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“Mexique 1900-1950” Diego Rivera, Frida Kahlo, José Clemente Orozco et les avant-gardes
au Grand Palais, Paris

du 5 octobre 2016 au 23 janvier 2017



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 3 octobre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Francisco Díaz de León (1897-1975), Indiennes un jour de marché, 1922. Huile sur toile. Collection Andrés Blaisten. © Colección Blaisten.
2/  Dr. Atl, Gerardo Murillo, dit (1875-1964), Nahui Olin, vers 1922. Atl couleurs sur plâtre. Collection Andrés Blaisten. © Colección Blaisten. © Photographe Francisco Kochen © SOMAAP.
3/  Tiburcio Sánchez de la Barquera (1837-1902), Portrait de la famille, Escandón Arango, 1867. Huile sur toile. México, INBA, Museo Nacional de Arte. Acquisition, 2015. © INBA/Museo Nacional de Arte. Photo © Francisco Kochen.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Comme pour tout voyage, il y a un point de départ. Ici c'est le Paris avant-gardiste du début du XXéme siècle inspirant les dessins à l'encre art nouveau de Roberto Montenegro, ou sa Ville dans la brume, dont les silhouettes grises des bâtiments se reflètent dans le fleuve, les lumières clairsemées des reverbères et des fenêtres répondant aux étoiles dans un impressionnisme crépusculaire. Mais il ne s'agit pas d'en rester là, la force des peintres mexicains est de savoir intégrer toutes ces influences, se les approprier dans l'expression d'une culture qui leur est propre. La veillée funèbre de José Maria Jara reprend les codes classiques mais sa madone, la famille agenouillée sont des paysans aux couleurs ternies par la rudesse de la terre et la poussière. Les pieds du défunt émergeant du cercueil, dont une toute petite partie est visible, glacent d'effroi en suggérant qu'il pourrait s'agir d'un enfant.

Dans ce Mexique en construction, l'expression picturale opère la rencontre entre les traditions populaires et le produit moderne de la révolution industrielle. Le cubisme ramené d'Europe plongé dans une palette vive, fleurie et fruitée se transforme en l'expression d'un réalisme social, d'une recherche d'identité. La Poétesse d'Angel Zárraga devient une ombre plate mais lumineuse, faisant ressortir les volumes tridimentionnels des livres rouges comme des briques, matériaux de construction plus importants que ceux que produisent les usines. De même, sa femme allégorique embrassant la modernité affirme par sa jupe rouge, sa tunique blanche et ses tresses une identité profondément enracinée.

Les scènes folkloriques deviennent un message politique. Les vendeuses de fleurs de Diego Riviera étreignant leurs immenses bouquets dans un geste de dévotion religieuse, la marchande de fruits de Olga Costa aux couleurs pâtissières contribuent à dresser une géographie sensuelle du pays. L'indienne d'Oaxaca de Ramón Cano Marilla offre au regard, derrière la fausse naïveté affichée, une précision dans les détails du décor de jungle, un hyperréalisme des broderies de la robe magnifiant le peuple oublié par les livres d'histoire. La fille à la perruche de Carlos Mérida, par son dessin aux formes et aux contours simples et aplatis, puise dans la tradition précolombienne, mais la fait entrer dans le contemporain.

Si la révolution mexicaine donne lieu à nombre d'allégories, des points de vues divers et contrastés sur l'histoire sont présentés, formant une riche confrontation. José Clemente Orozco récupère le style allégorique issu du cubisme pour peindre un monde ensanglanté de rouge et assombri de noir. Son défilé de soldats zapatistes n'a rien d'héroïque, les hommes semblent courbés, marchant comme des suppliciés vers un massacre. Ses personnages nus sont impuissants face à la violence des évènements, écrasés par les forces contraires qui s'affrontent sans pouvoir en comprendre le sens.

La place des femmes dans la peinture mexicaine s'affirme en réaction aux stéréotypes sociaux articulés entre ruralité et urbanité. Si on retrouve toujours avec bonheur Frida Kahlo, l'onirisme des couples enlacés de Nahui Olin, la simplicité de ses étreintes évoquant des scènes de cinéma populaire démontent les codes élaborés pour tisser une proximité sentimentale. Par l'autoportrait on pénètre doucement dans un univers onirique, cheminant des saveurs amères de Maria Iziquierdo au sucré de Rosa Rolanda.

Dans leur relation avec l'Amérique, les artistes mexicains se trouvent confrontés à un monde moderne, audacieux, ils peignent une civilisation triomphante, tonitruante, en ascension vers les cieux mais aussi en proie à une crise profonde. Les portraits de dictateurs de Miguel Covarrubias illustrent la montée des fascismes. La guerre arrive sous la forme d'une tempête sombre peuplée de cauchemars surréalistes. Le pistolet d'os de Wolfgang Paalen dans son coffret tapissé de velours noir, comme le squelette d'une histoire passée, signe la fin d'un cycle. Face aux peuples et à leurs identités colorées, le revolver comme menace perpétuelle des secousses de l'histoire est fait de la même matière que les hommes.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Agustín Arteaga



La Réunion des musées nationaux-Grand Palais, la Secretaría de Cultura / Instituto Nacional de Bellas Artes / Museo Nacional de Arte, México (MUNAL) se sont associés pour organiser une exposition dressant un vaste panorama de la modernité mexicaine, depuis les prémices de la Révolution jusqu’au milieu du XXe siècle, complété par des interventions ponctuelles d’artistes contemporains. L’art du Mexique au XXe siècle présente le paradoxe d’être étroitement connecté aux avant-gardes internationales, tout en présentant une incroyable singularité, une étrangeté même, et une puissance qui défient notre regard européen.

Dans la première partie de l’exposition, on découvre comment cette modernité puise son inspiration dans l’imaginaire collectif et les traditions du XIXe siècle. Cette relation, évidente dans l’art académique qui se développe après la restauration de la République en 1867, se prolongera dans les préceptes idéologiques de l’école Mexicaine de Peinture et de Sculpture, dirigée par José Vasconcelos à partir de 1921. Les courants internationaux viennent contrebalancer cet ancrage dans la tradition. Au tournant du XXe siècle, symbolisme et décadentisme trouvent au Mexique des expressions fascinantes comme le célèbre tableau d’Ángel Zárraga, La Femme et le pantin (1909). Peu à peu s’affirment les expérimentations esthétiques d’artistes mexicains en contact avec l’avant-garde parisienne dans les premières décennies du siècle, au premier rang desquels Diego Rivera.

La deuxième partie de l’exposition s’attache à montrer comment la Révolution mexicaine, en tant que conflit armé, comportait la planification d’un nouveau projet national. La création artistique des années qui ont suivi la révolution revêt un caractère idéologique ; elle s’appuie sur d’autres moyens que la peinture sur chevalet, tels que le muralisme et le graphisme. L’exposition met naturellement l’accent sur les oeuvres des trois artistes phares du muralisme mexicain, los tres grandes : Diego Rivera, David Alfaro Siqueiros, José Clemente Orozco. Cette révolution masculine, qui a ouvert la voie à de nombreuses possibilités nouvelles, a permis aux femmes de participer à l’effort économique ; cette situation les a encouragé à se faire elles aussi une place sur la scène artistique, en tant que peintres ou mécènes.

L’arbre Frida Kahlo ne doit pas cacher une forêt de personnalités extraordinaires comme Nahui Olin, Rosa Rolanda ou les photographes Tina Modotti et Lola Álvarez Bravo.

Parallèlement à l’école Mexicaine de Peinture et de Sculpture des années 20 et 30, cette période a également été marquée par l’avènement de nombreuses autres démarches expérimentales. Le triomphe du muralisme et de l’art nationaliste a éclipsé ces mouvements d’avant-garde alternatifs, qui ont revendiqué le droit de participer à la scène artistique internationale, indépendamment du paradigme révolutionnaire.

La troisième partie de l’exposition permet de découvrir toute une sélection d’artistes et d’oeuvres se présentant comme des alternatives aux discours idéologiques de l’époque, des masques hallucinants de Germán Cueto aux portraits énigmatiques de Robert Montenegro et aux abstractions de Gerardo Murillo « Dr. Atl » ou Rufino Tamayo.

Enfin, la quatrième partie, intitulée Rencontre de deux mondes : Hybridation, montre comment, depuis le début du XXe siècle, la présence d’artistes mexicains aux États-Unis, comme Marius de Zayas, Miguel Covarrubias et surtout les grands muralistes, a joué un rôle décisif pour les mouvements d’avant-garde de villes comme New York, Détroit ou Los Angeles. Inversement, du fait de la notoriété acquise par les artistes mexicains à l’étranger durant les premières décennies du XXe siècle, de nombreux artistes étrangers ont décidé de délocaliser leur activité au Mexique. En collaboration avec les artistes locaux, ils sont parvenus à développer une scène particulièrement riche, notamment autour du surréalisme avec Carlos Mérida, José Horna, Leonora Carrington et Alice Rahon.

L’exposition clôt la chronique de ces échanges, sources d’une perpétuelle « renaissance », avec l’arrivée de Mathias Goeritz au Mexique en 1949, mais leur vitalité est encore illustrée dans les oeuvres d’artistes majeurs de la scène actuelle, à l’image de Gabriel Orozco et de ses « frottages » pris dans le métro parisien.