contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Attica, USA 1971” Images et sons d'une révolte
au centre d'art Le Point du Jour, Cherbourg-Octeville

du 11 septembre au 4 décembre 2016



www.lepointdujour.eu

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 9 septembre 2016.

1963_Attica1963_Attica1963_Attica

Légendes de gauche à droite :
1/  Martha Rosler, Red Stripe Kitchen, extrait de la série « House Beautiful: Bringing the War Home », 1967-1972. Courtesy : Martha Rosler et Galerie Nagel Draxler, Berlin / Cologne.
2/  Gene Becker, Enquête sur Attica, 28 mars 1974. Collection Liz Fink, New York.
3/  Bob Schutz, prison d’Attica, 10 septembre 1971. © Associated Press.

 


1963_Attica audio
Interview de David Benassayag, co-directeur du centre d'art Le Point du Jour,
par Anne-Frédérique Fer, à Cherbourg-Octeville, le 9 septembre 2016, durée 13'42". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire associé :
Philippe Artières, historien, directeur de recherches au CNRS / EHESS




Introduction

Au tournant des années 1960-70, l’opposition à la guerre du Vietnam, au racisme et à l’injustice sociale se radicalise aux États-Unis, avec le soutien de nombreux artistes et musiciens.

Le 9 septembre 1971, une révolte éclate à la prison d’Attica dans l’État de New York. Immédiatement, les détenus en majorité noirs expriment leurs revendications, en faisant entrer journalistes, photographes, cameramen et différentes personnalités qui participent aux négociations. Pour la première fois, une mutinerie est ainsi suivie de l’intérieur.

Quatre jours plus tard, la répression, extrêmement brutale, provoque plus de quarante morts et des centaines de blessés. L’événement a un écho immense, entraînant mobilisations, enquêtes et procès. Attica devient un symbole, toujours d’actualité, de la lutte pour le droit des prisonniers et des minorités, contre la violence policière et le mensonge d’État. C’est cette histoire, à la fois artistique et politique, que met en lumière l’exposition.




L’Amérique sous tension

Le début des années 1970 marque l’apogée des tensions apparues aux États-Unis durant la décennie précédente. Les luttes pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam participent désormais d’un mouvement de contestation globale. L’élection à la présidence de Richard Nixon, entré en fonction début 1969, illustre la fracture qui traverse la société étasunienne.

Pour les opposants les plus radicaux, il ne s’agit plus seulement de se battre pour la paix au Vietnam mais de « ramener la guerre à la maison ».

S’inspirant de ce slogan à l’époque célèbre, Martha Rosler réalise « House Beautiful: Bringing the War Home » (1967-1972), une série de photomontages où des GI’s envahissent des intérieurs de la classe moyenne blanche. Des artistes tels que Robert Rauschenberg ou Jasper Johns produisent des affiches dénonçant la guerre.

Nombre de musiciens s’engagent également : en 1969, au festival de Woodstock, Country Joe McDonald encourage, avec une ironie rageuse, chacun à aller mourir au Vietnam ; en 1970, Crosby, Still, Nash & Young rendent hommage dans Ohio (1970) aux étudiants tués par la police lors d’une manifestation à l’université de Kent tandis que Jimi Hendrix traduit dans Machine Gun (1970) la violence de la guerre comme la révolte grandissante qu’elle suscite parmi une grande partie de la jeunesse et de la communauté noire.

C’est alors une véritable guerre qui se déroule entre le Black Panther Party et le pouvoir en place. Emory Douglas, « ministre de la Culture » du parti, réalise des dizaines d’affiches appelant à l’autodéfense contre les policiers surnommés les « pigs ». Dans The Vanguard (1970), « un essai photographique sur le Black Panther Party », Ruth Marion Baruch et Pirkle Jones documentent les actions d’entraide dans les quartiers noirs et les manifestations de soutien aux dirigeants arrêtés. Les chansons militantes font écho à la tradition des prison songs, issues des chants d’esclaves. Danny Lyon, dans A Conversation with the Dead (1971), montre les détenus noirs du Sud toujours contraints de travailler dans les plantations.



Du soulèvement à la répression, 9-13 septembre 1971

Au lendemain de l’assassinat de George Jackson, la protestation des détenus d’Attica est un des signes annonciateurs de la révolte.

Le 9 septembre 1971, quelque mille trois cents d’entre eux se mutinent. Ils prennent en otage cinquante gardiens et se rassemblent dans l’une des cours de promenade. À leur demande, des journalistes, des photographes et des cameramen sont autorisés à entrer dans la prison. C’est quasiment en direct sur radios et télévisions que les représentants des mutins prennent la parole. Les revendications sont précises. Elles concernent aussi bien les conditions de détention (amélioration de la nourriture, plus d’une douche par semaine et d’un rouleau de papier hygiénique par mois...) que le droit à l’éducation, à la santé et à l’expression politique. Il ne s’agit pas d’une « émeute raciale » mais bien d’une lutte globale dans laquelle la prison est un miroir de la société.

Pendant trois jours, un groupe d’ « observateurs » extérieurs, désignés par les mutins, va mener les négociations. Plusieurs, dont Tom Wicker du New York Times, livreront par la suite leur témoignage. Le 13 septembre, Nelson Rockefeller, gouverneur de l’État de New York, décide finalement de donner l’assaut. Conduit comme une opération de guerre, celui-ci occasionne la mort de 31 détenus et 11 gardiens ainsi que 200 blessés.

Bob Schutz d’Associated Press est l’auteur de l’image qui symbolisera Attica : des détenus tendent ensemble le poing face à l’objectif, rappelant le geste des athlètes noirs sur le podium des Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Associated Press diffuse nombre d’autres photographies qui illustreront, après la reprise de la prison, les dossiers spéciaux publiés par Newsweek, Time ou Life. Ce magazine dépêche également sur place John Shearer ; son reportage montre les forces de l’ordre et les négociateurs à l’extérieur de la prison, puis la cour dévastée au terme de l’assaut.

De l’attaque elle-même, peu d’images sont disponibles, les autorités ayant tenu à distance la presse. Le dossier photographique constitué par l’avocate Liz Fink, qui défendit pendant des années les mutins, rend compte de la brutalité de la répression. Outre des clichés de presse, des photographies judiciaires montrent notamment les cadavres de prisonniers. Pour certaines très crues, elles sont présentées ici dans une pièce distincte, en forme de mémorial pour les morts d’Attica.

Le film Attica (1974) de Cinda Firestone, dont Ernest Pignon-Ernest réalise l’affiche, rassemble des témoignages ainsi des images de la mutinerie et de la reprise de la prison. Ce documentaire engagé s’inscrit dans le combat pour la reconnaissance des victimes qui se poursuit tout au long des années 1970.



Échos d’Attica

Largement médiatisée, la révolte d’Attica révèle au monde l’inhumanité des conditions de détention et la violence du racisme en Amérique. La lutte des prisonniers noirs trouve une résonance particulière en France. Cofondé par Michel Foucault, le Groupe d’information sur les prisons consacre en 1971 un numéro de la série « Intolérable », résultat d’enquêtes en détention, à l’assassinat de George Jackson. Jean Genet en écrit la préface après celle, quelques mois plus tôt, de Frères de Soledad, recueil de textes du militant Black Panther incarcéré.

Aux États-Unis, Attica donne lieu à une série d’investigations et de procès. Dès 1972, la commission McKay, réunissant juristes et personnalités indépendantes, mène une enquête approfondie sur les circonstances de la mutinerie. Elle fait notamment appel au photographe Cornell Capa qui réalise un reportage à Attica et témoigne lors des auditions publiques organisées par la Commission. En 1974, vraisemblablement dans le cadre d’une procédure judiciaire, un certain Gene Becker photographie, lui, différents espaces vides de la prison avec une neutralité clinique.

Composé d’avocats et de militants, l’Attica Brothers Legal Defense assure la défense des mutins et engage bientôt des poursuites contre l’État de New York. Des artistes relaient leur combat. Dans The United States of Attica (1972), Faith Ringgold note sur une carte des États-Unis les crimes de l’histoire américaine. Frank Stella, lui, produit une sérigraphie pour le Attica Defense Fund (1975).

Durant la seule année 1972, différents musiciens dénoncent le massacre. Yoko Ono et John Lennon composent Attica State tandis que le chanteur folk Tom Paxton décrit dans The Hostage, l’angoisse d’un gardien abattu lors de l’assaut. À l’autre bout du spectre musical, Frederic Rzewski improvise, avec d’autres instrumentistes minimalistes, deux pièces à partir de paroles des mutins. Enfin, Archie Sheep publie l’album Attica Blues, au croisement du jazz, de la funk et de la soul. La même année, Mohammed Ali lit lors d’une émission de télévision un poème en hommage aux prisonniers assassinés. La révolte devient un cri de ralliement : « Attica ! Attica ! », scande Al Pacino, applaudi par la foule, dans Un après-midi de chien (1975) de Sydney Lumet.

Trente ans plus tard, la mémoire d’Attica demeure présente dans l’art contemporain comme dans la culture populaire. La série télévisée Oz (1998-2004), qui se déroule dans une prison de haute sécurité, fait directement référence à la révolte. Dans l’installation Attica (2008), l’artiste Manon De Boer remet en scène l’enregistrement d’une des pièces de Frederic Rzewski.

Sur le plan politique, le nombre de noirs tués ces derniers mois par la police et leur taux d’incarcération aux États-Unis démontrent que les problèmes soulevés à Attica sont loin d’être résolus. Bien que proprement américaine, cette histoire tragique engage aussi à porter plus d’attention aux conditions de détention comme aux discriminations qui existent aujourd’hui en France.



L’exposition

L’exposition rassemble quelque deux cents pièces (photographies, oeuvres graphiques, morceaux de musique, extraits de films et publications).

Artistes et photographes : Rudolf Baranik, Ruth Marion Baruch et Pirkle Jones, Gene Becker, Manon de Boer, Cornell Capa, Emory Douglas, Leon Golub, Jasper Johns, Danny Lyon, Robert Morris, Ernest Pignon-Ernest, Robert Rauschenberg, Faith Ringgold, Martha Rosler, Bob Schutz, Stephen Shames, Frank Stella, John Shearer.

Musiciens : Crosby, Still, Nash & Young, Bob Dylan, Jimi Hendrix, John Lennon et Yoko Ono, Country Joe McDonald, Charlie Mingus, Frederic Rzewski, Archie Sheep, Tom Paxton.

Les oeuvres de Rudolf Baranik, Cornell Capa, Leon Golub, Jasper Johns, Danny Lyon, Robert Morris, Robert Rauschenberg, Faith Ringgold et Frank Stella appartiennent aux collections de l’International Center of Photography (New York).


L’exposition est coproduite avec le Ryerson Image Centre (Toronto).