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“Nicolas Darrot” Règne Analogue
à la maison rouge, Paris

du 8 juillet au 18 septembre 2016



www.lamaisonrouge.org

 

© Sylvain Silleran, vernissage presse, le 7 juillet 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Nicolas Darrot, Alpha Leader, 2012. Matériaux divers, servomoteurs et dispositif sonore, 66x49x50cm. Courtesy galerie Eva Hober, collection privée France.
2/  Nicolas Darrot, La Tequilera, 2008. Matériaux divers et servomoteurs dispositif sonore, 120x170x50cm.
3/  Nicolas Darrot, L’oreille, 2012. Résine, polyester, servomoteurs et dispositif sonore, 60 x 26,5 x 52 cm. Collection privée, France, Courtesy Galerie Eva Hober, Paris.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Une étrange collection d'insectes et de coléoptères nous accueille, un fantasme d'entomologue dans un alignement précis de boites de plexiglas sur des socles rectangulaires de bois. Les créatures présentées sont mi-insectes, mi-machines. Leurs pattes, leurs ailes, leurs corps sont augmentés de pièces mécaniques: matériel médical, chirurgical, roulettes de dentiste, maquettes d'hélicoptères et de vaisseaux spaciaux, missiles, moteurs métalliques, prothèses. De cette fusion nait une armée d'aliens cyborgs de science fiction. Nous regardons avec malaise ce vestige d'une guerre, ne sachant pas si nous l'avons gagnée ou perdue.

Dans une grande salle lumineuse, un yéti tout en longue fourrure et deux fantômes en toile de parachute dansent une chorégraphie syncopée suspendus à un dispositif complexe de bras et de câbles. Le travail de Nicolas Darrot est ainsi plein de pièges, passant sans prévenir de l'angoisse au rire, s'installant dans le silence et l'immobilité pour se mouvoir d'un bond au moment où on ne s'y attend pas. Les matériaux utilisés nous sont familiers, ce sont des objets que nous connaissons, qui ont cette banalité des choses ni trop chères ni trop bon marché.

L'horizon se voit bloqué par une voile dorée verticale découpée dans une couverture de survie, puis celle-ci glisse avec fluidité à travers l'espace, ouvrant la perspective sur le volume de la prochaine salle d'exposition. Dans des vitrines encastrées dans les murs, des petites formes stylisées en fil de fer s'allument brièvement comme des filaments d'ampoules rougis. Des automates de crabes, d'étoiles de mer, hérissés de métal, de fibre optique et de circuits électroniques, des méduses dans un aquarium alimenté en bulles par une machinerie de soufflets et de tuyaux s'agitent paresseusement. Une ruche artificielle suspendue laisse s'écouler un lent filet perpétuel de miel liquide.

Ce monde synthétique finit par devenir oppressant. Dans l'obscurité, de petits animaux humanoïdes, des squelettes pendus à leurs fils sont commandés par des cellules photoélectriques. Après notre passage, un concert de ricanement, de cris et de répliques cinglantes se déclenchent dans notre dos. Ces marionnettes s'animent d'une vie qui nous défie, chantent et dansent un carnaval macabre et moqueur. Un animal de métal tourne en rond, marchant avec obstination sur deux pattes. Sa tête de néon rase le sol ; la lumière blanche ravive un large cercle de peinture phosphorescente sur son passage. Dans cette trace lumineuse verte qui s'éteint peu à peu, on découvre le tracé de molécules, hiéroglyphes modernes d'un langage scientifique étranger.

Empruntant autant aux codes de Vaucanson qu'à ceux de la NASA, s'inspirant des frères Grimm et du manga, les automates de Nicolas Darrot opèrent une hybridation de l'histoire et des technologies. Ses greffes contre nature font se rejoindre analogique et numérique, biologique et mécanique, dans une grande parade de cirque grimaçant entre rêve et cauchemar. L'émerveillement que procure sa bizarre ménagerie dure juste un moment, jusqu'à ce que s'éveille la machine à produire l'effroi.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Nicolas Darrot et La maison rouge entretiennent des liens de longue date : il est l’un des premiers invités en 2006 à investir le patio de la fondation, avec son installation monumentale Passage au noir. Il est présent dans la collection d’Antoine de Galbert depuis près de 20 ans. Cette fois, Darrot produit une grande et ambitieuse exposition monographique, avec une vingtaine de nouvelles pièces inédites.

Sa pratique est plurielle. Elle se décline en sculptures, installations, objets hybrides et automatisés. Ses oeuvres mêlent une multitude de références aux croisements de la science, de l’histoire, des mythes et de la littérature. Rare artiste de la scène française passionné de science et technique, il apprend au contact de scientifiques à l’occasion de la mise en oeuvre de ses projets toujours inspirés par ses lectures.

L’exposition Règne analogue est une nouvelle narration et une autre subdivision du monde qui naviguerait entre animal et minéral. Elle tente une réplique du vivant selon une autre logique échappant à l’humain, renvoyant une image parfois angoissante mais toujours poétique.

Deux immenses fantômes évanescents s’agitent dans la grande salle accompagnés d’un acolyte chevelu, lui aussi animé ; un cerf aux bois en feu ; un agneau au pelage cotonneux est caressé par un rideau d’or ; une ruche de kevlar où coule perpétuellement du miel ; un ibis métallique picore le sol dans une ronde infinie, tandis qu’un phare équipé d’une ampoule colorée diffuse, pixel par pixel, une image des confins de l’univers.

Voilà quelques-unes des images fortes et oniriques non seulement convoquées, mais bien réalisées par cet artiste mage, bricoleur, ventriloque qui fait parler les bêtes et bouger les objets…

Le parcours permet également de retrouver des oeuvres plus anciennes, comme la série Dronecast (2002-2008) insectes mutants, devenus machines de guerre ou les Curiosae, série de scènes de domination entre différents groupes d’insectes ou encore celle, pleine d’humour, des Injonctions (2008-2009), petits théâtres de marionnettes animées et dotées de la parole, ainsi qu’un ensemble d’œuvres qui, rassemblées par l’artiste, écrivent en quelque sorte une « histoire naturelle des machines », et évoquent toutes un glissement du règne animal à celui de l’artefact.

Près de 80 oeuvres de différentes échelles, toutes chargées d’une énergie, qui se libère à divers temps, surprennent le visiteur à chaque instant, le transforment. Ces objets s’apparentent à des puissances agissantes, des fétiches contemporains se répondant les uns les autres, pour former une cosmogonie, le Règne analogue d’une forme de vie émergeant de logiques inductives et poétiques.

Ils questionnent ainsi la nature du vivant, qui oppose une éternité de principe à des occurrences fugitives. Ces objets mettent en perspective le vivant dans ses rapports à l’apprentissage, à la langue et son inscription dans les motifs de l’affrontement.

Darrot avance ainsi masqué, interprétant avec humour et gravité à la fois des pantomimes où les petits drames de l’existence s’accrochent aux mouvements des astres.




A voir aussi Eugen Gabritschevsky (1893-1979) du 8 juillet au 18 septembre 2016


Eugen Gabritschevsky est né à Moscou en 1893 dans une famille de cinq enfants, issue de la grande bourgeoisie, cultivée et polyglotte, typique de la Russie tsariste. Après des études scientifiques de haut niveau en biologie et génétique des insectes, il quitte l’Union Soviétique en 1924 pour rejoindre un laboratoire de recherche de l’université de Colombia aux États-Unis.

Malgré sa grande intelligence, qualifiée d’originale par son entourage, et sa vaste culture, il est sujet à de graves troubles psychiques, qui l’empêchent progressivement de poursuivre sa carrière scientifique et de mener une vie affective stable. En 1926, il rejoint Münich où vit son frère, Georg. En 1931, il est interné définitivement jusqu’à sa mort en 1979. Eugen Gabritschevsky aura donc vécu, hormis la période de la guerre, près de cinquante ans à l’hôpital psychiatrique de Haar-Eflingen à la périphérie de Münich.

L’abandon de ses activités scientifiques laisse place à l’éclosion, sur trois décennies, d’une oeuvre riche et foisonnante, réalisée dans le silence et la solitude.

L’exposition couvre cette période prolifique, mais présente également, et pour la première fois, des oeuvres réalisées avant 1929 – des dessins au fusain sur papier de format raisin, à l’esthétique sombre et angoissée, mystique et fantastique.

Le parcours de l’exposition est à la fois chronologique et thématique : le paysage, habité ou désert ; la ville et ses foules ; la nuit, ses carnavals, ses fêtes et ses concerts ; les phénomènes de mutations, de déformations du corps, et d’hybridations ; les bestiaires d’êtres fabuleux. Les techniques qu’il déploie, frottage, tamponnage, grattage, prouvent sa liberté d’expression et la maîtrise de son art.

C’est grâce à Jean Dubuffet, que l’oeuvre a trouvé une visibilité. Il est informé de son existence dès 1948, en possède 4 en 1950 et décide d’en acheter 71 pour sa Compagnie de l’art brut en 1960. Il avertit par la suite son ami Alphonse Chave, galeriste à Vence, qui décide aussitôt, avec son fils Pierre, de rendre visite à l’artiste pour acquérir l’essentiel de sa production et l’exposer régulièrement. La galerie Chave cèdera peu après, autour de 600 dessins à la galerie Daniel Cordier, qui défendit l’oeuvre pendant plusieurs années, avant de faire un don important en 1989 au Musée National d’Art Moderne. Cet ensemble est aujourd’hui en dépôt aux Abattoirs de Toulouse.