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“Provoke entre contestation et performance” La photographie au Japon 1960 - 1975
au Bal, Paris

du 14 septembre au 11 décembre 2016



www.le-bal.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 12 septembre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Araki Nobuyoshi, sans titre, 1973. Credit: © Araki Nobuyoshi / Collection Art Institute of Chicago.
2/  Kōji Taki, photographie extraite de Provoke 3, 1969. © Yōsuke Taki / Collection privée.
3/  Anonyme, Contestation autour de la construction de l’aéroport de Narita, c. 1969 / Collection Art Institute of Chicago.

 


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Interview de Diane Dufour, directrice du Bal et commissaire associée de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 12 septembre 2016, durée 7'30". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Co-commissaires :
Diane Dufour et Matthew Witkovsky avec Duncan Forbes et Walter Moser
Exposition conçue et produite par LE BAL avec l'Albertina (Vienne, Autriche), le Fotomuseum de Winterthur (Suisse), l'Art Institute of Chicago (États-Unis)




« Provoke m’a inspiré. La plupart des gens n’y ont pas prêté attention, mais ce mouvement a eu l’effet d’une bombe. » Nobuyoshi Araki

LE BAL présente la première exposition consacrée à Provoke, la revue japonaise culte publiée entre 1968 et 1969 qui, en trois numéros, a bouleversé l’histoire de la photographie, autour des oeuvres essentielles de ses membres : Takuma Nakahira (For a langage to come), Daido Moriyama (Accident), Yutaka Takanashi (Towards the city).

À la fois manifeste et oeuvre collective, Provoke assigne à la photographie « matière à provoquer la pensée » un nouveau rôle en réaction aux troubles violents qui ébranlent la société japonaise et en écho à l'émergence de la scène performative nippone et de ses grandes figures, Natsuyuki Nakanishi, Jirō Takamatsu, Kōji Enokura, Shuji Terayama....


L’exposition

Largement ignoré en son temps, la revue Provoke publiée en 1968-1969 est aujourd’hui reconnue comme un jalon majeur de l’histoire de la photographie. Le collectif, composé de photographes, penseurs et poètes, a polarisé le meilleur de la création photographique japonaise des années 1960, privilégiant dans sa pratique l’image imprimée sous toutes ses formes (presse, livres, revue).

Initié par LE BAL, un groupe de recherche s’est constitué il y a trois ans en vue de monter la première exposition internationale d’envergure consacrée à Provoke, mobilisant artistes, commissaires, critiques, historiens, collectionneurs, galeristes et musées sur trois continents (Europe, états-Unis et Japon).

L’exposition explore le contexte d’apparition de Provoke : la profonde métamorphose de la société japonaise, les multiples fronts de rébellion contre l’état et l’emprise américaine mais aussi le foisonnement de nouvelles pratiques artistiques privilégiant les actions et performances dans l’espace public. Comment rendre compte de l’effervescence et de la radicalité d’un groupe qui a contesté à la photographie son pouvoir de représentation, dépassé les notions de symbolisme ou d’abstraction visuelle, pour finalement concevoir « la fin du langage photographique » ? Irrigué de nombreuses influences artistiques et littéraires notamment françaises (Albert Camus, Henri Michaux, Roland Barthes, Antonin Artaud, Jean-Luc Godard…), le collectif va ouvrir une brèche poétique et politique dans cette « époque terrible » (Takuma Nakahira) en donnant forme au contingent, à l’aléatoire, à l’éphémère.




Partie 1 : contestation

Le Japon est frappé, dans les années 1960, par plusieurs vagues de manifestations à une échelle inégalée et d’une rare violence. La ratification du Traité de sécurité entre le Japon et les États-Unis (Anpo) en 1960 en est l’événement déclencheur. Les mouvements contestataires se mobilisent en particulier contre la présence de bases américaines sur le territoire, notamment à Okinawa, dans un contexte d’escalade de la guerre du Vietnam. Un autre front s'installe à Sanrizuka contre la construction de l'aéroport de Narita qui nécessite l'expropriation de centaines de fermiers.

La photographie est perçue comme un moyen privilégié d’informer, de témoigner, de mobiliser et près de 80 publications d’associations étudiantes, de syndicats, de photographes auteurs et de photojournalistes, vont paraître entre 1960 et 1975. Le plus souvent auto-éditées, sur un temps très court, d’un tirage limité, elles circulent dans les librairies et réseaux militants.

Les stratégies de cette auto-représentation subversive reposent sur un graphisme novateur, spécifique au Japon de ces années-là : une combinaison inédite de textes et d’images, des séquences quasi cinématographiques, des cadrages abrupts, ainsi qu’un fort contraste entre la modestie des matériaux et la sophistication de la mise en page.

Cette esthétique abstraite et floue, souvent induite par les conditions extrêmes de prises de vue (notamment les confrontations de nuit avec les forces de l’ordre), va constituer le terreau des expérimentations formelles de Provoke.

Cette première partie de l'exposition met en avant le film Les paysans de la deuxième forteresse de Shinsuke Ogawa sur la bataille de Sanrizuka, des tirages de Shōmei Tōmatsu, Kazuo Kitai et Takashi Hamaguchi ainsi qu'une collection d'images anonymes.




Partie 2 : Provoke

La publication de Provoke intervient dans un contexte de désillusion : à la fin d’une décennie de soulèvements contestataires jugés stériles, la photographie militante a vécu et la lutte collective cède la place au corps du photographe seul errant dans l’espace urbain.

Pour les membres de Provoke, il s’agit dorénavant d’extraire la photographie de son carcan idéologique, factuel, pour privilégier une capture subjective, fragmentée, explosive de l’expérience du monde. La réalité étant par nature insaisissable dans sa complexité et ses contradictions, la photographie renonce ici à son pouvoir de transcription, pour privilégier une esthétique du flottement, de la confusion. Devenir « voyants » pour atteindre « quelque chose qui se situe avant la forme ». (Kōji Taki)

S’impose un langage brut, flou et granuleux (are, bure et boke) qui repousse la photographie aux confins de la lisibilité. Le flux met à mal la toute-puissance de l’image unique. La juxtaposition, le collage, la répétition contestent l’autorité de la séquence, du récit. Dans le contexte d’une société de consommation fétichiste, où la profusion d’images médiatisées rend virtuelle toute réalité, où l’art lui-même est instrumentalisé, figurer l’impossibilité de représenter, honorer l’absurdité, privilégier le chaos, constitue le seul geste possible.

Provoke rend donc manifestes, sans les résoudre, les liens complexes entre photographie et langage, entre art et résistance.

Dans cette deuxième partie, le visiteur pourra découvrir les 4 numéros de Provoke dans leur intégralité et les oeuvres essentielles de Takuma Nakahira (For a langage to come), Daido Moriyama (Accident), Yutaka Takanashi (Towards the city).




Partie 3 : performance

La rapide modernisation et les bouleversements profonds de la société japonaise après-guerre s’accompagnent de l’essor de pratiques expérimentales dans tous les domaines artistiques. Une avant-garde très consciente de la vocation subversive de l’art en conteste les institutions, les méthodes et les réseaux artistiques traditionnels. Les années 1960 connaissent ainsi une explosion des pratiques performatives, dans un contexte de rébellion des artistes contre l’ordre établi et de « passage à l’acte ». Sous forme d’actions, interventions ou spectacles éphémères mettant en scène le quotidien, les artistes investissent l’espace public. Contre toute récupération idéologique, ces actions n’en constituent pas moins une critique cinglante, souvent teintées d’ironie, de dérision ou d’humour noir, d’une société industrielle et médiatique condamnée à la fuite en avant.

Les photographies prises dans le cadre de ces actions abolissent la frontière entre production documentaire et Live Action, mettant ainsi l’accent sur les aspects performatifs du médium. La notion d’« expérience » est au coeur de cette approche, rappelant fortement les pratiques des membres de Provoke : le photographe s’immerge dans la vie, et, par le prisme de son regard, traduit cette expérience « en » photographie. L’image obtenue ne véhicule aucun concept ou ne produit aucun autre sens que l’enregistrement mécanique d’une présence au monde.

Dans cette troisième partie, l'exposition présente notamment : Shelter Plan, une performance filmée conçue par le collectif Hi Red Center, la série Shashin no Shashin (Photographie de photographie, 1972-1973) de Jirō Takamatsu et les Xerox Photo albums de Nobuyoshi Araki.






Les 6 figures de l'exposition

Takuma Nakahira (1938-2015)

Le photographe, théoricien et critique Takuma Nakahira est, avec Kōji Taki, responsable de l’armature discursive de Provoke. Diplômé en Études espagnoles, grand connaisseur des mouvements d’indépendance latino-américains, Nakahira devient responsable éditorial de la revue culturelle de gauche Gendai no me (L’OEil contemporain) entre 1964 et 1965. En 1968, il est un des quatre fondateurs de Provoke. Nakahira ne considère pas la photographie comme le moyen d’expression d’un artiste photographe, mais comme la simple capture mécanique d’une perception subjective. En 1970, il édite Kitarubeki kotoba no tame ni (For a language to come) son livre-manifeste, suite d’images non linéaire et sans hiérarchie, évoquant des scènes imaginaires et post-apocalyptiques, un livre coup de poing pour toute une génération.

Daido Moriyama (1938)
Dès la seconde moitié des années 1960, Daido Moriyama est reconnu comme une figure majeure de la scène artistique japonaise. Il publie chaque mois un portfolio dans le magazine Asahi Camera, sous le titre générique Akushidento (Accident) qui lui permet de développer un corpus d’images "accidentelles" : images détournées, visions chaotiques, voyeurisme … Sur la demande du critique et photographe Takuma Nakahira, qu’il rencontre en 1964, il prend part aux deux derniers numéros de Provoke, publiés en 1969. Shashin yo Sayonara (Adieu photographie), le troisième ouvrage de Moriyama (1972), fait éclater les frontières entre les médiums : assemblage dissonnant d’images variées, floues et brutes, qui sera son ultime interprétation de Provoke.

Kazuo Kitai (1944)
Kazuo Kitai commence à photographier les mouvements de contestation au début des années 1960, autoéditant son premier livre Teikō (Résistance) en 1965. Les photographies évoquent, de manière délibérément subjective, une manifestation contre la visite d’un sous-marin nucléaire américain à la base navale de Yokosuka en 1964. Visant à traduire l’expérience concrète de la lutte, Kitai repousse les limites descriptives de la photographie, notamment en ayant recours à des matériaux périmés, stockés dans des endroits humides, laissant apparaître traces et rayures à la surface de l’image. Kitai porte ensuite son attention sur la banlieue de Sanrizuka, où les étudiants ont rejoint les paysans pour lutter contre la construction du nouvel aéroport de Narita.

Shinsuke Ogawa (1935-1992)
Shinsuke Ogawa réalise ses premiers documentaires sur les mouvements de contestations radicaux qui agitent le Japon dans les années 1960-1970. Il produit notamment sa série la plus reconnue, Sanrizuka : 7 films au plus près des luttes associant paysans et étudiants contre la construction du nouvel aéroport international de Tokyo, à Narita. De moins en moins en phase avec les paysans qu'ils filment pourtant sans relâche au quotidien, Ogawa et son collectif Ogawa Productions, quittent Narita pour Magino (préfecture de Yamagata), où ils s'installent chez des fermiers, travaillent avec eux tout en les filmant pendant des décennies.

Jirō Takamatsu (1936-1998)
Jiro Takamatsu est l'un des artistes et théoriciens les plus influents des années 1960 et 1970 au Japon. Peintre, sculpteur, il pratique aussi la performance et la photographie dans un esprit imprégné de dadaïsme, surréalisme, minimalisme et d’art conceptuel. Il est membre fondateur du collectif Hi Red Center en 1963. Pour son ouvrage Shashin no Shashin (Photographie de photographie, 1972-1973), Takamatsu demande à un ami de photographier des tirages extraits d’albums de famille, disposés au hasard sur le sol ou punaisés au mur, suscitant la présence de multiples reflets et effets de relief.

Nobuyoshi Araki (1940)
Nobuyoshi Araki débute sa carrière à l'agence de publicité Dentsu. Frustré par les contraintes de la photographie publicitaire, il crée en 1970 son premier Xerox Photo album sur la photocopieuse de l'agence. Relié à la main et édité à 70 exemplaires, l'ouvrage est envoyé à des amis, des critiques et des individus choisis au hasard dans l'annuaire téléphonique de Tokyo. Par la singularité de l’objet obtenu, l’exploration d’un mode de reproduction alternatif ainsi que leur évocation sexuelle, ces Xerox Photo albums ne sont pas sans rappeler l'esthétique de Provoke.




Le livre : Provoke - Betwen Protest and Performance
Une co-édition Steidl, LE BAL, Winterthur Fotomuseum et l’Albertina

Dans l’esprit de Provoke, le livre qui accompagne l’exposition restitue un flux incandescent d’images où se confrontent 600 reproductions de photographies, pages et couvertures de livres, magazines, affiches, pamphlets et objets de propagande, extraits de vidéo, rendus d’actions ou d’interventions dans l’espace public. Comme les nombreux textes à cette période d’Hiroshi Hamaya, Shōmei Tōmatsu, Takuma Nakahira, Kōji Taki, Takahiko Okada, Hi Red-center ou Kōji Enokura, ce foisonnement de visions, perceptions et débats rend compte de la violence extrême de la période, du sentiment d’absurdité ou des gestes de révolte qu’elle génère et de l’effervescence créative qui lui répond.

Au fil des pages, Provoke s’inscrit dans cette urgence de repenser au même moment l’expérience du monde et sa représentation. L’ouvrage reproduit pour la première fois les trois numéros de Provoke dans leur intégralité, une collection inédite de « Protest books » ainsi qu’un ensemble d’oeuvres et de performances d’artistes ou de collectifs qui ont marqué les années 1960 au Japon. Des entretiens avec Daido Moriyama, Yutaka Takanashi, Nobuyoshi Araki et Eikō Hosoe ainsi que des essais d’historiens japonais et des commissaires associés ponctuent le flux d’images.