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“Patrick Bernier & Olive Martin” Je suis du bord
à la Maison d'Art Bernard Anthonioz, Jeu de Paume Hors les Murs, Nogent-sur-Marne

du 8 septembre au 23 octobre 2016



www.jeudepaume.org

maba.fnagp.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 7 septembre 2016.

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Patrick Bernier & Olive Martin, Je suis du bord / I Belong to the Ship, 2016. Installation vidéo multi-écrans, couleur, son. Durée totale : 65 min. Coproduite par le Jeu de Paume, Paris, la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques, le CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux. © Patrick Bernier et Olive Martin, 2016.

 


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Interview de Patrick Bernier et Olive Martin,
par Anne-Frédérique Fer, à Nogent-sur-Marne, le 7 septembre 2016, durée 13'04". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire de l’exposition : Heidi Ballet



Depuis 1999, Patrick Bernier et Olive Martin travaillent ensemble et expérimentent différentes formes - film, vidéo, performance, photographie, production sonore - au gré de projets souvent réalisés en collaboration avec des professionnels d’autres champs - avocats, conteurs, vendeurs aux enchères.

Ils créent ainsi des « monstres », oeuvres où se perçoivent au travers d’imprécisions, d’hésitations, de surprises, les efforts consentis par les uns et les autres pour bousculer leurs propres langue et forme. Ce questionnement de la relation de l’individu à un territoire qui lui serait propre, terre, pays ou activité professionnelle, est également au centre de leurs deux films, Manmuswak (2005) et La Nouvelle Kahnawake (2010). En 2012, ils créent L’Échiqueté, variante du jeu d’échecs, où peuvent se lire la situation paradoxale du métis dans l’histoire coloniale comme celle, ambiguë de l’artiste politiquement engagé dans le champ de l’art contemporain.

Dans leur installation vidéo, Patrick Bernier et Olive Martin proposent au visiteur deux expériences d’immersion. La première est une plongée méditative au sein du Mémorial de l’abolition de l’esclavage à Nantes, lieu de mémoire cher aux artistes, conçu comme la cale d’un navire immobilisé à fleur de Loire. Dans la seconde, le spectateur assiste à la dérive de croisiéristes européens servis par l’équipage international d’un paquebot en Méditerranée. La vie à bord défile au rythme d’une musique grave, annonciatrice d’on ne sait quelle douce et inéluctable destination.

Au fil de ces navigations dans les espaces contigus et perméables de la Maison d’Art Bernard Anthonioz, les artistes nous confrontent à de tenaces antagonismes et aux échos contemporains de l’histoire coloniale.

L’exposition Je suis du bord de Patrick Bernier & Olive Martin est la 3ème proposition de la programmation Satellite 9 « Notre océan, votre horizon » du Jeu de Paume.




Extrait de l'entretien de Heidi Ballet avec Patrick Bernier & Olive Martin

HB
« Dans nombre de vos oeuvres, vous traitez avec subtilité de l’histoire coloniale et de la migration en montrant la complexité des questions de responsabilité. [...] Avec le cycle d’expositions « Notre océan, votre horizon », l’un des points que je souhaitais aborder était l’histoire maritime de la France, non seulement parce que cette histoire relie Paris et Bordeaux –  des villes où ce cycle est présenté, dans le cadre de la programmation Satellite –, mais aussi parce qu’il m’intéressait de savoir quel rôle joue cette histoire dans ce pays aujourd’hui. Votre pratique artistique, associée au fait que vous vivez à Nantes, rendait notre collaboration très pertinente. Comment en êtes-vous arrivés au sujet du nouveau travail que vous avez réalisé à cette occasion ?

PB&OM Quand tu nous as invités à participer à la programmation Satellite, nous avons immédiatement pensé à un film que nous n’avions jamais finalisé, La Croisière des échecs, tourné à bord du paquebot MSC Opéra. Puis, en dialoguant avec toi, il nous est assez vite apparu qu’il y manquait un contrepoint qui l’inscrive pleinement dans ta proposition. L’actualité était marquée par l’annonce pratiquement quotidienne de nouveaux naufrages de réfugiés en Méditerranée. Nous avions besoin de parler de cette situation, mais aussi de nous en décoller. Comment l’évoquer avec distance ? Nous avons alors repensé à un projet resté à l’état d’intention, où nous souhaitions rapprocher le mémorial de l’Abolition de l’esclavage de deux récits mettant en scène des personnages antillais d’ascendance africaine dans des traversées maritimes bien postérieures à celles de la traite mais hantées par cellesci. Dans Le Nègre du « Narcisse » de Joseph Conrad, James Wait est engagé à bord d’un voilier de la marine marchande ; dans Tout-monde d’Édouard Glissant, Raphaël Targin est passager de dernière classe sur le paquebot Colombie reliant Fort-de-France au Havre en 1946.

HB Le titre sous lequel vous réunissez ces deux vidéos est tiré d’un dialogue du Nègre du « Narcisse » de Joseph Conrad. Pourquoi avoir choisi ce titre ?

PB&OM « Je suis du bord », c’est la réponse de James Wait qui vient d’embarquer et de décliner son nom au capitaine du navire qui lui demande ce qu’il fait là. « Je fais partie de l’équipage », « J’ai ma place sur ce navire » sont d’autres traductions possibles de la version originale : « I belong to the ship. » Nous entendons cette affirmation comme un écho des actes consignés dans les registres d’individualité aux Antilles par lesquels les nouveaux citoyens, à la suite de l’abolition de l’esclavage, choisissaient un nom et un prénom au lieu de leur numéro d’esclave. Rapporté à La Croisière des échecs ce titre indique que nous ne sommes pas différents de ceux que nous filmons. Nous faisons partie de cette population européenne de classe moyenne à laquelle les offres promotionnelles des compagnies de bateaux de croisière permettent de naviguer, insouciants, sur cette mer où d’autres meurent en nombre en tentant de rejoindre nos pays dans des embarcations de fortune.

HB Vivant à Nantes, vous avez vu de près comment la ville a reconnu les pans sombres de son histoire en construisant le mémorial de l’Abolition de l’esclavage, un monument tout à fait unique en son genre, qui figure aussi dans votre vidéo. Comment cette histoire a-t-elle été traduite dans le mémorial par ses créateurs et sous quel angle avez-vous souhaité aborder ce lieu dans votre travail ?

PB&OM Le mémorial a été conçu par l’artiste Krzysztof Wodiczko et l’architecte Julian Bonder, en étroite collaboration avec des associations locales, sur deux niveaux. L’un, situé de plain-pied avec la rue, se présente comme une promenade et une esplanade dont le sol est constellé de petites stèles de verre gravées chacune du nom d’un navire négrier parti de Nantes, d’une escale ou d’une destination de traite. Le second niveau, où nous tournons principalement, est une travée souterraine à laquelle on accède depuis l’esplanade et où l’on chemine entre, d’un côté, la Loire qui affleure et, de l’autre, de grandes plaques de verre sur lesquelles sont inscrites des citations témoignant des luttes menées contre l’esclavage et pour son abolition. Ces textes sont peu présents dans notre vidéo, sinon en fond de plan, centrés sur des personnes qui les lisent. Notre but n’était pas de faire une visite du mémorial, mais d’y embarquer. Nous voulions tester le parti pris de son architecture, cette analogie avec la cale d’un navire. Nous sommes montés à bord du mémorial pour y observer ses passagers, vivants et morts, comme nous avons filmé à bord du MSC Opéra. Ces séquences filmées ne sont ni une critique, ni un commentaire du mémorial, elles en sont un usage, elles tentent de l’expérimenter, de se l’approprier en tant que citoyen nantais, en tant qu’artiste, en tant que descendant d’esclave, en tant que descendant d’esclavagiste. De partager la manière dont nous travaillons ce dont il est le mémorial.

Au-delà de cette association formelle, notre juxtaposition met en évidence un autre point commun, inattendu et grinçant, entre ce lieu et le paquebot de croisière, c’est sa dimension touristique. Le mémorial est une étape inscrite dans le Voyage à Nantes, entreprise culturelle ayant pour but le développement touristique de la ville. Ainsi, dans un même mouvement, Nantes reconnaît la part atroce de son passé et capitalise dessus. C’est dérangeant, mais nous devons convenir que cette inscription offre au site d’être fréquenté et vivant, et le fait échapper à l’écueil mortifère dans lequel il pourrait facilement sombrer. [...] »