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“Monstres & co.” article 1947
Les Rencontres de la photographie, Arles

du 4 juillet au 25 septembre 2016



www.rencontres-arles.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite des expositions, le 8 juillet 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Sara Galbiati, Peter Helles Eriksen et Tobias SelnÆs Markussen, Agent 0051. Kenneth Langley contemple ce qu'il pense être une mutilation de bétail non loin de l'entrée d'une base de l'US Air Force appelée « Zone 51 ». Détachement de l'aéroport militaire de Edwards, la Zone 51 est située au nord-ouest de Las Vegas, dans le désert du Nevada. Mis à part l'armée, personne ne sait ce qu'il s'y passe, le plus probable étant qu'on y développe et teste des armes et des avions expérimentaux. À cause du mystère qui l'entoure et de son lien avec des programmes de recherche classifiés en aéronautique, la Zone 51 est dans la ligne de mire des théories conspirationnistes. Selon certains, le vaisseau spatial de Roswell ainsi qu'un extraterrestre ayant survécu à l'écrasement se trouveraient là-bas. D'autres soutiennent que l'armée travaille en collaboration avec plusieurs aliens à la fabrication d'avions basés sur la technologie extraterrestre.
2/  George Pal, Le Cirque du docteur Lao, 1964. Avec l’aimable autorisation de la MGM.
3/  Charles Fréger, MEJISHI, Ogi, Sadogashima, préfecture de Niigata. Avec l’aimable autoristation de l’artiste.

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Comment incarner le monstre en photographie ? Comment donner véracité à ce qui n’existe pas ailleurs que dans notre imagination, à ce qui doit, tout de même, par son apparition ou sa suggestion, susciter la peur ? Il ne s’agit pas vraiment d’être déstabilisé par un sentiment d’étrangeté, ni de dégoût. Il ne s’agit pas non plus de faire un inventaire de formes de travestissements qui révélerait surtout des pratiques folkloriques. Il faut réellement provoquer la surprise et l’effroi. La question est complexe tant le médium semble connecté au réel. Sa capacité de plonger immédiatement l’image dans l’idée de trucage, de mise en scène et de facticité est forte. Elle est susceptible d’annuler irrévocablement tous les effets recherchés par l’apparition du monstre sur un support visuel. À Arles cet été aux Rencontres, trois expositions permettent de penser autour de ce sujet. Si elles n’apportent pas réellement de réponses à cette question de la représentation du monstre en photographie, elles révèlent à chaque fois des attributs distincts de la photographie.

L’équipe de la Maison d’Ailleurs d’Yverdon-les-bains (Suisse) s’est plongée dans ses collections pour mettre à jour les ressorts principaux du monstre au cinéma depuis son invention jusqu’aux années 80. Au-delà d’une taxinomie exhaustive de la figure du monstre, Marc Atallah et Frédéric Jaccaud se sont attachés avec Monstres, faites-moi peur, à interroger les mécanismes actionnés pour animer le monstre et nous impressionner. Ici, à partir de photos de presse, de lobby cards et photogrammes publicitaires récupérés ça et là par le musée, ils développent une pensée autour des effets de cadre, dans une problématique champ/ hors champ. Ces photographies provenant de désherbage de cinémathèques et d’archives de journalistes permettent de décortiquer le dispositif. La photographie devient instrument d’analyse pour la compréhension d’une dynamique de l’action cinématographique. Dans un parcours alternant cartels, photographies, affiches et revues, ils déclinent les dualités en jeu autour du cadre et du montage : le montré/caché, la norme/hors-norme, l’empathie/frayeur, la confrontation/fuite. Cette démonstration brillante et séduisante est un peu desservit par un accrochage très classique, voire désuet qui ne sied pas le propos, mais elle permet une mise en valeur opportune des capacités analytiques de la photographie.

Avec Yôkaïnoshima, Charles Fréger offre une vision riche de la fantasmagorie nippone encore vivante au Japon. Parcourant les campagnes, le photographe semble s’être mis en chasse pour trouver tous les spectres, monstres et autres apparitions encore actives dans l’archipel. L’entreprise tient de l’inventaire photographique et vise la multitude, mais échappe heureusement au catalogage ethnologique grâce à une subtile mise en scène en décor naturel. Évitant soigneusement toute représentation du visage réel, choisissant des cadrages et des angles non-frontaux, Charles Fréger enrichit les capacités d’inventorisation du médium photographique. Placés dans des paysages saisonniers, mais détemporalisés du contexte contemporain, les YÔKAÏ de Fréger s’échappent d’une simple vision folklorique et acquièrent force de réel. Un parcours et des éléments didactiques ont été judicieusement développés en direction des enfants.

Le projet Phenomena, réalités extraterrestes, mené par trois photographes danois, s’attache à documenter les phénomènes de croyance en l’existence des extraterrestres et en leurs venues régulières sur terre. Ici, le nombre et les dimensions des pièces utilisées, des photographies exposées, font comprendre l’ampleur du mouvement aux Etats-Unis. On imagine une longue enquête dans les milieux concernés, ainsi qu’une somme considérable de documentations accumulées sur le sujet. On présume qu’elle aurait permis la réalisation d’un documentaire élaboré qui manque un peu à la compréhension de l’exposition. Dans la mise en forme des images, plus que les effets de voile et de chromie, ce sont avec les jeux d’ouvertures (en enfilade d’une pièce à l’autre ou en contrefort vers l’extérieur du mur pour accueillir des grands formats), que l’on éprouve un sentiment spatial perturbant, en léger décalage avec la réalité. Ici, l’ensemble de la mise en scène renforce un autre pouvoir de la photographie, celui d’inoculer le doute. Et si ils existaient... Sans être pleinement montré, le monstre, ici, existe déjà.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

Du cinéma au folklore japonais en passant par les extraterrestres aperçus à Roswell, les monstres sont les représentations de nos peurs.



Monstres, faites-moi peur ! Un regard oblique sur les monstres au cinéma
à la grande Halle

Commissaires de l'exposition : Marc Atallah et Frédéric Jaccaud.


Les fictions générées par les cultures alternatives comme la science-fiction, le fantastique ou l’utopie alimentent d’étonnants réservoirs d’images. La mémoire contemporaine s’y plonge sans a priori pour mettre à jour ses peurs et fantasmes. Ainsi le cinéma de genres – plus communément de mauvais genres – abonde en œuvres excentriques qui engendrent certains mythes de la modernité. Géants, vampires, mort-vivants, extra-terrestres, créatures mythologiques, êtres anormaux et difformes, ces personnages décadents évoluent tant bien que mal aux côtés des humains. L’exposition Monstres, faites-moi peur ! confronte notre regard à l’idée de la norme. Évitant le procédé clinique d’un savant bestiaire, elle se fonde non pas sur la démonstration mais sur la monstration. Monstres, faites-moi peur ! propose une approche qui ne se limite pas à la contemplation de l’anormalité ; elle invite à parcourir les marges de ce qui tend à nous rendre plus ou moins humain.
Marc Atallah et Frédéric Jaccaud




Charles Fréger Yokainoshima
à l’église des trinitaires


En 2013, son tour d’Europe des mascarades hivernales (Wilder Mann) tout juste achevé, Charles Fréger entreprend une campagne photographique explorant les figures masquées rituelles du Japon. S’il connaissait déjà le pays, il ignorait tout de son monde rural. C’est là le sujet de Yokainoshima : par l’inventaire de ces figures masquées, peindre le visage des campagnes japonaises. Yokai, oni, tengu et kappa, que l’on pourrait définir comme spectres, monstres, ogres et farfadets, sont autant d’incarnations de ces figures rituelles imaginées par l’homme pour tenter d’apprivoiser les éléments et de donner sens aux événements naturels. Cette série photographique présente au regard et à la connaissance une variété de formes existantes sur le territoire japonais. Pourtant, Charles Fréger ne recherche pas plus le réalisme des situations qu’il ne vise à l’exhaustivité. Yokainoshima (l’île aux Yôkai) prend place sur la cartographie personnelle de Charles Fréger, celle qu’il continue de tracer série après série, faite de contrées habitées d’une humanité aussi terrienne que fantasque.
Raphaëlle Stopin

Publication : Yokainoshima, éditions Actes Sud, 2016.
Fermeture de l'exposition le 28 août.




Sara Galbiati, Peter Helles Eriksen et Tobias SelnÆs Markussen
Phenomena, réalités extraterrestres
au Ground control


Quelle est la nature du phénomène ovni ? A-t-on affaire à une histoire commercialement rentable, à une illusion et à ses conséquences sociales, à un mythe religieux ou encore à un phénomène physique ? À travers un voyage en forme d’enquête dans les États du Nevada, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona, Tobias Selnæs Markussen, Sara Galbiati et Peter Helles Eriksen documentent cette religion alternative et examinent le besoin de croyance des humains. L’exposition tente d’interpréter la quête éternelle de substance de l’homme moderne et sa terreur face à l’absence de sens.

Publication : Phenomena, André Frère Éditions, 2016.