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“Magritte” La trahison des images
au Centre Pompidou, Paris

du 21 septembre 2016 au 23 janvier 2017



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, journée de tournage, le 19 septembre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  René Magritte, La Trahison des images (Ceci n’est pas une pipe), 1929. Huile sur toile, 60,33 x 81,12 x 2,54 cm. Los Angeles County Museum of Art. Purchased with funds provided by the Mr. and Mrs. William Preston Harrison Collection. © Adagp, Paris 2016. © Photothèque R. Magritte / Banque d’Images, Adagp, Paris, 2016.
2/  René Magritte, Les vacances de Hegel, 1958. Huile sur toile, 60 x 50 cm. Collection particulière. © Adagp, Paris 2016. © Photothèque R. Magritte / Banque d’Images, Adagp, Paris, 2016.

 


1973_Magritte audio
Interview de Didier Ottinger, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 19 septembre 2016, durée 11'59". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Didier Ottinger, conservateur au musée national d’art moderne
assisté de Marie Sarré




L’exposition « Magritte. La trahison des images » propose une approche à ce jour inédite de l’oeuvre de l’artiste belge René Magritte. Rassemblant les oeuvres emblématiques, comme d’autres peu connues de l’artiste, provenant des plus importantes collections publiques et privées, l’exposition offre une lecture renouvelée de l’une des figures magistrales de l’art moderne.

Une centaine de tableaux, de dessins, et des documents d’archives, sont réunis pour offrir au public cette approche qui s’inscrit dans la ligne des monographies que le Centre Pompidou a consacré aux figures majeures de l‘art du 20e siècle : « Edward Munch. L’oeil moderne », « Matisse. Paires et séries » et « Marcel Duchamp. La peinture, même ». L’exposition Magritte. La trahison des images explore un intérêt du peintre pour la philosophie, qui culmine, en 1973, avec Ceci n’est pas une pipe que publie Michel Foucault, fruit de ses échanges avec l’artiste.

Dans une conférence qu’il donne en 1936, Magritte déclare que Les affinités électives, qu’il peint en 1932, marque un tournant dans son oeuvre. Ce tableau signe son renoncement à l’automatisme, à l’arbitraire du premier surréalisme. L’oeuvre, qui montre un oeuf enfermé dans une cage, est la première de ses peintures vouées à la résolution de ce qu’il nomme : un « problème ». Au hasard ou à la « rencontre fortuite des machines à coudre et des parapluies », succède une méthode implacable et logique, une solution apportée aux « problèmes » de la femme, de la chaise, des souliers, de la pluie…. Les recherches appliquées à ces « problèmes », qui marquent le tournant « raisonnant » de l’oeuvre de Magritte, ouvrent l’exposition.

À l’art de Magritte sont associés des motifs (Rideaux, Ombres, Mots, Flamme, Corps morcelés..), que le peintre agence et recompose au fil de son oeuvre. L’exposition replace chacun de ces motifs dans la perspective d’un récit d’invention de la peinture, de mise en cause philosophique de nos représentations : aux rideaux, l’antique querelle du réalisme qui prit la forme d’une joute entre Zeuxis et Parrhasios ; aux mots, l’épisode biblique de l’adoration du veau d’or qui confronte la loi écrite et les images païennes ; aux flammes et aux espaces clos, l’allégorie de la caverne de Platon ; aux ombres, le récit de l’invention de la peinture relatée par Pline l’ancien.

Le catalogue de l’exposition est publié par les Editions du Centre Pompidou, sous la direction de Didier Ottinger, commissaire de l’exposition.




Extrait du catalogue - Introduction de Didier Ottinger

MOTS, OMBRES, FLAMMES, RIDEAUX, FRAGMENTS
Magritte et les mythes fondateurs de la peinture


La Trahison des images peinte par René Magritte en 1929 est le témoignage – ironique autant que fumant –, de l’iconoclasme diffus du premier surréalisme.
Si Marcel Duchamp instruit cette critique par des moyens résolument non picturaux, c’est pinceaux en mains que Magritte assume ce doute à l’endroit des images, les soumettant à une réflexivité intransigeante.
Pour affirmer la dignité intellectuelle de sa peinture, pour la hausser au niveau de la poésie d’abord, de la philosophie ensuite, Magritte la soumet à un processus de rationalisation, en s’efforçant de doter son iconographie de l’objectivité qui est celle d’un vocabulaire. C’est le sens d’une série de tableaux (Le Dormeur téméraire, L’Alphabet des révélations, Le Thérapeute…) qui s’applique à la recension des motifs de prédilection du peintre (l’oiseau, la plume, le chapeau, la pomme, la bougie…) dont l’oeuvre explore à l’infini le sens et les combinaisons.

La signification de ces « phonèmes iconographiques » s’enracine dans la connaissance que possède Magritte de la peinture ancienne, dans celle des récits de son invention. Rideaux, mots, flamme, ombres, fragments et collages renvoient à des légendes, des allégories, qui ont toutes en commun d’interroger le statut des images, leur relation au réel ou à la vérité. La dialectique des mots et des images s’ancre dans le récit biblique, celui la condamnation par Moïse des images dont l’adoration détourne du texte de la Loi. Les ombres sont celles que Pline l’Ancien dit être à l’origine de la peinture (des images façonnées). Magritte en rappelle les liens paradoxaux avec le réel, l’ancrage originel avec le monde des sentiments et des pulsions.

Il multiplie les représentations du feu associées aux espaces clos, aux cavités et autres grottes, évoquant l’allégorie de la caverne, le récit par lequel Platon définit les hiérarchies de nos représentations et leur rapport à la vérité.

Les moments de l’oeuvre de Magritte placés sous les auspices de la lumière rappellent également la fable platonicienne. Son projet de réforme du surréalisme, formulé en 1943, placé sous l’égide de Renoir, prend les airs d’un appel à sortir de la caverne au fond de laquelle le surréalisme d’avant-guerre aurait emprisonné ses adeptes. L’option d’un surréalisme en plein soleil, qu’il soumet à André Breton, lui vaut les foudres du poète. Magritte répond à cette fin de non-recevoir par ses tableaux de la période « vache ». L’extravagance et l’outrance revendiquée de ces oeuvres ne manquent pas d’évoquer le récit des évadés de la caverne de Platon, dont les descriptions d’un réel perçu dans la lumière solaire passent pour folie aux yeux de leurs compagnons restés prisonniers au fond de la grotte. Les rideaux comptent au nombre des motifs les plus récurrents de la peinture de Magritte. Comme dans la peinture flamande du siècle d’or, ils témoignent de la réflexivité de l’artiste, qui à travers leur représentation, ironise sur sa propre virtuosité illusionniste, sur sa capacité à produire des images, réalistes jusqu’au trompe l’oeil.

C’est pour exprimer un semblable doute à l’endroit des prodiges mimétiques de l’art que Pline l’Ancien en fait l’objet central de la joute qui oppose dans son récit les deux plus célèbres peintres de l’Antiquité : Zeuxis et Parrhasios. En couvrant d’un rideau la nature morte de Zeuxis que venaient picorer les oiseaux, Parrhasios dépasse la simple illustration de son brio illusionniste, comme le fera Bertold Brecht bien après lui, mettant littéralement en scène une « distanciation » qui rend doublement visible l’illusion spéculaire de l’art. L’ombre de Zeuxis plane encore sur les corps morcelés peints par Magritte, sur le collage – autrement dit l’association d’objets – dont il fait une des procédures plastiques les plus constantes de son oeuvre (Max Ernst ira jusqu’à dire que le peintre belge réalise des « collages peints à la main »). Comme pour chacun des récits qui constituent son Histoire naturelle, la fable de la commande, passée à Zeuxis par les habitants de Crotone, est le prétexte à une réflexion sur la beauté et le processus créatif. Autant d’antiques questions engageant la nature, le statut de l’art, qu’explore sans cesse la peinture de Magritte.




Parcours de l’exposition

Salle 1 : Portrait de Magritte en philosophe

De la beauté hasardeuse aux « problèmes »

« Beau comme la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection » écrit Lautréamont dans les Chants de Maldoror. En 1923, confronté à la reproduction du tableau de Giorgio de Chirico, Le chant d’amour, Magritte découvre cette esthétique du choc et de l’arbitraire, caractéristique de la beauté surréaliste. Au parapluie et à la machine à coudre, se sont substitués un gant de caoutchouc rouge et le moulage en plâtre du profil d’un dieu grec. Magritte en est électrisé. Pendant quelques années, il s’essaie lui aussi au rapprochement de jockeys et de bilboquet, de rideaux et de perruques…
Assez vite, à partir de 1927, il réalise ses premiers tableaux de mots, dans lesquels il confronte l’image d’un objet et une définition écrite n’entretenant avec lui aucune relation logique. Ce qui pourrait apparaître comme une déclinaison possible du beau cher à Lautréamont ouvre en fait un chapitre nouveau de la peinture de Magritte.
Les tableaux de mots engagent une réflexion complexe quant au statut même des images et des mots, posant la question de leur adéquation aux objets qu’ils représentent. Subrepticement, ces oeuvres mettent en cause la hiérarchie établie par la philosophie, entre les mots et les images, la poésie et la peinture.
Ambitionnant de faire de son art une expression affinée de la pensée, Magritte conçoit bientôt sa pratique comme une démarche raisonnée. C’en est dès lors fini des rapprochements fortuits, hasardeux, arbitraires. Les tableaux de Magritte deviennent aussi rigoureux que des formules mathématiques....Chacun d’eux devient la solution à ce que le peintre désigne comme un « problème » : soit l’élucidation méthodique d’une équation visuelle en laquelle se réconcilie : « l’objet, la chose attachée à lui dans l’ombre de [l] a conscience et la lumière où cette chose doit parvenir. »

Surréalisme belge et surréalisme français
La revendication de rationalité dont témoigne la « problématologie » de Magritte doit tout à la personnalité de Paul Nougè, fondateur du surréalisme belge en 1926. Scientifique de formation, Nougè donne au mouvement une orientation distincte de son homologue parisien : plus « scientiste », rationnelle et matérialiste. Cette exigence de « conscience » conduit Magritte à faire précocement de son art un outil cognitif, au service de la pensée. Une ambition qui va se heurter aux convictions des surréalistes parisiens, dont le peintre belge se rapproche en 1927, alors qu’ils opèrent ce qu’André Breton nommera bientôt leur tournant « raisonnant ». L’Esthétique de Hegel, à qui ils empruntent sa « dialectique », leur offre la confirmation d’une préséance de la poésie sur toutes les formes d’art. Pour répondre à cet iconoclasme insidieux, Magritte publie en 1929 dans les pages de La Révolution surréaliste, un texte illustré dans lequel il analyse les rapports entre mots et images. La même année, il peint sa Trahison des images : aveu ironique du caractère mensonger qu’il feint de reconnaître à son art…

Les philosophes
Si les années d’avant-guerre sont celles de sa dispute avec les poètes, Magritte, après la seconde guerre mondiale, rencontre les philosophes. Après avoir écouté ses leçons, Magritte entre en contact épistolaire avec Alphonse de Waelhens, premier traducteur en français d’Être et temps de Martin Heidegger et commentateur de la philosophie de Maurice Merleau Ponty. Avec lui, il engage un débat sur le statut de la peinture. Magritte, à qui Waelhens a suggéré la lecture de L’oeil et l’esprit, lui fait ce rapport : « Le discours très brillant de Merleau-Ponty est fort agréable à lire, mais il ne fait guère songer à la peinture – dont il paraît traiter cependant. Je dois même dire que lorsque cela arrive, il parle de la peinture comme si l’on parlait d’une oeuvre philosophique en s’inquiétant du porte-plume et du papier qui ont servi à l’écrivain. ». Au début des années 1960, le peintre engage une correspondance nourrie avec Chaïm Perelman, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, fondateur de la « Nouvelle Rhétorique ». Là encore, Magritte conteste toute tentative d’assujettissement philosophique de l’art. En 1966, il découvre Les Mots et les choses de Michel Foucault. Il engage aussitôt une correspondance avec son auteur. Des échanges de Foucault avec Magritte naîtra Ceci n’est pas une pipe, que le philosophe publiera en 1973.
L’ambition de Magritte de faire reconnaitre son art comme une forme accomplie d’expression de l’Esprit, n’aura cessé de se heurter à une tradition philosophique qui stigmatise la relation problématique des images avec le réel et la vérité. Par son vocabulaire iconographique délibérément restreint et son agencement à l’infini des mêmes objets : ombres, flamme, mots, corps morcelé, rideaux…, par ses mises en scène, la peinture de Magritte ressemble à une réfutation systématique des anathèmes dont la philosophie a pu accabler la peinture.

Salle 2 : Les mots et les images
C’est avec les poètes qui constituent l’essentiel des rangs du surréalisme que Magritte engage son premier combat pour la revendication de la dignité intellectuelle de son art : un combat contre la « bêtise (supposée) des peintres » mené avant lui par Marcel Duchamp. Il prend la forme d’une enquête, publiée par la Révolution Surréaliste, sur le statut respectif des mots et des images, sur leur possible substitution. Il s’incarne également dans un tableau : La trahison des images, qui répond à la définition de la poésie, donnée quelques mois plus tôt par André breton et Paul Eluard : « la poésie est une pipe ». Une histoire conflictuelle des mots et des images qui s’enracine dans l’épisode biblique qui voit Moïse fracasser les tables de la Loi devant son peuple en proie à l’idolâtrie des images.

Salle 3 : L’invention de la peinture
C’est encore aux ombres que renvoie le récit de l’invention de la peinture par Pline L’Ancien dans son Histoire naturelle. De ce texte fondateur, Magritte retient trois éléments constitutifs de son vocabulaire : la bougie, l’ombre, la silhouette. Originellement « empreinte » du désir amoureux, la peinture devient l’objet d’une interrogation sur la capacité de l’art à restituer le réel.

Salle 4 : Allégorie de la caverne
Aucun texte n’a autant contribué au discrédit philosophique des images, que l’allégorie de la caverne de Platon. Le philosophe y met en scène des prisonniers que leur confinement à l’intérieur d’une grotte trompe sur la réalité du monde. Certains exégètes y voient une mise en cause de nos représentations, fruits d’une perception tronquée de la réalité, condamnées à n’être qu’un jeu d’ombres, que les conventions et les habitudes nous font prendre pour la réalité elle-même. À plusieurs reprises, Magritte a explicitement illustré la fable platonicienne, isolant et recomposant les éléments qui la constituent : feu, perception depuis des espaces clos, grotte ou chambres ou maisons…

Salle 5 : Rideaux et trompe-l’oeil
Pline l’Ancien a fait des rideaux peints, le motif illustrant le plus parfaitement l’illusionnisme pictural. Rejouant le geste de Parrhasios, les peintres du Siècle d’or hollandais se sont plu à simuler l’existence d’un rideau dissimulant les natures mortes qu’ils reproduisaient avec un réalisme qui confinait au trompe-l’oeil. Vermeer et Rembrandt ont eux aussi usé de ce stratagème, exprimant leur distance ironique à l’égard de leur virtuosité réaliste. Magritte, le plus réaliste peut-être des peintres modernes, a également fait des rideaux l’attribut récurent de son art.

Salle 5 (bis) : La beauté composite
« Il ne crut pas pouvoir découvrir en un modèle unique tout son idéal de la beauté parfaite, parce qu’en aucun individu la nature n’a réalisé la perfection absolue. » relate Cicéron à propos de la genèse de la peinture d’une créature parfaite par le célèbre Zeuxis, léguant ainsi aux peintres le principe d’une beauté nécessairement composite. Magritte n’aura cessé de réinterpréter cette loi classique d’une beauté fragmentaire, de digresser picturalement à partir des lois harmoniques de la beauté classique, qui devient, sous son pinceau, une Folie des grandeurs.


L’exposition sera ouverte exceptionnellement à partir du 3 octobre 2016, tous les lundis soirs jusqu’à 23h. La Galerie 2 sera également accessible dès 10h les samedis, dimanches et jours fériés aux adhérents munis de leurs laissez-passer annuels.

L’exposition sera présentée dans un format concentré à la Schirn Kunsthalle Frankfurt, en Allemagne du 10 février au 5 juin 2017.