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“Josep Grau-Garriga” Tapisseries : 1970-2011
à la Galerie Nathalie Obadia - Cloître Saint-Merri, Paris

du 10 septembre au 29 octobre 2016



www.galerie-obadia.com

 

© Anne-Frédérique Fer, ouverture des expositions, le 10 septembre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Josep Grau-Garriga, A un music Barroc, 2006. Laine, coton. 150 x 120 cm (59 x 47 1/4 in.). © Courtesy de l'artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
2/  Josep Grau-Garriga, Aixecats com símbol (Soulevés comme symbole), 1974. Coton, jute et sac en jute. 140 x 165 cm (55 1/8 x 65 in.). © Courtesy de l'artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
3/  Josep Grau-Garriga, Sans titre, années 2000. Laine, coton. 175 x 160 cm (68 7/8 x 63 in.). © Courtesy de l'artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Les sculptures textiles de Josep Grau-Garriga trouvent leurs racines dans la tapisserie et s'en extraient pour entrer dans le champ plastique de la peinture. Les fils de couleurs tissés, tressés, se confrontent ou se mélangent comme des pigments pour former de nouvelles teintes. Ses tableaux sont des corps, des paysages, des évènements historiques. Ces univers patiemment construits se défont presque aussitôt comme mus par des forces invisibles, brouillant les pistes. Les longues franges qui pendent sont notre seul repère : la force de la gravitation qui leur donne une direction replace la tapisserie dans le cadre du réel, nous donnant un sens de lecture auquel nous rattacher.

Ces tapisseries sont une immersion sensorielle complète, que l'on appréhende avec tous nos sens. Au-delà de la couleur, de la texture, la matière absorbe le son, changeant l'ambiance de la galerie ; puis l'odeur de la laine, du fil, du cuir, des sacs de jute ajoute encore une dimension supplémentaire, organique et vivante, forçant une intimité, nous obligeant à assumer notre rencontre avec l'œuvre.

La couleur est terrienne, ocres de terre odorante se délavant jusqu'au sable clair ou bleus profonds de ciels nocturnes. L'animal, l'humain en émergent en rouges sanglants, en masses liquides qui se coagulent ou bien en pulsations légères et fluides.

Le tissage, de fin et régulier, s'épaissit, lutte contre des forces contradictoires pour garder sa structure de verticales et d'horizontales, mais cède peu à peu, laissant apparaitre des boursouflures, intégrant chutes de tissus, rubans, cordes voire bobines de fil. L'épaisse peau-fourrure se convulse en contractions et s'ouvre en fentes allongées et verticales comme un sexe féminin, donnant naissance à un corps nouveau. Cette genèse se fait dans la confrontation. Ce qui émerge des profondeurs de la terre, des entrailles du vivant, n'a pas été invité. Sa couleur est vive, complémentaire, s'imposant par un contraste brutal, une forme rigide, pointue. Mais l'étranger sait se faire familier, la tentacule devient mamelle nourricière, lumière solaire qui réchauffe, couleur tendre qui apaise un instant.

Ce tissu vivant se déchire, saigne et cicatrise, résonne de l'écho des secousses de l'histoire. La nuit tombe sur les peuples, les ensevelissant dans les ténèbres. L'aube nouvelle éclaire les montagnes de la promesse d'un avenir meilleur. Mais toujours, les vestiges de guerres et d'oppressions rappellent la potentialité de répétition de l'histoire. Une chemise salie comme juste exhumée des décombres est cousue sur un tapis, les bras en croix dans la posture du martyr fusillé de Goya. A peine sorti de sa matrice de glaise, le témoignage de l'horreur semble s'y replonger, incapable de s'extraire de cette matière organique. Cette terre, celle avec laquelle la divinité a façonné l'homme, est sale, elle contient notre haine, notre violence, le sang des coupables comme celui des innocents. Cette part sombre capable du pire est un de ces fils qui, tissés ensembles, nous compose.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Josep Grau-Garriga, artiste catalan, est disparu en 2011. Son oeuvre, dont l’importance et la singularité ont été rappelées lors de l’exposition collective « Decorum » au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 2013, n’avait pas été présentée en France à l’occasion d’une exposition personnelle depuis 2010.

À visée rétrospective, cette première exposition de Josep Grau-Garriga à la Galerie du Cloître Saint-Merri, propose un ensemble remarquable de dix-huit tapisseries retraçant, de 1970 à 2011, l’évolution de ce pionnier de la Tapisserie contemporaine, des oeuvres les plus tourmentées et politiques des années 1970 aux tapisseries sereines et atemporelles des années 2000.

« La tapisserie est le complément logique de l’architecture » indique Josep Grau-Garriga dès les années 1970, décennie décisive au cours de laquelle l’artiste pousse le genre dans ses retranchements. « Je ne me satisfais pas du seul langage des formes et des couleurs. Je désire la suggestive sensualité des reliefs tissés dans la trame irrégulière, ou au contraire exaltés par les rythmes rigoureux des fils de chaînes »1.

Né en 1929 à Sant Cugat del Vallès, près de Barcelone, Josep Grau-Garriga passe son enfance dans le milieu paysan. Petit-fils d’un coiffeur anarchiste, fils d’un paysan républicain, il assiste adolescent à la déroute des troupes républicaines et à la mise en place de la dictature franquiste - événements traumatiques qui marqueront l’oeuvre à venir. Commençant alors le dessin, il étudie à l’Ecole des Beaux-Arts de San Jordi avant de peindre ses premières fresques à l’Ermitage de Sant Crist de Llaceres dans la tradition de l’art mural médiéval catalan.

En 1957, à l’occasion d’un séjour à Paris, il fait la rencontre du maître licier Jean Lurcat auprès duquel il réalise ses premières tapisseries. À l’occasion de ce voyage, il découvre les principaux représentants de l’Art Informel : Fautrier, Dubuffet, Burri. Leur influence se retrouvera dans ses oeuvres textiles dont le caractère organique ne manquera pas de s’affirmer lors des décennies suivantes au travers de surfaces accidentées, présentant des protubérances volumineuses, tentacules ou racines. Ce sera le cas notamment de l’oeuvre de 1974 « …I la mort també (…. Et la mort aussi) » visible dans l’exposition.

Marqué par ce premier voyage en France - qui sera à partir de 1992 sa seconde patrie - Grau-Garriga reste un artiste à l’identité résolument catalane. À l’instar de ses compatriotes Gaudi, Miró, Tapiès, les tapisseries de Grau-Garriga reflètent son appartenance à la culture rurale, la matière, souvent « pauvre », y occupant une place essentielle aux côtés de références politiques rendues sensibles par la présence de détails symboliques, témoins des engagements citoyens de l’artiste : ainsi des oeuvres « Aixecats com simbol (Soulevés comme symbole, 1974) » et « Record de soldat (souvenir de soldat, 1977) » également présentées dans l’exposition. Travaillant sans carton, Josep Grau-Garriga abandonne rapidement la technique traditionnelle et revendique « une tapisserie de notre temps, rude et qui parle de notre histoire ».

Au fil des années, ayant acquis une maitrise virtuose dans l’art de la tapisserie, Grau-Garriga décide de renoncer définitivement à tout procédé de haute-lice et accomplit une véritable révolution du genre : « En lui s’est confirmé un projet dont il poursuivait peu à peu la réalisation, et qui consistait à démythifier la haute valeur traditionnellement accordée à l’art du tissage afin de faire de celui-ci un acte, non plus de soumission à des principes et des règles établis mais un acte de liberté créatrice et expressive »2 écrit Arnau Puig dans son ouvrage de référence sur l’artiste. Plutôt que de tisser, il manie les fibres comme un sculpteur. De plus en plus personnelles et complexes, ses tapisseries deviennent l’incarnation presque baroque d’états affectifs intimes devant lesquelles le spectateur ne peut rester insensible, telle la majestueuse et poignante, « Ferides I (Blessures I, 1970) », qui ouvre chronologiquement l’exposition.

Attiré par l’art brut mais aussi par le pop art, Grau-Garriga exploite ficelle, chanvre, jute, sisal, vieux sac, chutes de laines. À partir de 1972, l’artiste utilise même des vêtements, faisant entrer le monde réel dans la trame de ses tapisseries. Inclassables, celles-ci échappent, par la pratique jubilatoire du collage, aux paradigmes de la figuration et de l’abstraction. Elles déroutent le grand public par leur « expressionnisme bizarre » et séduisent les artistes et les intellectuels : Miró et Picasso se rendent à son atelier de Sant Cugat pour réaliser leurs oeuvres tissées.

Dans les années 1970 et 1980, devenues de véritables sculptures textiles, les tapisseries de Grau-Garriga attirent l’attention de Philippe de Montebello, jeune conservateur américain et futur grand directeur du Metropolitan Museum de New York, qui lui offre sa première grande rétrospective au Houston Fine Arts Museum (Texas) en 1970. Cette collaboration signe le début d’une carrière internationale qui mène l’artiste à réaliser de nombreux projets aux Etats-Unis, au Canada et en Amérique du Sud avec des expositions personnelles dans des institutions telles que le LACMA (Los Angeles) en 1974 et le Museo Rufino Tamayo de Mexico en 1987.

En 1992, suite à une commande de la ville d’Angers pour la commémoration du bicentenaire de la révolution française, Josep Grau-Garriga s’installe définitivement à Saint-Mathurin-sur-Loire inaugurant une décennie de création sensuelle et douce. Ces années sont celles d’un bonheur fécond : l’artiste y relit l’histoire de la peinture française, marquée, de Clouet à Bonnard et de Fragonard à Corot, par l’hommage rendu à une certaine qualité de lumière qu’il contemple sur les berges de la Loire.

Les tapisseries des années 1990 et 2000 reflètent cet apaisement angevin : déchargées de la dimension militante et subversive de l’époque catalane, ces oeuvres évoquent paysages naturels, étreintes voluptueuses et plaisirs ludiques.

D’une grande économie de moyen, « Amarra » (2006) est ainsi un ample monochrome dont le bleu profond est percé par un cordage épais restituant visuellement la sensation de bercement du bateau amarré. Également présentée dans l’exposition, « Sense títol » (années 2000), d’une composition plus sophistiquée, offre à la contemplation un autre type de monochrome à la blancheur nacrée, tout en superpositions de matières, tentative pour fixer le scintillement de la lumière dans le maillage chatoyant du tissu. D’une grande subtilité, ces oeuvres de la maturité conjuguent les valeurs visuelles et tactiles, laissent émerger un lyrisme discret mais confiant, contrepoint lumineux aux tapisseries saisissantes et pleine de drames des années espagnoles.


1 André Kuenzi, La Nouvelle Tapisserie, Éditions de Bonvent, Genève, 1974, p. 100
2 Grau-Garriga, Arnau Puig, Éditions Cercle d’art, monographie de 1986, p. 208


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Archives FranceFineArt.com :
retrouvez l’interview de Anne Dressen, commissaire de l'exposition “Decorum, Tapis et tapisseries d’artistes”
présentée au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris du 11 octobre 2013 au 9 février 2014

http://www.francefineart.com/index.php/agenda/14-agenda/agenda-news/1161-1115-mam-decorum




à voir également
Valérie Belin
à la Galerie Nathalie Obadia Bourg-Tibourg

du 10 septembre au 29 octobre 2016



All Star, première exposition de Valérie Belin à la galerie de Paris, après Still Life en 2014 à la galerie de Bruxelles.

Une nouvelle galerie de portraits de super-héroïnes photographiées dans un style évoquant la bande dessinée. La série comprend une collection de onze photographies en couleur intitulées Miss Marvel, The Stranger, Carol, The Avenger, All Star, After Thor, Super Girl, Confessions of the Lovelorn, Golden Girl, Power Girl et Black Canary.

L’artiste explore cette fois l’univers des comics – qu’elle utilise comme matériau graphique et expressif pour créer une « rencontre » avec des personnages qu’elle a elle-même fabriqués. La rencontre s’effectue par le biais d’une composition sophistiquée où le mouvement, les lignes, les motifs et les rapports d’échelle contribuent à la création de chocs visuels (on y voit par exemple des personnages dessinés de la taille d’une bouche ou d’un cou, ou bien des titres surdimensionnés qui traversent le personnage à des endroits précis comme le front et la gorge…). Le tout est accompagné de motifs décoratifs vectoriels trouvés sur Internet, comme dans la précédente série Super Models (2015).

Toile de fond numérique de ces photographies, les comics nous offrent un terrain narratif optimiste, gai, naïf, fantaisiste et plutôt jubilatoire. C’est un univers expressif, qui nous montre sans ambiguïté les relations entre les êtres, les actions et leur but ; c’est le monde de l’instant présent, vécu avec l’intensité dramatique et le suspense qui en sont les ingrédients. Ce microcosme qui tourne rond, facile à comprendre, vient s’imbriquer avec des personnages qui semblent absolument étrangers à ce tourbillon d’énergie spontané et enfantin.

Ces personnages sont des femmes à la beauté contemporaine. Elles sont coiffées et maquillées de manière naturelle, ainsi qu’élégamment vêtues de chemisiers aux motifs printaniers choisis par l’artiste, mais elles posent par contraste dans un style dépressif sous la lumière crue du studio parisien. Les couleurs, dénaturées par l’adjonction de noir et des irisations presque métalliques, s’écartent délibérément de la palette naturaliste et nous montrent des personnages dans leur dimension mentale ou psychique plutôt que physique. Venu de l’arrière-plan, le monde des comics s’immisce dans l’épaisseur des portraits, les traverse, les pénètre et fusionne avec eux. Cette forme particulière d’incrustation met en scène un contraste à la fois esthétique et émotionnel avec les personnages montrés, dont le caractère sombre, angoissé et tourmenté est de ce fait mis en évidence.

D’un point de vue fictionnel, ces jeunes femmes, qui semblent vivre dans un monde clos, ne trouvent de lumière que par les lueurs imaginaires et dessinées des comics : étincelle d’un regard, reflets divers, effet d’un sourire Ultra Brite, blancheur angélique de personnages ou d’animaux ailés, éclat d’un poignard, fumée d’explosifs. La composition en spirale des éléments des comics vient ainsi concrétiser le caractère circulaire et obsessionnel du monde mental dans lequel ces jeunes femmes évoluent.

Tout ce passe donc comme si au contact de ces « super-héroïnes » possédées intérieurement par la vie, le monde des comics et sa dynamique joyeuse se transmuait en substance mentale. Ainsi le foisonnement des éléments dessinés (héros en chute libre, coup de poing, bulles, gros titres, etc.) se condense en un désordre, voire un chaos qui vient saturer l’espace mental des personnages.

Par son coté noir et presque apocalyptique, ces portraits s’apparentent à l’esprit dark fantasy (fantaisie noire), sous-genre des littératures de l’imaginaire dans lequel les distinctions entre le bien et le mal s’effacent au profit d’une ambiguïté morale et d’actes égoïstes. On peut considérer à ce titre ces héroïnes comme des victimes hitchcockiennes dont la vengeance ne saurait tarder à s’exprimer. Chacune nous révélant des mécanismes invisibles qui sont à l’oeuvre tant sur le plan individuel que collectif.

Cette nouvelle série s’inscrit dans une thématique propre de l’artiste. Elle est l’expression d’un chaos déjà exploré dans la série Still Life (2014) qui nous donnait à voir le désordre de notre société de consommation. Dans cette dernière série All Star, Valérie Belin explore la toxicité d’un monde mental chaotique, agité, saturé et obsessionnel.



1652_Valerie-Belin audio

Archives FranceFineArt.com :
retrouvez l’interview de Valérie Belin lors de son exposition “Les images intranquilles”
au Centre Pompidou, Paris du 24 juin au 14 septembre 2015

http://www.francefineart.com/index.php/age,da/14-agenda/agenda-news/1786-1652-centre-pompidou-valerie-belin