extrait du communiqué de presse :
Commissariat général de l’exposition : Robert Kopp, professeur à l’Université de Bâle, correspondant de l’Institut Charlotte Manzini, docteur en littérature Jérôme Farigoule, directeur du musée de la Vie romantique Sophie Eloy, directrice adjointe
Le musée de la Vie romantique à l’occasion du cent-cinquantenaire de la mort du poète, consacre une exposition aux curiosités esthétiques de Charles Baudelaire. Imaginer une exposition qui renoue le dialogue entre les textes du jeune poète et les oeuvres d’art qu’ils commentent, c’est offrir au visiteur l’occasion de pénétrer dans les grandes pages des écrits esthétiques de Baudelaire qui font date dans l’histoire de la critique d’art. En présence d’une centaine de peintures, sculptures et estampes évoquées par Baudelaire, le spectateur est invité à confronter son propre regard à la sensibilité artistique de l’auteur des Fleurs du mal et à comprendre comment s’est forgée la définition de « la beauté moderne », « d’ une conception double » exprimant l’éternel dans le transitoire.
Comment se laisser séduire par le « mérite de l’inattendu », préférer toujours un tableau « fait » à un tableau « fini », reconnaître le caractère essentiellement romantique de la couleur, sans désavouer la nature « idéale » de la ligne, réclamer chez les artistes cette part de « naïveté » qui mène à l’audace et à la crudité des tons, attendre d’une oeuvre, fût-ce un portrait ou une page de religion, qu’elle « respire l’amour », reconnaître enfin « l’héroïsme de la vie moderne » et 1974_Baudelairela beauté de l’habit noir » ?
Aux côtés de Baudelaire, cette exposition explorera les mutations qui s’opèrent entre romantisme et impressionnisme en présentant, autour des artistes phares de l’époque - Delacroix, Ingres, Camille Corot, Rousseau ou Chassériau -, les peintres qui ont su lui plaire ou l’irriter. Elle permettra de découvrir la modernité que forge le poète face au nouveau Paris et aux langages artistiques en formation, incarnée par la génération montante et la figure de Manet. Elle montrera enfin, l’attachement indéfectible de Baudelaire au romantisme et à Delacroix.
Présentation de l’exposition
« Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion). » (Mon coeur mis à nu, 1862)
En 1968, le Petit Palais présentait l’exposition Charles Baudelaire commémorant le centenaire de la mort du poète. Les facéties du calendrier et d’un printemps brûlant avait vu glisser cette célébration au-delà de la date anniversaire de 1867. Cette exposition monumentale portée par les avancées de la génération conduite par Georges Blin et Claude Pichois couronnait un siècle d’études baudelairiennes ; désormais Baudelaire n’était plus seulement l’homme des Fleurs du Mal mais le créateur d’une oeuvre plus vaste, en prise permanente avec la création de son temps, littéraire, musicale et artistique. Une série de manifestations menées par les institutions de la Ville de Paris a suivi, qui consacrait le plus parisien des poètes. Il faut ici citer Baudelaire/Paris (BHVP, 1993) et Baudelaire, Paris sans fin (Carnavalet, 2004) ou, en nos murs, Constantin Guys, Fleurs du mal (2003). A bien des égards, L’oeil de Baudelaire s’inscrit dans la filiation de ces projets pour interroger dans l’oeuvre du poète les relations entre art et littérature.
Charles Baudelaire entre dans le monde des lettres entre 1845 et 1846 par des ouvrages de critique d’art - le Salon de 1845 est le premier écrit signé de son nom et publié sous forme de livre. A ce premier essai s’ajouteront plaquettes, articles publiés dans la presse et essais critiques qui, du Salon de 1846 à L’OEuvre et la vie de Delacroix (1863) témoignent du rôle prédominant que son oeil a pu jouer dans la formation de son regard et de son univers esthétique. Leur cohérence n’apparut d’ailleurs qu’après la mort de Baudelaire alors que se concrétisait dans l’édition des OEuvres complètes réunies en 1868-1870 par Charles Asselineau et Théodore de Banville, le souhait du poète de voir réunis l’ensemble de ses textes sur l’art, en deux volumes, Curiosités esthétiques et L’Art romantique. Ces textes rythment la carrière du poète et répondent pour la plupart au genre littéraire de la critique de Salon.
Il s’inscrivait ainsi dans une tradition initiée par Denis Diderot près d’un siècle plus tôt. En 1759, Grimm sollicitait le philosophe pour lui fournir le compte-rendu des expositions biennales de peinture organisées par l’Académie royale. Si le philosophe initiait ainsi un exercice inédit, il devient au XIXe siècle un genre littéraire à part entière auquel s’adonnent journalistes et littérateurs, de Thiers à Musset ou Gautier ; il occupe les colonnes de journaux et offre une revue des tendances et des nouveautés de l’école française ainsi que les repères du bon goût aux amateurs. Pour Baudelaire, sans doute l’engagement est autre car il sera le seul parmi ses contemporains à imbriquer aussi étroitement son propre regard sur l’art de son temps à son ambition poétique. Aux côtés de Baudelaire, cette exposition permet de parcourir le paysage artistique de cette période charnière de l’art en France : la séquence que couvre le poète, de 1845 à 1863, voit les derniers feux du romantisme, l’apogée du réalisme de Courbet, l’éclosion d’une génération montante et les débuts d’Édouard Manet alors que Delacroix et Ingres sont devenus des phares, chacun à une extrémité de l’axe de la création du XIXe siècle. A ces figures tutélaires, Baudelaire adjoint dans ses écrits d’autres peintres, dans des genres et des styles extrêmement variés, comme Octave Tassaert, William Haussoullier, George Catlin, Antoine Chazal ou Constantin Guys. Ces oeuvres reflètent l’éclectisme de la production de l’époque en une vision originale de l’art son temps : les caricaturistes et avant tous Daumier, promus au rang de grand peintre, sont l’expression la plus accomplie du présent alors que les qualités de « naïveté », « sincérité » et « imagination », caractérisent la sensualité artistique qu’il développe dans le musée de l’amour et auquel nous avons tenu à faire une place particulière.
Au chemin parcouru un temps avec les peintres du renouveau que sont Manet et Courbet, il préfèrera finalement le drame, la rêverie et la mélancolie que lui inspire Delacroix. Il en a fait son héros, il aurait voulu en faire un frère car le poète aspirait à la même place en littérature que celle occupée par le peintre dans le panthéon artistique : « qui dit romantisme dit art moderne – c’est à dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini. ». En cela Delacroix est comme Baudelaire le représentant ultime d’une époque révolue mais qui demeure, dégagé des stigmates de la nouveauté, la plus pure expression de la modernité.
Robert Kopp, Charlotte Manzini et Jérôme Farigoule.
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