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“Papiers s’il vous plaît !” Collections du Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône & Collection privée d’Ivan Epp
à la Maison de la Photographie Robert Doisneau, Gentilly

du 19 octobre au 31 décembre 2016



www.maisondoisneau.agglo-valdebievre.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec les commissaires, le 18 octobre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  François Cornu, assassin de Mme Duperray, Le Petit Parisien, 9 janvier 1931. © Musée Nicéphore Niépce, Chalon-sur-Saône.
2/  Anonyme, Brigade des gitans, Dijon, France, entre 1905 et 1910. MNN 2003.5.18. © Musée Nicéphore Niépce, Chalon-sur-Saône;
3/  Anonyme, Fiche anthropométrique, Washington DC, USA, années 1960. MNN 2006.490. © Musée Nicéphore Niépce, Chalon-sur-Saône.

 


2008_Papiers audio
Interview de Emeline Dufrennoy & Anne-Céline Besson,
commissaires de l'exposition, et de Ivan Epp, collectionneur,

par Anne-Frédérique Fer, à Gentilly, le 18 octobre 2016, durée 16'56". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaires d’exposition : Emeline Dufrennoy et Anne-Céline Besson



L’exposition Papiers s’il vous plaît, coproduite par la Chambre, s’appuie sur un fond considérable d’images mises à disposition par le Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône. Y seront également présentées les images d’Ivan Epp, collectionneur strasbourgeois. Le titre sous forme d’invective de cette exposition dit bien le rapport que la matière photographique entretient avec l’ordre dès l’introduction de son utilisation dans les procédés judiciaires au milieu du 19ème siècle. Nous nous soumettons tous un jour ou l’autre à cet exercice, lequel, s’il ne nous définit pas, consiste véritablement en une manifestation incontournable de notre identité officielle.

Traversant les époques, la photographie n’a cessé, depuis son invention, de se plier aux besoins de l’identification et du fichage, thème encore aujourd’hui d’actualité. S’appuyant sur les fonds du Musée Nicéphore Niépce, cette exposition a donc pour vocation d’offrir une entrée, forcément non exhaustive, sur le rapport ambigu de la photographie avec le rôle qu’elle endosse dès qu’il est question d’identité judiciaire.

De la photo d’identité au contrôle policier, du recensement militaire au fichage des migrants, la photographie offre ainsi une grille de lecture, une interprétation de l’identité. Si les normes et la répétition conduisent à une forme d’épuisement propre au procédé, elles n’en sont pas moins révélatrices de sens, exposant parfois plus et autre chose que l’attendu.

Entre organisation sociétale, surveillance et tentations liberticides, le procédé d’enregistrement et de classification par l’image donne à voir alors bien malgré lui - dans ses oublis, ses erreurs, et ses maladresses - un hors-champ fait de décalages, d’absurde, de fantaisie et d’imaginaire.


Tous concernés

Que ce soit pour un permis de conduire, une carte de famille nombreuse, d’étudiant, ou même la carte vitale, nous sommes tous soumis un jour où l’autre à l’exercice de la photo d’identité. Inspirée des procédés anthropométriques créés par Bertillon, prise par un photographe professionnel ou par un photomaton, la photographie d’identité répond à un certain nombre de critères et de normes qui font d’une photo qu’elle est recevable ou non pour une utilisation officielle. Pour cet usage, si le photomaton - appareil automatisé présenté pour la première fois en 1889 à l’Exposition universelle de Paris - est dans un premier temps seulement toléré, voir refusé par l’administration, il devient bientôt le standard du genre.

Empreintes digitales, numéros d’immatriculation, et peut-être même bientôt informations biométriques, le visage n’en reste pas moins l’élément central de la carte d’identité, encore aujourd’hui facultative mais nécessaire pour de nombreuses situations du quotidien. N’est d’ailleurs plus désormais suspect seulement celui qui est fiché, mais aussi celui qui au contraire ne peut produire de pièce d’identité.

En France cependant, seul le régime de Vichy instaura l’obligation du fichage de l’ensemble de la population, étendant ainsi le contrôle des identités jusque-là réservé aux minorités considérées comme dangereuses. Un titre est par contre obligatoire pour sortir du territoire depuis 1913, à la fois dans le but de limiter la circulation entre la France et l’étranger, et pour entraver la venue d’étrangers sur le territoire national. C’est donc bien de contrôle des frontières dont il est question, dans une époque où les flux migratoires et la libre circulation redeviennent des enjeux politiques majeurs de la société.


La photographie au service d'un système

La photographie signalétique, encore aujourd’hui élément central de l’identification judiciaire, doit sa création à Alphonse Bertillon (1853-1914), figure emblématique de l’histoire de la police, considéré comme le créateur du premier laboratoire de police scientifique. Dans un contexte politique général de lutte contre la récidive, il met au point en 1881 à Paris le système de l’anthropométrie judiciaire, système de mesures et de codification qui fait du corps l’élément central de l’identification des personnes.

En 1888, Alphonse Bertillon complète son système en standardisant la photographie judiciaire « face-profil » et en codifiant tous les aspects de la prise de vue (les appareils employés, les distances du sujet avec l’appareil, les poses du sujet, la luminosité…). La qualité technique des images doit permettre d’établir des points de ressemblance précis, et garantir la réalisation d’un grand nombre d’images au quotidien. Triomphant à l’Exposition Universelle de Paris de 1889, le système Bertillon, ou « bertillonnage », est rapidement utilisé en Europe, en Russie et aux Etats-Unis. Ainsi, entre 1885 et 1914, la législation contre la récidive conduira en France à ficher plus d’un demi-million d’individus. Toutefois, dès son apparition, les erreurs d’identifications de Bertillon sont dénoncées, les abus et dangers d’un tel système sont pointés.

Au-delà du fichage des repris de justice et des populations à risque, se pose alors la question de l’exploitation de ces fichiers, par la mise en place de techniques de reconnaissance, de bulletins, d’avis de recherche et par la diffusion de portraits auprès des forces de police et des populations. Les techniques de l’identité judiciaire mises en place à la fin du 19ème siècle, si elles symbolisent la modernisation de la police, deviennent rapidement l’emblème des abus du pouvoir policier, du contrôle exercé par l’Etat sur les individus et de ses possibles dérives. Ces erreurs et ces imprécisions, comme la forme spécifique de la photographie d’identification constituent bientôt le support de détournements et de réinterprétations d’artistes, tels que Mac Adams, qui s’emparent des codes propres au genre pour les détourner et questionner le spectateur sur son système de représentation, le jeu des apparences et l’ambigüité de la photographie face à la réalité.


Matière à scandale

Véritable phénomène culturel, l’identité judicaire bénéficie de l’intérêt enthousiaste de la presse dès sa création. Très vite, si les clichés judiciaires servent prioritairement aux besoins de l'enquête, ils ne s’en retrouvent pas moins souvent en illustration des " faits-divers " de journaux tels que Détective, Le Magasin pittoresque, L'oeil de la police, ... Le sensationnalisme gagne la presse dès la fin du 19ème siècle et alimente les imaginaires au même titre que les romans policiers, renforçant ainsi le crédit accordé à la police scientifique. La sélection d’images présentée dans cette partie correspond aux archives photographiques de la rubrique « Faits Divers » du Petit Parisien. Fondé par Louis Andrieux, député radical et procureur de la République, Le Petit Parisien, journal français publié de 1876 à 1944, fut l'un des principaux journaux sous la Troisième République. Journal politique d’information et d’influence, éditant également des feuilletons littéraires de Maupassant et Jules Verne, Le Petit Parisien commence au milieu des années 1880 à s'intéresser aux gazettes, aux potins, aux scandales et au scabreux, dans la perspective de ventes accrues. Cette tradition perdurera jusqu’à l’Occupation. Ici, les phototypes traduisent à la fois le travail de constitution de banque d’images par Le Petit Parisien, notamment par le biais de photographies très précisément légendées récupérées auprès des services de police, et la mise en oeuvre des retouches, montages, annotations nécessaires à l’impression de ces photographies dans le journal.


Utopies du contrôle

Le portrait d’arrestation remonte aux origines de la photographie elle-même, et si certains préconisent son usage pour recenser prioritairement les criminels et attester des récidives, le fichage des populations restera quant à lui longtemps réservé aux minorités considérées comme dangereuses et ce, dans une perspective de surveillance sociale. La reconnaissance visuelle de certaines catégories de population qui inquiètent - étrangers, voyageurs, vagabonds, nomades, criminels - devient alors un nouvel enjeu pour bon nombre d'états européens. Selon Bertillon lui-même, le procédé réservé aux criminels peut s’appliquer aux types « professionnels » ou « ethniques ». C’est dans ce contexte qu’est instauré en France en 1912 le système d’identification avec élaboration du carnet anthropométrique des nomades auquel participera activement Alphonse Bertillon. Pour la première fois, des populations jugées uniquement sur leur mode de vie ont l’obligation de porter un document qui les stigmatise et légitime leur exclusion de la communauté nationale. Ce n’est qu’en juin 2015 que l’Assemblée Nationale votera la suppression du livret de circulation des gens du voyage qui trouve ses origines dans le système d’identification de 1912. Migrants, résidents de territoires occupés ou de colonies, prostituées… D’autres populations considérées comme à risque feront l’objet d’opérations de fichage d’ampleur, toujours à des fins de contrôle et de discipline sociales. C’est le cas par exemple des 1500 portraits d’autochtones que le Colonel Deleuze réalisera au Liban et en Syrie après la Première Guerre mondiale, dans l’ancien Empire Ottoman alors partagé entre la France et l’Angleterre. Réalisés selon un protocole strict, tirés au même format, numérotés, ces tirages montrent la systématisation du fichage des individus, la rigueur apportée à l’identification des personnes et l’importance stratégique accordée à la connaissance de la zone française en Syrie.


Un pas de côté

C’est pourtant dans un contexte de surveillance et de contrôle des populations que nait parfois l’acte de résistance, le pas de côté qui laisse transparaître l’individualité, la personnalité, la désapprobation derrière le constat simple de l’individu et de l’uniformisation du groupe.

Quand Marc Garanger, alors soldat, photographie en pleine guerre d’Algérie les femmes forcées à se dévoiler, ou quand Virxilio Vietez saisit les portraits des habitants des villages de Galice dans une Espagne franquiste pour des cartes d’identité devenues obligatoires, le procédé et la destination de ces photographies d’identité ne sont pas censés laisser de place à l’ambigüité ou au doute quant à leur message et à leur destination. Pourtant, les visages graves des modèles, les bijoux et les vêtements choisis, le jeu des regards, le geste photographique enfin, sont autant d’interstices dans lesquelles se glissent l’inattendu et une certaine forme de révélation qui transcende un système voulu comme rigide, froid, scientifique.

De ce système normé nait même parfois un geste décalé, fantaisiste, comme celui des services de police de la Brigade des Moeurs de Paris qui le 04 mai 1990 lors de l'arrestation précédant l'expulsion des "800 travelos" du Bois de Boulogne réalise les portraits d'identité judiciaire de prostitués travestis, pour la plupart brésiliens, en y adjoignant un deuxième portrait, celui-ci décalé, rapproché, laissant au sujet photographié la possibilité de poser à sa guise face à l’objectif, arborant l’attitude et le regard choisi par le modèle lui-même, faisant par là même basculer le procédé dans un tout autre champs d’intention.