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“Herb Ritts” En pleine lumière
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 7 septembre au 30 octobre 2016



www.mep-fr.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 6 septembre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Herb Ritts, Stephanie, Cindy, Christy, Tatjana, Naomi, Hollywood, 1989. © Herb Ritts Foundation.
2/  Couverture En pleine lumière de Herb Ritts aux éditions Contrasto.
3/  Herb Ritts, Waterfall IV, Hollywood, 1988. © Herb Ritts Foundation.

 


1956_Herb-Ritts audio
Interview de Alessandra Mauro, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 6 septembre 2016, durée 9'13". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire d’exposition : Alessandra Mauro



Les images d’Herb Ritts sont un miracle de légèreté et d’harmonie, la représentation d’un équilibre rare, impossible à tenir, mais qui s’imprime pour toujours sur le papier photo et passe par le dosage attentif des éléments naturels, l’exaltation du corps, l’évidence de la lumière sur les visages. En parcourant les unes après les autres les photos de Ritts, nous voyons le monde non pas tel qu’il se manifeste, mais tel que nous le voudrions, n’offrant que des journées parfaites, des ciels bleus, des corps lisses et des visages insouciants. On retrouve dans toutes ses photographies les éléments naturels dont se nourrissait son regard — le vent, la lumière et la terre de Californie, l’horizon à perte de vue, les espaces immenses — ainsi que les corps des modèles masculins et féminins, leurs regards, leurs vêtements. Le résultat est une combinaison rare et précieuse de ces ingrédients et son oeuvre photographique un ensemble mesuré de spontanéité et de composition, de glamour et d’immédiateté, de poses sophistiquées et d’amusement pur.

Herb Ritts est né sous le soleil du sud de la Californie, au sein d’une famille aisée de commerçants, dans le quartier hollywoodien de Brantwood. Son père possède une entreprise de meubles de jardin et pendant une courte période, Herb l’aidera dans son activité. Enfance et adolescence se déroulent paisiblement, entre grandes demeures californiennes, voisins célèbres comme Steve McQueen et études sans problème d’abord à Los Angeles, puis au prestigieux Bard College, sur la East Coast. Dans un entretien des années quatre-vingt-dix avec The Bardian, la revue de Bard, Ritts rappelle comment et pourquoi la photographie est entrée dans sa vie : « Après mon bac, j’ai travaillé un certain temps dans l’entreprise familiale, puis, un appareil photo m’est littéralement tombé sous la main et j’ai commencé à photographier mes amis […]. Puis, de fil en aiguille, c’est devenu un travail ».

Il apparut que la photographie pouvait dépasser le stade de la curiosité, de l’occasion de faire des portraits d’amis en voyage ou en vacances, pour devenir un métier, quand Newsweek publia un de ses clichés. On était en 1978, Ritts avait accédé de façon privilégiée, par relation d’amitié, au plateau de tournage du Champion de Franco Zeffirelli et un portrait de John Voight et du petit Ricky Schroeder avait paru dans la revue américaine. Un peu plus tard, son ami Matt Collins, mannequin célèbre d’une grande beauté, l’introduisit auprès de Bruce Weber qui, à son tour, le présenta à Charles Hix, expert de mode masculine. Dans le livre sorti peu après, Dressing Right : a Guide for Man, quarante photos en noir et blanc sont de Ritts.

D’autres apparitions sporadiques mais fulgurantes suivront. Par exemple en octobre 1978, Vogue publiera un portrait de Richard Gere, jeune comédien au corps sinueux, que son vieil ami Herb photographie dans un garage pendant une pause forcée de leur voyage à travers le désert de Californie. Ce portrait fera leur fortune à tous deux, l’acteur et le photographe, consacrant ce dernier comme portraitiste de premier ordre. Très vite, Ritts s’affirme comme photographe de mode, même s’il ne vit pas à New York, Mecque et patrie au moins adoptive de la grande photographie de mode, la ville d’Avedon et de Penn. Ses clichés rempliront les revues des années quatre-vingts. Il signera de nombreuses campagnes publicitaires et fera le portrait des stars hollywoodiennes, naissantes ou confirmées, devenant une référence incontournable pour la photographie et le style entre années quatre-vingts et quatre-vingt-dix.

Cultivé et sensible, passionné d’art, Ritts connaît l’histoire de la photographie. On a rapproché à plusieurs reprises ses images sensuelles de l’univers d’Edward Weston, autre artiste californien qui célébrait la perfection et le mystère profond de la nature dans une série d’oeuvres à la fois précises et métaphoriques. Les coquillages déposés par la mer, les dunes de sable, le corps humain nu, sur lequel glisse la lumière du soleil : autant d’éléments que Ritts utilise et redéfinit. Il étudie aussi les compositions classiques et invente de nouvelles plasticités dans le dialogue entre les corps et l’air. Fasciné par la rigueur formelle des auteurs du passé — les grands photographes de mode allemands, Horst P. Horst, George Hoyningen-Huene, Herbert List —, il essaie de comprendre le jeu des lumières et des volumes, l’atmosphère raréfiée et surréelle de leurs images. Les clichés d’Herb Ritts célèbreront toujours la splendeur des corps cadrés dans la lumière de midi, où naissent des reflets classiques, monumentaux.

Ritts ne se contente pas de statues vivantes, formes parfaites du corps humain, il aime évoquer aussi la matérialité de ce qu’il photographie. Il cherche comment rendre sur le papier la tonalité sérieuse d’un tissu, conserver l’aura de plaisir qui entoure un vêtement de haute couture, mettre en relation l’air dense d’une journée de soleil et de vent avec le sable du désert et la peau d’un modèle. Il met l’accent sur la consistance tactile des matériaux, exalte la peau humaine dans son contact avec l’eau, les grains de sable, le voile du vêtement qui la couvre ou de la boue qui la contraint comme dans une cage. Pour chaque image, le photographe crée un nouveau réseau de tensions et nous observons, au fil des images, comment un corps réagit à l’eau qui le frappe, au vent qui le caresse, au soleil qui le brûle, selon un hasard plastique de la vision où, entre pureté des formes et allégresse ambiante, il semble que tout peut arriver.

Dans ses portraits, il semble réussir à se laisser porter par des forces intérieures que ses modèles n’expriment que devant son objectif. Là encore, il étudie le sujet qu’il a devant lui, puis joue avec lui de façon à la fois légère et décidée, renversant rôle public et vie privée, bousculant les stéréotypes ou revisitant les mythes cinématographiques. De même que son travail sur les corps statuaires, les portraits de Ritts semblent inimitables, le produit à chaque fois d’une entente profonde, d’une affinité intellectuelle, souvent d’une relation d’amitié.

Madonna s’en remit à lui pour la construction de son image multiforme et pour la photo de la pochette de True Blue, son premier album à succès. De même, Liz Taylor confia à son objectif toute la fragilité de son corps : sa tête blanche, presque toute rasée après son opération pour une tumeur au cerveau, remplit sans complexe le rectangle du cadre, se détachant avec élégance sur un fond noir. Ou encore, le regard fixe de William Burroughs derrière ses lunettes à aimants, la joue de Dizzy Gillespie qui se gonfle sur un fond blanc. Les portraits de Ritts ne suivent pas de norme ni de formule toute prête. Chaque fois le photographe se livre à une création originale et simple, sur mesure, parfaite.

Les oeuvres d’Herb Ritts répondent presque toujours à une commande. Il s’agit de photos commerciales, au sens le plus noble du terme. Comme tout travailleur consciencieux, comme tout artisan émérite, Ritts imagine pour chaque projet une solution formelle qui soit à la fois heureuse et unique, originale et fraîche. « Si on regarde dans le passé, les Paul Outerbridge et les Man Ray, a-t-il rappelé à cet égard, beaucoup de leurs meilleures oeuvres sont commerciales à l’origine. Les photos d’Outerbridge, qui se vendent aujourd’hui un prix fou, à l’époque avaient été réalisées sur commande. »

Aimer la photographie, l’observer, l’étudier : Herb Ritts a été aussi un grand collectionneur qui professait un goût précis et sûr pour les grands maîtres européens — Kertesz, Umbo, les avant-gardes du début du vingtième siècle et la photographie de mode allemande —, les Américains — Weston bien sûr et Paul Strand, Edward Curtis, Berenice Abott, Diane Arbus, Mike Disfarmer, Dorothea Lange, Edward Steichen — et ses contemporains, depuis son ami et mentor Helmut Newton jusqu’à Peter Beard, en passant par Richard Avedon, Robert Mapplethorpe, Duane Michaels. Une galerie d’auteurs où nous retrouvons aujourd’hui la source d’inspiration de nombreuses photos de Ritts ainsi que ses sujets les plus chers comme l’étude du corps, le soin du détail, l’objet détourné de dérivation surréaliste, l’expérimentation en matière de composition, les jeux de lumière, le rendu de l’atmosphère.

On peut assurément dire qu’Herb Ritts a changé la façon de considérer la photographie commerciale par rapport à la photographie artistique ou en tout cas à vocation de recherche. Et pas seulement parce qu’il a introduit dans chacun de ses clichés une sensibilité tangible, un jeu intense et prenant, mais aussi parce qu’il a mené son travail avec une conscience profonde de la complexité du geste photographique, de sa valeur, de son sens et de son histoire.


Un livre publié aux éditions Contrasto, accompagne l’exposition.