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“La Peinture américaine des années 1930” The age of anxiety
au Musée de l'Orangerie, Paris

du 12 octobre 2016 au 30 janvier 2017



www.musee-orangerie.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 11 octobre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Morris Kantor (1896-1974), Haunted House (Maison hantée), 1930. Huile sur toile, 94.3 x 84.5 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, Mr. and Mrs. Frank G. Logan Purchase Prize Fund. © The Art Institute of Chicago.
2/  Doris Lee (1905-1983), Thanksgiving, vers 1935. Huile sur toile, 71.3 x 101.8 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, Mr. and Mrs. Frank G. Logan Purchase Prize Fund. © The Art Institute of Chicago.
3/  Grant Wood (1891-1942), American Gothic (Gothique américain), 1930. Huile sur panneau d’aggloméré, 78 x 65.3 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, Friends of American Art Collection. © The Art Institute of Chicago.

 


1999_Peinture-americaine audio
Interview de Laurence des Cars, directrice du Musée de l'Orangerie et co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 11 octobre 2016, durée 12'45". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Les paysages de Grant Wood évoquent une terre nourricière stylisée aux collines rondes et sensuelles. Les verts sont tendres et veloutés, les meules de foin parfaitement alignées dans un paysage quasi déserté par ses habitants, les bâtiments des fermes mignons et propres comme des maisons de poupées. L'Amérique rurale semble un espace immobile, figé dans la continuation des us et coutumes des siècles passés, devenue un refuge face au tumulte du XXème siècle.

La peinture de cette Amérique en pleine crise économique témoigne d'un éclatement de la société entre villes et campagnes, ouvriers et patrons, blancs et noirs. La terre peinte par Alexandre Hogue devient une femme de sable et de poussière dévastée pas les éléments, gisant comme après un viol. Sur le sol gris et stérile, une charrue inutile et rouillée marque l'impuissance des paysans. Quand la terre parvient à produire ses fruits, c'est au prix d'une dure exploitation humaine. Les cueilleurs de coton de Thomas Hart Benton, maigres, décharnés, brûlés par le soleil, appartiennent plus aux siècles précédents qu'à une nation moderne.

En parallèle, les sites industriels de Charles Sheeler dégagent une immobilité glaciale. La géométrie éthérée, la finesse des traits évoquant plus le dessin technique et sa froideur descriptive que la peinture des villages Potemkine, des décors vides aux fins de propagande.

La ville, à l'opposé, est illuminée de mille lumières et enseignes. Le jazz, le cinéma, la sexualité exacerbée et violente sont les distractions permettant d'oublier la misère. Le couple élégant de William Johnson incarne les folles nuits de Harlem où chacun, du moins pour une nuit, revêt une nouvelle identité. Les foules de Reginald Marsh se pressent au cinéma ou devant les vitrines de magasins aux marchandises inaccessibles. Mais ce ne sont pas les produits vantés par les affiches qui intéressent les hommes, ce sont les femmes qui passent, manquant à chaque fois de provoquer une émeute. Chez Paul Cadmus, des marins en goguette se lancent dans une drague orgiaque et violente. Sa peinture est provocante et sexuelle, les galbes généreux des corps, que les vêtements exacerbent au lieu de cacher, le travail des volumes en traits fins comme du crayon de couleur seront repris trente ans plus tard par Robert Crumb.

Chez Doris Lee, Thanksgiving, la fête fondatrice de la culture américaine, devient une pièce de théâtre. Le travail classique de la perspective frontale construit une scène, un décor où se joue une comédie. Ce thème classique s'anime d'une musicalité, d'une sensualité bruyante. La narration turbulente de plusieurs histoires se croisant est magnifiée par la brillante réalisation volumétrique qui donne une réelle présence aux personnages. La liberté maitrisée de traitement et de style crée une proximité en assumant la rencontre entre vie quotidienne et conte folklorique.

Stuart Davis avec un collage d'emblèmes : pompes a essence, hôtel parisien, brocante de bord de trottoir, panneaux de signalisation fabrique un folklore contemporain. Le paquet de chewing-gum Wrigleys de Charles Green Shaw, volume isométrique devant un new york de rectangles colorés ou l'accident de voiture de Grant Wood avec sa perspective plongeante, sa stylisation de réclame publicitaire et le dynamisme de comic book, suivent ce mouvement et posent les bases d'un pop art futur.

Le graphisme sombre, emprunt de cynisme de Joe Jones dont l'American Justice dépeint le lynchage d'une femme noire par le Klu Klux Clan, utilise une fausse naïveté pour dénoncer l'horreur. La corde qui a servi à la pendre ondule comme un serpent biblique, l'obscurité qui engloutit la verdure paradisiaque de la végétation et les flammes infernales consumant l'arrière-plan donnent à la toile une dimension classique. De même, la composition circulaire centrée autour de l'explosion d'une bombe à Guernica de Philip Guston s'inscrit dans l'art de la fresque pour évoquer la montée du fascisme et le déchirement de la guerre qui a déjà commencé. L'irruption du présent dans l'héritage des siècles passés se fait avec une violence inouïe, comme l'annonce d'une rupture irrémédiable.

Le dialogue final entre Hopper et Pollock oppose une station service vide et un sombre cauchemar surréaliste. La stabilité d'un monde immobile se révèle une illusion ; sous cette surface calme, une énergie nouvelle a atteint son point d'ébullition.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Judith A. Barter, Field-McCormick Chair and Curator of American Art, The Art Institute of Chicago
Laurence des Cars, conservateur général du patrimoine, directrice du musée de l’Orangerie
Scénographie : Cécile Degos




Cette exposition est organisée par l’Art Institute of Chicago en collaboration avec l’Etablissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie, Paris, et la Royal Academy of Arts, Londres.

Le 29 octobre 1929, la bourse de New York s’effondra, entraînant les Etats-Unis dans une terrible période d’insécurité économique et de troubles sociaux, la Grande Dépression. Toute une génération d’Américains perdit son emploi, sa maison, ses économies mais aussi sa dignité. Tout aussi grave, sa foi dans le progrès américain et ses promesses en fut fortement ébranlée. C’est à cette période de déstabilisation, propice aux questionnements, et à ses conséquences dans la peinture américaine que s’attache l’exposition.

Face à ces temps difficiles, les peintres américains n’eurent de cesse de questionner l’identité américaine et d’explorer la possibilité d’un art propre à cette nation encore jeune. Dominée par une sensibilité réaliste, qui s’attache à notamment à décrire la singularité du contexte urbain ou rural américain, la peinture des années trente est néanmoins marquée par une grande diversité d’expression. Aux côtés de figures aussi cruciales qu’Edward Hoppper, Giorgia O’Keeffe, et Charles Sheeler, chacun présent avec des chefs-d’oeuvre tels que New York Movie, Skull et American Landscape, l’exposition propose de découvrir le Régionalisme du Midwest, dominé par Grant Wood, dont l’iconique American Gothic sera montré pour la première fois en Europe. Elle permettra aussi de saisir la part la plus politique et contestatrice de la peinture américaine de cette période, tenant notamment à la place de la communauté afro-américaine dans la société du temps, avec des oeuvres de Joe Jones (American Justice) et de Aaron Douglas (Aspiration), peintre majeur du mouvement Harlem Renaissance. Toujours ouverte aux influences européennes, la scène américaine intègre aussi une inflexion surréaliste, évidente chez Oswaldo Louis Gugliemi (Phoenix) ou Peter Blume (The Eternal City), qui permit de mêler à la représentation de la réalité américaine un appel à l’imagination et à l’inconscient particulièrement libérateur. Enfin, l’exploration de l’abstraction comme nouveau langage universel trouve à la fin de décennie avec les premiers chefs-d’oeuvre de Jackson Pollock, un des premiers accomplissements proprement américain.

Construite selon des sections thématiques qui aborderont entre autres la question du monde industriel, du retour à la terre, du rapport à l’histoire ou au divertissement, l’exposition s’enrichira au musée de l’Orangerie d’images d’actualité filmées et d’une ouverture sur le cinéma, avec un montage d’extraits soulignant l’oscillation constante du cinéma américain des années 1930 entre l’attachement au réalisme et le basculement vers l’imaginaire.

Les années 1930 furent, à plus d’un titre, décisives dans l’affirmation d’une scène artistique moderne aux Etats-Unis. Organisée en collaboration avec l’Art Institute de Chicago, cette exposition présentera un ensemble d’une cinquantaine de toiles issues de prestigieuses collections publiques américaines (l’Art Institute à Chicago, le Whitney Museum ou le MOMA...) dont la diversité reflète toute la richesse de cette période précédant l’entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale.