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“Walasse Ting (1928-2010)” Le voleur de fleurs
au musée Cernuschi, Paris

du 7 octobre 2016 au 26 février 2017



www.cernuschi.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 6 octobre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Suzy Embo, Walasse Ting , Pierre Alechinsky et Reinhoud, 1963. Photo Suzy Embo. © Suzy Embo/FOMU Fotomuseum.
2/  Walasse Ting, Sans titre (Femmes à l’éventail), vers 1975-1980. Encre et couleurs sur papier. 78,5 x 96,5 cm. Archives Pierre Alechinsky. ©The Estate of Walasse Ting/ADAGP, 2016 / Photo Michel Nguyen.
3/  Walasse Ting, Chinese City, 1959, huile sur toile 230 x 180 cm. The Estate of Walasse Ting. ©The Estate of Walasse Ting/ADAGP, 2016/Photo Jeffrey Sturges.

 


1992_Walasse-Ting audio
Interview de Eric Lefebvre, directeur du musée Cernuschi et co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 6 octobre 2016, durée 17'29". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Éric Lefebvre, conservateur en chef et directeur du musée
Mael Bellec, conservateur au musée




L’itinéraire de Walasse Ting, artiste inclassable né à Shanghai, actif à Paris, puis New-York et Amsterdam, préfigure l’internationalisation de l’art contemporain chinois survenue dans les années 1990.

Après avoir quitté la Chine pour Hong-Kong en 1946, Walasse Ting gagne Paris en 1952. Ses créations, qui mettent l’accent sur l’expressivité du geste pictural, sont en phase avec les réalisations du groupe CoBrA dont certains membres, comme Pierre Alechinsky, manifestent leur intérêt pour les pratiques asiatiques de l’art du pinceau.

A cette époque il rencontre aussi Sam Francis, qu’il retrouvera à New-York quelques années plus tard. C’est dans cette ville que Walasse Ting découvre son univers, fait d’allers et retours entre l’encre et la couleur pure, entre les codes de la peinture chinoise et la spontanéité de l’Action Painting. Il s’inscrit alors dans le paysage de la création new yorkaise à travers des réalisations collectives, comme le projet 1 Cent Life (1964), qui réunit aux côtés de Pierre Alechinsky et Sam Francis, Jean-Paul Riopelle, Asger Jorn, Robert Indiana, Robert Rauschenberg, Andy Warhol…

En 1970, Walasse Ting a fait don au musée Cernuschi de 80 peintures représentant de manière quasi-exhaustive son univers foisonnant et ludique.

Depuis les compositions monumentales mettant en scène des femmes au corps végétal jusqu’aux feuilles d’un livre-confession, cet ensemble est indissociable de la figure subversive du « voleur de fleurs », double imaginaire de l’artiste.

Cette collection, qui n’a jamais été exposée, a fait l’objet d’une très importante campagne de restauration au cours des dernières années. A la suite de la récente rétrospective consacrée à l’artiste par le Musée d’art moderne de Taipei en 2011, largement composée d’oeuvres des années 1980 et 1990, le musée Cernuschi revient sur l’ensemble du parcours de Walasse Ting en accordant une place privilégiée aux échanges qu’il a su tisser au sein des milieux artistiques européens et américains.

Parmi les 70 oeuvres exposées, la moitié provient des collections du musée Cernuschi, l’autre moitié de collections européennes et américaines.




Introduction par Éric Lefebvre

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la scène intellectuelle et artistique parisienne se caractérise par un intérêt renouvelé pour l’art asiatique, qui trouve sa source dans la découverte de la pensée taoïste et du bouddhisme zen, et s’étend à la réception de l’art contemporain, de la calligraphie japonaise à la peinture chinoise. C’est dans ce contexte que les peintures de Walasse Ting, présentées à Paris pour la première fois en 1954, vont rejoindre les collections du musée Cernuschi dès l’année suivante. Cette acquisition audacieuse était due à la générosité de Guo Youshou, dont la donation majeure de 1953 avait fait du musée l’une des toutes premières collections publiques dédiées à la conservation de la peinture asiatique contemporaine en Europe. Toutefois, les oeuvres de la donation Guo Youshou étaient principalement représentatives de la première moitié du XXe siècle, si bien que l’entrée au musée des oeuvres de Walasse Ting, un jeune artiste de vingt-sept ans, fut le signal de l’arrivée d’une nouvelle génération de peintres chinois en France, celle de Chu Teh-chun, de Wu Guanzhong et de Zao Wou-ki.

Installé à New York en 1957, Walasse Ting conservera toujours des liens privilégiés avec ses amis parisiens, relations qui susciteront en 1970 une nouvelle donation d’une forme très personnelle. Pour commémorer ses quarante ans, l’artiste offre au musée Cernuschi quarante peintures, auxquelles il adjoint un ensemble de plus de quarante feuilles peintes et calligraphiées qui forment un projet de livre. Ces oeuvres constituent une plongée dans l’univers de l’encre chinoise – un univers totalement revisité après plus de dix ans consacrés à l’expérimentation parallèle d’autres médias comme la peinture à l’huile, à l’acrylique, ou la lithographie. Malheureusement, la taille monumentale des oeuvres, leur dimension expérimentale ont longtemps été considérées comme un défi difficile à relever en termes de montage et de présentation muséographique. La campagne pluriannuelle de restauration initiée par le musée à partir de 2013 autorise donc aujourd’hui pour la première fois la présentation des peintures les plus spectaculaires de ce fonds qui s’est à nouveau enrichi en 2016 grâce au don de deux oeuvres de jeunesse par Françoise Marquet-Zao.

La diversité culturelle de l’oeuvre de Walasse Ting, ses multiples enjeux techniques et son vaste réseau artistique concourent à l’intérêt mais aussi à la complexité d’un projet d’exposition rétrospective. Nous tenons par conséquent à remercier Mia et Jesse Ting pour la manière dont ils ont ouvert avec générosité leurs archives familiales pour nourrir les recherches publiées dans le catalogue. Il me faut également souligner tout ce que cette exposition doit au concours de Pierre Alechinsky, qui, au-delà des documents rares qu’il a mis à la disposition des auteurs, de ses conseils et de son soutien, a su d’un mot ou d’un geste restituer pour les commissaires les conditions mêmes dans lesquelles les oeuvres de Walasse Ting avaient été créées. Qu’il en soit ici sincèrement remercié.




Ding Xiongquan , alias Walasse Ting, le voleur de fleurs

De Shanghai à Paris, de Paris à New York, de New York à Amsterdam, Ding Xiongquan alias « Walasse Ting » s’est projeté successivement et parfois simultanément sur différentes scènes artistiques, faisant du transfert culturel un mode de création à part entière.

Originaire de Wuxi, dans la province du Jiangsu, Walasse Ting est né en 1928. Il grandit entre cette ville proche de Shanghai et la grande métropole. Au cours de ses jeunes années, il est donc naturellement en contact avec les traditions artistiques rurales, mais aussi avec la nouvelle culture urbaine, marquée par l’architecture et le design occidentaux.

Cette culture mixte va se cristalliser, vers 1950, dans le choix de son nom : Walasse Ting. La juxtaposition d’un prénom occidental et d’un nom de famille chinois, fréquente au sein de la diaspora chinoise, a la particularité dans le cas de Walasse Ting de détourner le surnom de sa jeunesse, – en shanghaien « Huailaixi » qui signifie « gâté », – pour le rapprocher symboliquement du nom de Matisse.

Plaçant son oeuvre sous le signe du maître des avant-gardes européennes, Ting forme le projet de partir pour la France. Lors de sa première exposition parisienne au studio Facchetti en 1954, il se fait naturellement connaître du public occidental sous le prénom de Walasse, qu’il substitue à celui de Xiongquan dont la signification, « source virile », coïncide pourtant de manière quasi prédestinée avec sa personnalité et son oeuvre.

Au cours de la décennie suivante, Walasse Ting, désormais actif à New York, revendique la tradition chinoise des surnoms poétiques et adopte définitivement celui de « Grand voleur de fleurs », dont il signe nombre de ses oeuvres. Le fait de se réapproprier cette ancienne coutume lettrée au milieu de l’Amérique des années 1960 constitue un geste de détournement singulier parmi les artistes chinois de sa génération actifs en Occident.

En revendiquant une double identité par l’invention du voleur de fleurs – double intemporel de l’artiste se jouant des lieux et des époques –, Walasse Ting crée une oeuvre plurielle, qui préfigure par bien des aspects l’internationalisation actuelle de l’art contemporain chinois.