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“Hodler Monet Munch” Peindre l’impossible
au musée Marmottan Monet, Paris

du 15 septembre 2016 au 22 janvier 2017



www.marmottan.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 14 septembre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Claude Monet, La Barque,1887. Huile sur toile – 146 x 133 cm – Paris, Musée Marmottan Monet – © The Bridgeman Art Library.
2/  Edvard Munch, Paysage de neige, Thuringe, 1906. Huile sur toile – 71 x 91 cm – Wuppertal, Von der Heydt-Museum – Photo © Medienzentrum, Antje Zeis-Loi.
3/  Ferdinand Hodler, Le Promeneur à l’orée du bois, vers 1885. Huile sur toile - 55,5 x 70,5 cm - Winterthour, Fondation pour l'art, la culture et l'histoire © Institut suisse pour l'histoire de l'art, Zurich.

 


1968_Hodler-Monet-Munch audio
Interview de Philippe Dagen, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 14 septembre 2016, durée 7'32". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Philippe Dagen, Critique et historien de l’art



« J’ai repris encore des choses impossibles à faire : de l’eau avec de l’herbe qui ondule dans le fond… c’est admirable à voir, mais c’est à rendre fou de vouloir faire ça » Claude Monet à propos de La Barque

Pourquoi réunir le temps d’une exposition Ferdinand Hodler, Claude Monet et Edvard Munch ? Un Français né en 1840 et mort en 1926, un Suisse né en 1853 et mort en 1918 et un Norvégien né en 1863 et mort en 1944 : la composition du trio peut paraître étrange. Ils ne se sont même pas rencontrés, et, s’il ne fait aucun doute qu’Hodler et Munch ont souvent regardé Monet, la réciproque n’est pas démontrée. Circonstance aggravante : l’histoire de l’art a pris l’habitude de les classer dans des catégories différentes, impressionnisme, postimpressionnisme ou symbolisme. Or c’est ce classement que l’on se propose de remettre en cause en montrant que leurs oeuvres ont bien plus à se dire entre elles qu’on ne le croirait.

Une évidence historique d’abord : ces peintres sont des contemporains, bien qu’ils appartiennent à des générations différentes. Ils vivent dans le même monde en cours de mutation, l’Europe d’avant et d’après la Première Guerre Mondiale. Ils en éprouvent les mutations techniques, politiques et sociales. Celles-ci affectent leur mode de vie et leurs pratiques artistiques. Ainsi tous trois sont-ils des voyageurs et découvrent des lieux et des motifs auxquels, un demi-siècle plus tôt, ils n’auraient pu accéder. Monet se rend à Norvège, Hodler monte jusqu’aux glaciers alpins, Munch va et vient du nord au sud de l’Europe. Ainsi sont-ils aussi les contemporains du développement accéléré des sciences physiques et naturelles qui procèdent par expérimentations et séries – modèles que tous trois, à des degrés divers, introduisent dans leur processus créatif.

Ces expérimentations, ces séries, c’est-à-dire une conception méthodique, tous trois la mettent en oeuvre pour affronter les difficultés de la représentation de motifs qui, en raison même de leurs particularités, deviennent pour eux des obsessions. « J’ai repris encore des choses impossibles à faire : de l’eau avec de l’herbe qui ondule dans le fond… c’est admirable à voir, mais c’est à rendre fou de vouloir faire ça. » Ces mots sont de Monet, mais ils pourraient être ceux du peintre qui, jusqu’à sa mort, s’obstine à étudier l’horizon des Alpes depuis sa fenêtre, de l’aube au crépuscule – Hodler. Ou de celui qui, insatisfait, revient jusqu’à la dépression sur les mêmes motifs, une maison rouge, des marins dans la neige, le couchant regardé en face, la nuit boréale – Munch. Comment peindre de face l’éclat éblouissant du soleil, avec de simples couleurs à l’huile sur une simple toile ? Comment peindre la neige dont l’éclat et la blancheur ne cessent de varier à la moindre nuance de la lumière ? Comment suggérer les mouvements et variations de la lumière sur l’eau, malgré l’immobilité de la peinture ? Tous trois mettent ainsi la peinture à l’épreuve de l’impossible.

L’exposition les suit pas à pas dans ces recherches en comparant sans cesse leurs tentatives, en organisant des confrontations visuelles entre les trois artistes dans un espace repensé pour l’occasion afin d’accueillir une vingtaine d’oeuvre de chacun. Les sujets, c’est-à-dire les problèmes : haute montagne, soleil, neige, eau vive. Le parcours les réunit une dernière fois sous le signe de la couleur dégagée du devoir d’imitation, jusqu’à leurs oeuvres ultimes, elliptiques et libres – si libres qu’elles n’ont guère été comprises de leurs contemporains. Grâce à partenariat exceptionnel entre le Munchmuseet d’Oslo et musée Marmottan Monet, elle présente des oeuvres du peintre norvégien qui, pour certaines, n’ont jamais été vues à Paris. La générosité de plusieurs collections privées suisses permet d’y réunir un ensemble Hodler non moins exceptionnel, que ce soit par sa qualité ou sa rareté.




Parcours de l’exposition

Qu’ont de commun Ferdinand Hodler, Claude Monet et Edvard Munch ? Bien que de nationalités et de générations différentes, ils appartiennent au même temps et au même espace : l’Europe de la seconde moitié du xixe siècle et du début du xxe, celle de la modernité, des découvertes scientifiques et des progrès techniques, des mutations politiques et économiques. Elles affectent leurs modes de vie, leurs trajectoires et leurs pratiques artistiques. Hommes d’un monde nouveau, ils en inventent la nouvelle peinture. Celle-ci explore avec des méthodes expérimentales et sérielles inspirées par les sciences des sujets à la fois simples et réputés impossibles à fixer sur une toile avec des couleurs : les mouvements de l’eau, les nuances de la neige, l’éclat du soleil aveuglant vu de face. Ce sont leurs recherches sans cesse recommencées que l’exposition se propose de présenter et de comparer.

Réalismes
Au commencement est l’étude de la nature. Comme, avant eux, Courbet, Monet et les Impressionnistes Hodler et Munch prennent leurs premiers motifs dans des lieux familiers, près de Genève ou à Saint Cloud, au bord de la Seine. L’observation attentive est leur impératif premier : ils s’en tiennent à la réalité du paysage sans y ajouter quelque pittoresque décoratif, sans raconter quelque histoire qui distrairait le regardeur de l’essentiel. On ne saura rien du promeneur bourgeoisement vêtu d’Hodler, ni des paysans norvégiens de Munch. Mais on mesure combien la vision de jour est différente de la vision de nuit et comment, dans l’ombre, l’espace s’approfondit ; ou encore combien un simple reflet du Mont Salève dans l’eau d’une mare accentue les sensations de hauteur et de pesanteur de la masse rocheuse.

Montagnes
Développement systématique des chemins de fer, débuts de l’alpinisme en France et en Suisse, premières stations touristiques : autant d’effets du progrès technique. La haute montagne, que les peintres n’avaient auparavant regardée que de loin et d’en bas, leur devient de plus en plus accessible, comme à leurs rivaux, les photographes. Ils peuvent désormais la parcourir et l’étudier de l’intérieur. Vues panoramiques sur les chaînes proches ou plus lointaines, vues aériennes ou plongeantes sur les lacs, mer de nuages ou brumes, glaciers même, tout cela par divers temps et à des heures variables : géologie et météorologie pénètrent de plus en plus dans la peinture. A l’artiste – Monet et surtout Hodler qui est le principal acteur de cette révolution – d’inventer les compositions et les effets chromatiques qui fixent ses observations.

Soleils et lunes
Impression, soleil levant de Monet et Le soleil de Munch : deux confrontations avec le motif le plus dangereux, puisque l’oeil du peintre ne peut supporter de l’observer plus de quelques instants quand son éclat est à son paroxysme. Il faut donc trouver des solutions. Monet et Hodler préfèrent le lever et le coucher du soleil ou les jours où il se montre voilé. Munch est le seul à risquer le face-à-face et à chercher comment représenter l’expansion des ondes lumineuses et leurs effets chromatiques. Il multiplie les expériences, poussant la peinture à la limite de ses capacités analytiques. Moins douloureux pour la rétine est le motif nocturne, lune et étoiles. Mais il n’est pas plus aisé à l’artiste de le capter. Comment peindre en effet quand il ne reste plus que d’infimes points de lumière dans les cieux ?

Neiges
Comment peindre la neige ? Si des peintres anciens du nord, dont Pieter Bruegel, s’étaient mesurés jadis à sa blancheur et son éclat, la question revient dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les paysages hivernaux de Franche-Comté de Courbet y sont pour beaucoup, mais Monet, Hodler et Munch s’y attachent plus constamment encore que lui. Monet, après l’avoir étudiée à Paris et du côté de Vétheuil, se rend en Norvège en 1895 pour l’affronter dans une lutte inconfortable contre le vent et le froid. Pour Hodler et Munch, le Suisse et le Norvégien, elle est un sujet tout naturel, plusieurs fois repris. Tous trois s’accordent sur un point : pour peindre la neige, sa densité changeante, ses différences d’épaisseur, les variations de sa luminosité, une couche de blanc est loin de suffire. La neige contient en elle bien plus de couleurs et de nuances qu’on ne le croit.

Eaux
« J’ai repris encore des choses impossibles à faire : de l’eau avec de l’herbe qui ondule dans le fond… c’est admirable à voir, mais c’est à rendre fou de vouloir faire ça. » Ces mots sont de Monet. Mers, fleuves, ruisseaux, canaux : du Havre à Giverny en passant par Londres et Venise, le combat avec l’eau est son obsession la plus constante, qui le possède jusqu’aux ultimes séries des Nymphéas. On sait moins qu’Hodler et Munch n’ont pas esquivé ce motif insaisissable. La femme courageuse de l’un, Vagues de l’autre sont des expériences tentées en grand format. Très différentes de style, elles répondent aux mêmes exigences : être au plus près du motif et suggérer avec les lignes et couleurs immobiles de la peinture l’incessante mobilité de la surface, des courants et des reflets.

Couleurs
D’expériences en séries, les couleurs révèlent l’étendue de leur pouvoir. Elles sont la substance visuelle de la nature et le langage des sensations et des émotions. Leur puissance suggestive est telle qu’elle peut suffire et que la représentation des détails du réel perd progressivement de sa nécessité. Variations gestuelles presque impénétrables de Monet, géométrie régulière des rapports chromatiques selon Hodler, surgissement dans l’atelier de Munch d’un monde où il pleut du rouge et ou le sable est rose : tous trois sont contemporains du fauvisme de Matisse et de Derain et de l’expressionnisme de Nolde et de Kandinsky. Ils participent à la même histoire, celle des avant-gardes artistiques de l’impressionnisme à l’abstraction.