiste ne font qu’un.

Le fondateur s’étant entouré de personnalités diverses, comme Philippe Néagu, André Jammes, Jean-Pierre Sudre, etc, il ressort de cette période une affirmation de la création photographique, nostalgique du savoir-faire, et une recherche de la vérité du média en tant qu’espace individuel de création. Et le cri d’amour poussé par Jean-Claude Lemagny sera repris dans les faits par Paul Jay : « Aimer charnellement la photographie. L’expression peut paraître bizarre. Mais je veux simplement rappeler que tout véritable amour est charnel ». La photographie relève avant tout du sensible. On en parle comme d’un être aimé dont on décrit les qualités tactiles.

La « peau », la « chair » et la « matière », telle est la vérité d’une photographie humble, à l’écart du marché, de l’art contemporain et de ses concepts. On se méfie de la facilité du grand format, on soupçonne la couleur pour sa vulgarité. Bref, n’étaient invités au musée que les photographes porteurs d’une certaine morale. Véritable démiurge, le photographe contemporain, un auteur dans le sens plein du terme, était proche de l’alchimiste, si ce n’est de l’apprenti-sorcier.

Depuis 1996, au photographe tout-puissant a succédé la figure du photographe saisi par l’incertitude ! Vingt ans d’acquisitions contemporaines interrogent le médium inventé par Nicéphore Niépce. Il ne s’agit pas uniquement d’introduire de nouvelles esthétiques, chaque image et chaque série sèment le doute sur les présupposés de l’acte photographique. L’enjeu ne pouvant se limiter à l’entre-soi du milieu photographique, la collection a fait le pari d’une alternative aux images « vulgaires » du monde. La collection contemporaine est un acte militant, une volonté farouche de s’opposer à l’entertainment, à la société du spectacle. Elle propose une suite de regards renouvelés de la part, non d’auteurs sacralisés, mais de professionnels de l’image, instruits des ruses du médium. En cela, les choix opérés de n’acquérir que des séries complètes, de les produire bien souvent, et d’affirmer des fidélités dans le temps dressent un tableau de la crise de la photographie et de sa possible régénération.

Le rôle confié à tous ceux que nous avons conviés ou convoqués est multiple et complexe. Il leur a été demandé, cette fois-ci sans humilité, de reconstruire la globalité de l’objet photographique. Et pour cela, de participer joyeusement à l’ébranlement du vieil édifice chancelant, s’effritant, sous les coups des médias modernes et des réseaux sociaux. Plus rien n’est indiscutable. L’auteur et le concept d’oeuvre photographique, l’intention, cette catégorie indéfinie, les périodisations aléatoires et « l’histoire » de la photographie, l’ensemble des critères imposés de l’extérieur sont mis à mal.

Le musée Nicéphore Niépce n’est plus obsédé par la rareté et par l’épreuve unique. Parce qu’il s’est doté de moyens techniques [ laboratoire de production, résidences…], il a su proposer une nouvelle forme de relation avec le photographe. Dorénavant, au beau nom d’auteur nous préférons celui « d’expert », un être en possession d’un capital technique et culturel en capacité d’interroger la relation anthropologique qui s’incarne entre l’homme moderne, sa caméra et le monde. La politique d’acquisition s’est construite dans une polémique permanente entre l’institution provinciale et le photographe. Les « sujets » se sont imposés après disputes et débats. Ils ont pris forme en opposition au marché et à l’institutionnalisation de l’art. C’est en connaissance de la situation économique et de la crise culturelle de la photographie qu’ils ont pu émerger. Nous avons pu parler un moment d’achats « nécessaires » quand la notion d’art, inutile ici, a disparu au profit de récits critiques mais toujours jubilatoires. La photographie contemporaine ne peut tirer gloire aujourd’hui que de ses tentatives de témoigner non pas de l’état du monde, mais du rapport que nous entretenons avec l’image autocratique qui se confond avec la marchandise nouvelle. Elle fait comparaître devant nous l’objet de prédation, elle exhibe sa nette tendance à réduire les têtes, sa tentation permanente à être un objet totalitaire et un objet futile, un objet de contrôle social et de pure satisfaction. Elle s’inscrit en faux sur la supposée capacité et la légitimité du médium de restituer le réel, son objectivité.

Ce que l’oeil de l’expert a apporté au musée Nicéphore Niépce et à ses visiteurs, c’est la démonstration d’une photographie sans réelles conséquences sur le monde, mais donnant l’impression d’une liberté retrouvée. Parce que débarrassée du narcissisme, de la décoration et du suivisme « arty », la photographie contemporaine a su jouer avec la machine et ses potentialités.

François Cheval




À voir également du 18 juin au 18 septembre 2016
Léon Herschtritt, La fin d’un monde.


Léon Herschtritt [né en 1936] fut le plus jeune photographe à recevoir le prix Niépce en 1960 grâce au travail réalisé durant son service militaire en Algérie. Humaniste, il n’hésite pas à diversifier ses sujets en développant une sensibilité particulière pour les scènes de rues, la jeunesse des années 1960 et son émancipation progressive, les mouvements sociaux, le peuple gitan… En partant des archives personnelles du photographe et parfois de négatifs inédits, l’exposition s’articule autour de quatre-vingt photographies offrant une vision d’ensemble de l’oeuvre de Léon Herschtritt dans les années 1960. Autant d’images qui témoignent de la fin d’un certain monde.

La photographie de Léon Herschtritt est une épreuve pour la critique. Les séries s’affichent sans que l’on ait besoin de les déchiffrer. Cela va de soi. Une prostituée racole, un soldat bombe le torse et les amoureux de Paris se bécotent sur les bancs. On fait aujourd’hui mérite à un photographe de son originalité. Déconcerter est la règle. Et c’est tant mieux car le conformisme en photographie est sans nuances.

C’est oublier pourtant une des qualités essentielles de ce médium qui est de revoir et de conforter la mémoire. Ici, on retourne sur nos pas. On prend un plaisir certain à réemprunter des voies anciennes. Aujourd’hui, qui se risquerait à dresser le portrait d’un pays, d’une profession, qui se risquerait à figurer la légèreté, la joie de vivre ou la tristesse et le désarroi ? Une photographie qui se fait au gré des humeurs, telle pourrait être la définition simple de l’oeuvre de Léon Herschtritt ? Ce n’est pas si simple. Une épreuve pour la critique ! Car nous sommes mal placés, confrontés à l’agitation d’un présent si mouvementé, pour juger de cette période.

Nous revendiquons la liberté du regard et nous ne pouvons nous empêcher de caractériser cette photographie de mélancolique. Mais si nous pouvons un instant refuser le désuet et l’anecdote, nous devons convenir que ce temps-là était en proie au bouleversement. Derrière les apparences futiles, derrière les équivoques, surgissent les prémices d’un avenir sombre, notre présent. En ces temps dits glorieux, dans les années 1960, des nations émergent, une jeunesse se prépare à la rébellion, les grèves se multiplient et le monde se sépare en deux camps. Dans ce qui paraît un cortège de désinvolture, de moments gracieux mais sans profondeur, le photographe rend avant tout compte du mouvement des choses et des hommes. Nous savons aujourd’hui quels troubles ont connus les nations : de la chute des empires coloniaux à la crise de la culture.

Le photographe, faussement humble, rend compte de la fragilité de la société autant que de l’impuissance de la photographie. Ce serait mal connaître Léon Herschtritt que de le voir comme un photographe critique sur son objet. Mais lorsqu’il pose son regard sur un sujet, rien n’est direct. La vision se déplace sur ce qui, apparemment, est accessoire. La photographie ne réside pas dans les réponses qu’elle peut apporter, et offre encore moins des solutions, mais elle interroge ses participants, acteurs ou figurants de ce théâtre. Jamais la photographie n’a été aussi « retorse » pour nous présenter des séries de fausses pistes. Si l’on conçoit cette manière de détourner les choses comme un artifice « humaniste », on se méprend. Léon Herschtritt s’évade de l’évidence tragique, de la démesure et des contrastes accrocheurs pour imposer une photographie lucide, malicieuse et sans acrimonie. Il trouve la juste expression de son travail dans un constat un peu nostalgique, mais acéré et architecturé, sur le fonctionnement des choses et des hommes. Le souci majeur du photographe, c’est la nécessité d’inscrire chaque image dans un récit qui ne doive rien aux grandes oeuvres photographiques qu’il connaît et apprécie. C’est sans honte qu’il exerce le métier de photographe-reporter, confiant dans la qualité brute de l’outil. Les ressources de l’appareil lui suffisent amplement pour exprimer ce qui sourd en profondeur.

Ainsi en va-t-il de l’oeuvre de Léon Herschtritt. Elle vit sans à-coup, presque souterraine. La décrit-on, que bien souvent on se méprend. On pense qu’elle rentre dans son déclin. Peu de temps après, on l’exhume. Elle éveille plus que de la curiosité. Et, il est fort possible qu’un jour, elle ne vienne à réveiller l’inquiétude qui l’a fait naître.

François Cheval